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Sonorisation et bande organisée : quelques rappels utiles

Par un arrêt du 20 mars 2019 faisant l’objet d’une large publication, la chambre criminelle de la Cour de cassation est venue apporter quelques précisions s’agissant d’une mesure de sonorisation ordonnée relativement à des faits d’extorsion en bande organisée.

par Julie Galloisle 11 juin 2019

En l’espèce, quatre mis en examen des chefs d’extorsion en bande organisée en récidive et association de malfaiteurs avaient demandé à la chambre de l’instruction de prononcer la nullité d’abord s’agissant de la mesure de sonorisation dont ils avaient fait l’objet. Afin de mettre en place une telle mesure, le juge d’instruction avait, par ordonnance de soit-communiqué du 24 mars 2016, ordonné la communication immédiate du dossier de la procédure au procureur de la République pour avis. Le ministère public ayant, par mention manuscrite, émis le même jour un avis favorable à cette investigation, le magistrat instructeur avait ordonné, dès le lendemain, la mise en place sous son contrôle de la sonorisation d’un véhicule Renault Scénic, pour une durée de trois mois. Par arrêt rendu le 12 octobre 2017, la chambre de l’instruction a toutefois rejeté cette demande.

Dans leur pourvoi en cassation formé contre cette décision, les mis en examen soutenaient que la mesure ne pouvait être autorisée par le juge d’instruction « qu’après avis du procureur de la République, par ordonnance écrite et motivée comportant tous les éléments permettant d’identifier les véhicules ou les lieux visés et la durée de la procédure ». Concrètement, les demandeurs au pourvoi exigeaient que les modalités de l’avis formulé par le ministère public comme le contenu de cet avis respectent un certain formalisme. Ce formalisme permet, selon eux, de rendre effectif le contrôle réalisé par le juge d’instruction et d’assurer un double contrôle de proportionnalité, avec l’intervention du procureur de la République, et ainsi préserver l’atteinte à la vie privée des prévenus causée par cette mesure. Pris dans ces circonstances, le ministère public, pour rendre son avis, devait avoir connaissance du dispositif envisagé – captation ou sonorisation –, du véhicule visé ainsi que de la durée de la surveillance du véhicule concerné.

La chambre criminelle a cependant rejeté cette prétention au motif que « seule l’ordonnance par laquelle le juge d’instruction autorise les officiers de police judiciaire agissant sur commission rogatoire à mettre en place un dispositif technique de captation et d’enregistrement des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel doit être motivée au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure ». Autrement dit, le magistrat instructeur est uniquement tenu de motiver la mesure, le procureur de la République pouvant se contenter de rendre un avis préalable sans autre formalisme.

Cette solution ne peut être contestée, à se référer aux dispositions de l’article 706-91 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, devenu par la suite les articles 706-91-1 et 706-97, à la suite de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, lesquels ont récemment été modifiés par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, en vigueur depuis le 1er juin 2019. Par ailleurs, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de préciser que « l’article 706-96 [ancien] du code de procédure pénale ne soumet le recueil de l’avis du ministère public à aucun formalisme particulier » (Crim. 23 janv. 2013, n° 12-85.059, Bull. crim. n° 29 ; Dalloz actualité, 11 févr. 2013, obs. S. Fucini , note T. Potaszkin ; AJ pénal 2013. 227, obs. J. Pronier ).

Les mis en examen reprochaient en outre la motivation de l’ordonnance prise par le juge d’instruction, quant au renouvellement de la mesure de sonorisation. Par ordonnance et commission rogatoire du 13 juin 2016, le juge d’instruction avait en effet autorisé le renouvellement du dispositif, sur le même véhicule, pour une durée de deux mois, à compter du lendemain de l’ordonnance, au motif pris que ce dispositif avait permis d’apporter des éléments utiles à l’information judiciaire en cours. À nouveau toutefois, la chambre de l’instruction a rejeté la demande en nullité, considérant la motivation de l’ordonnance « suffisante en ce qu’elle compl[était] celle figurant à la première ordonnance du 25 mars 2016 ».

Dans leur pourvoi, les demandeurs prétendaient que l’ordonnance qui autorise le renouvellement de la mesure de sonorisation « d[eva]it révéler, à travers sa motivation, un réexamen complet et scrupuleux de la nécessité de la mesure, garantissant un contrôle réel et effectif de la mesure », notamment en précisant les éléments utiles à l’information judiciaire et en justifiant la nécessité de poursuivre la mesure.

Sur ce point, il importe de rappeler que la jurisprudence de la chambre criminelle juge que l’absence de motivation de l’ordonnance qui interdit tout contrôle réel et effectif de la mesure porte atteinte à la vie privée des personnes dont les conversations ont été captées et enregistrées et fait ainsi grief à ces dernières (Crim. 6 janv. 2015, n° 14-85.448, Bull. crim. n° 5 ; Dalloz actualité, 20 janv. 2015, obs. C. Fonteix ; ibid. 1716, point de vue F. Fourment ; ibid. 1738, obs. J. Pradel ). Aussi, la Cour de cassation doit-elle s’assurer que la motivation du juge d’instruction n’apparaît pas trop sommaire, pour ne pas dire laconique. Elle a ainsi pu considérer, dans un arrêt rendu le 6 janvier 2015, que « la seule référence abstraite, dans l’ordonnance du juge d’instruction, aux “nécessités de l’information” ne répond pas à l’exigence de motivation posée par l’article 706-96 [ancien] du code de procédure pénale » (Crim. 6 janv. 2015, n° 14-85.448, préc.).

À n’en pas douter, la critique ici formulée s’inspire directement de cette dernière décision, en considérant insuffisante la mention aux « éléments utiles à l’information judiciaire en cours » sans autre précision. Reste que la Cour de cassation refuse de prononcer la cassation de l’arrêt rendu par la chambre de l’instruction, jugeant que « l’ordonnance litigieuse a été motivée conformément aux exigences posées par l’article 706-96 du code de procédure pénale, devenu les articles 706-96-1 et 706-97 dudit code ». Plus précisément, la haute juridiction retient qu’en l’état des énonciations de la chambre de l’instruction, « dès lors que la première ordonnance ayant retenu que les investigations déjà menées démontraient que l’un des acteurs en cause […] pourrait être impliqué dans les faits objet de l’information et que placé sur écoute, il ressortait des conversations enregistrées par les enquêteurs que ce dernier se montrait très prudent au téléphone et qu’un dispositif de sonorisation du véhicule qu’il utilise fréquemment pourrait apporter des éléments, l’ordonnance litigieuse a été motivée ».

À l’analyse de la solution retenue par la haute juridiction, il apparaît que cette dernière se reporte à la motivation déjà retenue pour justifier de la première ordonnance du dispositif de sonorisation. La Cour de cassation considère ainsi comme suffisante la motivation du renouvellement par report, à supposer, semble-t-il, que celle-ci révèle effectivement l’utilité du mécanisme déjà mis en place.

L’un des mis en examen critiquait enfin sa mise en accusation devant la cour d’assises du chef d’extorsions avec circonstance aggravante de bande organisée. Pour ce faire, il reprochait à la chambre de l’instruction d’avoir retenu la circonstance aggravante alors que l’un des éléments ayant permis la caractérisation de cette circonstance aggravante avait déjà été retenu pour caractériser l’extorsion. Autrement dit, ici, un même fait avait été retenu comme élément constitutif et comme circonstance aggravante, ce qui contrevenait notamment au principe ne bis in idem

Sans surprise toutefois, la Cour de cassation rejette cette critique, jugeant que « les juridictions d’instruction apprécient souverainement si les faits retenus à la charge de la personne mise en examen sont constitutifs d’une infraction ». Cette position est en effet régulièrement rappelée, en attestent ne serait-ce que les décisions rendues le même mois que le présent arrêt (v. Crim.13 mars 2019, n° 18-87.161, Dalloz jurisprudence ; 19 mars 2019, n° 18-87.236, Dalloz jurisprudence ; 26 mars 2019, n° 19-80.127, Dalloz jurisprudence).

Il n’appartient pas donc aux juridictions d’instruction mais aux juridictions de jugement d’apprécier le fond de l’affaire et ainsi la caractérisation de la circonstance aggravante. La Cour de cassation ne saurait dès lors se voir reconnaître plus de pouvoir que n’en avait la chambre de l’instruction. Son office se bornait ici à « vérifier si, à supposer ces faits établis, la qualification justifi[ait] la saisine de la juridiction de jugement », ce qui était le cas puisque la circonstance aggravante avait pour effet de criminaliser les faits d’extorsion (C. pén., art. 312-6). La cour d’assises était donc bien compétente pour juger de ces derniers. C’est à cette dernière qu’il appartiendra « de vérifier, à partir des éléments de fond qui lui sont soumis, le respect du principe ne bis in idem invoqué au regard des différentes qualifications appliquées aux faits pour lesquels le mis en examen est renvoyé devant elle » et donc de la possibilité de retenir la circonstance aggravante.

Précisons à toute fin utile que l’éventuelle impossibilité de retenir une telle qualification criminelle n’aura pas pour effet de rendre incompétente la cour d’assises aux fins de jugement, cette dernière ayant, en tout état de cause, plénitude de juridiction.