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Prélude de sortie de crise, en guise de vœux au prochain CGLPL

Cette année 2020 est doublement importante pour le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL). Tout d’abord en ce qui concerne sa gouvernance, puisque cette année coïncide avec l’achèvement le 15 juillet prochain du mandat de six ans accompli par Adeline Hazan à la tête de cette autorité administrative indépendante et avec la désignation de son successeur par le président de la République.

par Éric Sennale 13 avril 2020

Et puis, c’est au moment de dresser le bilan global de la seconde mandature qui a permis à l’institution de s’ancrer solidement dans le paysage administratif national (L. n° 2019-55, 20 janv. 2017, portant statut des AAI et API) que la crise sanitaire liée à la propagation du covid-19 frappe durement la France depuis plusieurs semaines. Elle a ainsi fait irruption dans l’univers de la captivité dans l’état inquiétant où celui-ci se trouvait tel que décrit précisément par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) à dans son arrêt retentissant du 30 janvier dernier (Dalloz actualité, 6 févr. 2020, obs. E. Senna).

La contrôleure générale a donc adapté l’action et la communication de l’institution en multipliant les initiatives afin d’alerter le gouvernement sur les risques encourus au sein de la captivité.

Faisant feu de tout bois, au moyen d’interviews, de communiqués ou de tribune journalistique propre à l’institution ou commune à d’autres autorités en charge de la défense des droits de l’homme (Le Monde, tribune consignée par A. Hazan, J. Toubon et J.-M. Burguburu), le CGLPL a appelé à la décongestion urgente des établissements pénitentiaires, à la fermeture des centres de rétention administrative et à ce que les hôpitaux psychiatriques ne soient pas, une fois encore, le parent pauvre de la médecine.

Dans ce contexte de tension croissante où l’état d’urgence sanitaire restreint l’exercice des libertés fondamentales, il est donc légitime de se demander, parmi les priorités d’action à venir, quelle pourrait être celle qui s’imposera pour le troisième contrôleur général, ce quelle que soit la personnalité qui sera proposée par le chef de l’État.

En principe, par le jeu de la durée respective des mandats, chaque président de la République ne désigne qu’un seul et unique contrôleur général au cours de son mandat.

À cet égard, en 2008 et 2014, ce choix présidentiel avalisé par les commissions des lois des assemblées s’est porté sur un candidat ayant exercé la fonction de magistrat et cette orientation a plutôt bénéficié à l’institution en lui assurant un magistère d’influence qui s’avère bien utile en cette période exceptionnelle.

Cette fois-ci, en période de sortie de crise et grâce à l’expérience acquise par cette autorité, le futur contrôleur général devra être en mesure de convaincre les pouvoirs publics de ne plus renvoyer à demain ce qui doit être engagé sans attendre, c’est-à-dire parvenir à juguler la surpopulation carcérale et, en même temps, promouvoir la généralisation de l’encellulement individuel à hauteur de 80 % de la capacité d’accueil carcérale nationale.

C’est ainsi que le Comité européen pour la prévention de la torture, par une déclaration de principe adoptée le 20 mars dernier, a rappelé que les mesures de lutte contre la pandémie de maladie du covid-19 ne devaient pas aboutir à un traitement inhumain et dégradant des personnes privées de liberté tout en soulignant que le respect de ces principes contribuait aussi à préserver la sécurité du personnel. Il a appelé les États membres à :

  • recourir davantage aux alternatives à la détention provisoire, à la libération anticipée et privilégier les mesures de substitution,
     
  • réévaluer la nécessité de poursuivre les hospitalisations psychiatriques sous contrainte,
     
  • s’abstenir de détenir des migrants en rétention.

De son côté, quelques jours après, Michelle Bachelet, haute-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, a appelé solennellement les gouvernements à prendre des mesures urgentes afin de protéger la santé et la sécurité des personnes en détention dans le cadre des efforts globaux visant à contenir la pandémie. Parmi les actions qu’elle considère comme positives, la haute-commissaire a relevé que devait être activement recherchée la libération des personnes particulièrement vulnérables, des détenus les plus âgés et malades, ainsi que ceux présentant un risque faible.

S’inscrivant pleinement dans la droite ligne de ces déclarations internationales, le CGLPL, dans son dernier communiqué du 1er avril, a jugé que les mesures adoptées par voie d’ordonnance du 25 mars 2020 prises en application de la loi du 23 mars 2020 n’étaient pas à la hauteur et a fait le constat que, malgré une mobilisation exemplaire des parquets et des services de l’application des peines pour diminuer la pression carcérale (Dalloz actualité, 1er avr. 2020, obs. A. Bloch), pour parvenir à une réduction significative et rapide du nombre de personnes détenues en maison d’arrêt, il convenait de recourir aux voies de la grâce et de l’amnistie.

Quelle que soit l’issue de cet appel pressant, pour ceux, les plus nombreux, qui resteront sous les verrous, l’application du principe d’encellulement individuel aurait permis de lutter efficacement contre la promiscuité générée par une surpopulation carcérale généralisée. C’eût été là, sans nul doute, une mesure barrière efficiente assurant la distanciation sociale nécessaire.

C’est donc dorénavant un argument de poids supplémentaire en faveur de cet objectif vertueux à atteindre par le futur contrôleur général, comme J.-M. Delarue l’avait déjà proposé sans succès lors de l’échéance du 25 novembre 2014 (avis CGLPL, 24 mars 2014), ceci pour éviter que l’idée d’une énième reconduction du moratoire venant à échéance le 31 décembre 2022 ne puisse s’imposer à nouveau comme une fatalité.