« Est-elle pardonnable, la traîtrise, si on trahit pour une cause juste ? s’interroge Pandaros. Là, au milieu de mes gens armés, je n’eus même pas le temps d’y penser. C’était la gloire qui m’attirait. Et l’idée de changer l’histoire par un geste simple et exact. Alors je pris mon arc. » La scène se déroule dans une salle de répétition aux murs noirs et au parquet mat de la fabrique culturelle Les Plateaux sauvages. Au centre de la pièce, le comédien Christophe Firmin, trentenaire métisse aux dreads ramassées derrière un élastique interprète le célèbre archer troyen Pandaros de l’Iliade d’Homère. Au cœur de la guerre de Troie qui dure depuis dix ans, le guerrier va briser la trêve entre Troyens et Achéens dans l’espoir de mettre fin à ce conflit dont chacun espère une issue. À la fin de cette semaine de permission, Christophe Firmin rentrera en détention, au centre pénitentiaire de Meaux où il lui reste encore de longs mois à passer.
Ce mardi 22 mai 2018, dix comédiens rejouent sur le plateau « Un jour de bataille », l’acte III de la pièce l’Iliade, fresque théâtrale en dix épisodes montée par le metteur en scène Luca Giacomoni. Trois semaines de répétition ont été organisées dans trois théâtres parisiens avant l’ouverture des dix représentations publiques et payantes qui se tiennent au théâtre Paris-Villette, du 6 au 16 juin, un an après la première session, au même endroit. Le défi est important après le succès quasiment unanime obtenu en 2017. Pour interpréter les guerriers de cette épopée mythologique, le metteur en scène a engagé les comédiens de sa propre compagnie, Trama. Il est aussi allé chercher ailleurs, plus loin, là où il était sûr de trouver des âmes écorchées, des visages et des corps marqués : en prison. Car il est question ici d’honneur, d’engagement, de l’amour d’une femme, Hélène, d’amitié, mais aussi de lassitude, de lâcheté, de honte et d’absurdité. De la guerre. Celle qu’on mène en groupe contre un ennemi, celle qui se joue seul contre soi-même. « La prison, c’est d’abord une guerre contre soi », explique un comédien ancien détenu du centre pénitentiaire de Meaux. « Notre texte est un mélange de deux versions. L’originale d’Homère et Homère, Iliade d’Alessandro Baricco, explique-t-il. Baricco a enlevé tous les Dieux et tourné le récit à la première personne. C’est très théâtral et ça permet de faire parler chaque personnage de sa propre voix. »