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Mise en examen annulée et maintien d’une saisie pénale spéciale

Si la saisie de biens ou droits incorporels n’est pas subordonnée à la mise en examen de leur propriétaire ou titulaire, la chambre de l’instruction saisie de l’appel d’une ordonnance de saisie pénale spéciale doit apprécier l’existence d’indices de commission d’une infraction de nature à justifier la mesure de saisie pénale.

par Cloé Fonteixle 15 avril 2020

Les faits de l’espèce peuvent être aisément résumés : une chambre de l’instruction avait, par deux arrêts du même jour, à la fois annulé une mise en examen pour défaut d’indices graves ou concordants, et confirmé une saisie pénale spéciale portant sur une créance de l’intéressé sur un contrat d’assurance sur la vie. Ce dernier avait formé un pourvoi contre l’arrêt confirmatif de la saisie. Une nouvelle fois, la chambre criminelle de la Cour de cassation a été conduite à préciser l’office de la chambre de l’instruction en la matière.

Il faut rappeler, comme n’a pas manqué de le faire la Haute juridiction, que le prononcé d’une saisie pénale spéciale n’est pas subordonné à l’existence d’une mise en examen. La chambre criminelle avait déjà expressément répondu par la négative à cette question (Crim. 7 déc. 2016, n° 16-81.280), ce qui n’est guère surprenant si l’on considère l’absence de toute condition légale en ce sens. Ainsi l’annulation d’une mise en examen n’a-t-elle pas vocation à entraîner, de manière systématique, la levée de la saisie pénale prononcée contre le propriétaire du bien dont on rappellera qu’il est devenu, du fait de cette annulation, témoin assisté (C. pr. pén., art. 174-1).

La chambre criminelle décide ici, au visa des articles 593 et 706-153 du code de procédure pénale, que « la chambre de l’instruction saisie de l’appel d’une ordonnance de saisie pénale spéciale doit apprécier l’existence d’indices de commission d’une infraction de nature à justifier la mesure de saisie pénale ». Elle déduit ce principe d’une part, du fait qu’« au cours de l’information judiciaire, le juge d’instruction peut ordonner par décision motivée la saisie des biens ou droits incorporels dont la confiscation est prévue par l’article 131-21 du code pénal », et d’autre part, des règles générales de motivation des arrêts, notamment ceux de la chambre de l’instruction, prévues à l’article 593 du code de procédure pénale.

En l’espèce, il n’est pas fait reproche à la chambre de l’instruction d’avoir confirmé la saisie malgré l’annulation de la mise en examen. La chambre criminelle sanctionne seulement les motifs dubitatifs employés pour ce faire. Les juges avaient en effet considéré qu’il n’était pas exclu que la poursuite de l’information judiciaire aboutisse à recueillir de nouveaux éléments caractérisant une implication plus consistante de l’intéressé, ajoutant qu’en l’état du rôle important qu’il avait joué dans le mécanisme de fraude suspecté, et jusqu’à l’issue définitive de l’information judiciaire, il encourait toujours la peine complémentaire de confiscation. Ils n’avaient donc pas examiné, à l’instant présent, l’existence d’indices de commission d’une infraction. Le principe ainsi dégagé n’apparaît pas exclure une nouvelle confirmation de la saisie par la chambre de l’instruction statuant sur renvoi.

Il convient de s’intéresser au sens et à la portée de cette règle, qui apparaît pour la première fois dans la jurisprudence de la chambre criminelle. Pour la comprendre, il faut rappeler la règle fondamentale qui gouverne les saisies pénales spéciales, exprimée à l’article 706-141 du code de procédure pénale, selon laquelle ces saisies sont prises « afin de garantir l’exécution de la peine complémentaire de confiscation selon les conditions définies à l’article 131-21 du code pénal ». Lorsqu’on lit les règles applicables à chacune des saisies spéciales, on constate que le caractère confiscable du bien saisi est finalement la seule exigence de fond. L’autorité judiciaire peut saisir dès lors que le bien est confiscable, et qu’elle motive sa décision en ce sens. La motivation s’établit donc inévitablement par référence à l’article 131-21 du code pénal, qui prévoit dans quels cas la peine complémentaire de confiscation peut être prononcée. Sachant quand même que pour qu’il y ait confiscation, il faut qu’une infraction soit identifiée, et qu’elle soit, à terme, imputée à une personne.

L’attendu de principe tel qu’il est énoncé (la recherche de « l’existence d’indices de commission d’une infraction de nature à justifier la mesure de saisie pénale ») amène à un double constat. D’une part, les indices n’ont pas à revêtir un quelconque caractère de gravité, mais si l’on suit les termes employés par la Cour de cassation, ils doivent être multiples. D’autre part, il ne s’agit pas nécessairement d’indices de commission d’une infraction qui seraient retenus à l’encontre d’une personne déterminée. En effet, on peut concevoir que des juges constatent l’existence d’indices de commission d’une infraction, sans les rattacher à quelqu’un. Mais est-ce vraiment le sens de cet attendu ? Il est dommage que l’arrêt ne contienne pas davantage d’informations sur le fondement confiscatoire qui avait été envisagé en l’espèce – même si, au regard des textes visés, on peut peut-être exclure la peine de confiscation générale de patrimoine –, et sur les raisons factuelles qui avaient conduit la chambre de l’instruction à annuler la mise en examen. Autant on peut envisager de saisir un bien confiscable en tant qu’il constitue un bien dangereux ou le produit ou l’instrument de l’infraction, avant même l’identification de l’auteur potentiel. D’ailleurs, ces biens ne sont pas destinés à être restitués, même après le procès, en application de l’alinéa 2 de l’article 41-4 du code de procédure pénale. Autant, envisager la saisie d’un bien dont l’origine n’est pas justifiée ou sur le fondement d’une peine de confiscation générale de patrimoine, avant l’identification d’un suspect, apparaît difficile. Car en effet, dans ce cas, la peine complémentaire revêt indéniablement une dimension plus personnelle.

Enfin, on peut s’interroger sur la portée de ce principe dégagé par la chambre criminelle dans l’hypothèse où la mise en examen existe et n’est pas remise en cause. Faut-il considérer qu’il s’applique, et qu’il autorise la chambre de l’instruction à remettre en cause l’appréciation de la réunion d’indices graves ou concordants par le juge d’instruction ? Il est évidemment permis d’en douter, et il apparaît plus cohérent de considérer que la recherche d’indices de commission d’une infraction ne s’impose que dans les autres cas (au stade de l’enquête, ou lorsqu’aucune personne n’a été mise en cause au cours de l’information judiciaire). La Cour de cassation avait jugé en ce sens « qu’il appartient seulement aux juges, sans pouvoir remettre en cause l’existence des indices graves et concordants de commission des délits poursuivis justifiant la mise en examen des intéressés, de contrôler que le juge d’instruction avait régulièrement ordonné la saisie de l’immeuble et de s’assurer de son caractère confiscable en application des conditions légales, en précisant le fondement de la mesure » (Crim. 26 juin 2019, n° 19-80.235 P, Dalloz actualité, 31 juill. 2019, obs. C. Fonteix).