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Interview

Fusion des TGI et des TI : « Il fallait rationaliser tout le fonctionnement de ces juridictions »

La fusion des tribunaux de grande instance et d’instance est « LA » réforme civile issue de la loi du 23 mars 2019. Selon la Chancellerie (communiqué de presse d’avril 2018), elle « simplifiera l’organisation de la première instance pour le justiciable ». Sa mise en place est prévue dès le 1er janvier 2020. Interview avec la directrice de projet chargée du pilotage.

le 25 octobre 2019

La rédaction : La justice d’instance est une justice dont les professionnels sur le terrain disent qu’elle fonctionne globalement bien. Pourquoi avoir décidé d’une fusion ?

Françoise Calvez : La réforme a trois objectifs, plus larges que la seule juridiction de l’instance.

Premier objectif : permettre de simplifier la saisine de la juridiction de première instance par le justiciable. Jusqu’à présent, celui-ci devait distinguer entre le tribunal de grande instance (TGI), le tribunal d’instance (TI), le conseil de prud’hommes, ou dans certains cas le tribunal paritaire des baux ruraux. Pour la justice civile et pénale, à partir du 1er janvier 2020, le justiciable pourra identifier le tribunal judiciaire comme étant la juridiction de première instance.

Deuxième objectif de cette réforme : faciliter une rationalisation dans le fonctionnement de ces juridictions, notamment en créant autour du greffe, une communauté unique de travail 

Troisième objectif : instituer un véritable pilotage de l’arrondissement judiciaire par les chefs de juridiction en facilitant une organisation en pôles juridictionnels au sein du tribunal judiciaire.

La rédaction : Qu’est-ce qui n’allait pas avec le fonctionnement du TI ?

Françoise Calvez : Aujourd’hui, en matière civile, le justiciable doit choisir la juridiction en fonction du montant de sa demande. Demain, au sein d’un tribunal judiciaire, on pourra regrouper, par exemple, un pôle civil unique pour tout le contentieux de moins et de plus de 10 000 €. Dans une même commune, il peut y avoir deux bâtiments distincts pour le TI et le TGI. Dans cette hypothèse qui est assez répandue dans l’Hexagone, le tribunal judiciaire va remplacer ces deux juridictions mais les deux sites seront maintenus.

Dans le bâtiment isolé de l’ancien TI, on pourra créer un pôle de la protection où on retrouvera l’essentiel des compétences actuelles du TI. Ce ne sont que des exemples mais ils illustrent les perspectives offertes par la loi LPJ d’une meilleure organisation des juridictions. 

La rédaction : Vous dites « on pourra », mais ce n’est pas obligatoire…

Françoise Calvez : Tout dépendra de la décision du chef de juridiction après concertation de l’assemblée générale des magistrats du siège.

La rédaction : Les derniers décrets sont tombés les 30 août et 18 septembre derniers. La réforme créée « un tribunal de proximité » statutairement différent du tribunal judiciaire avec des compétences propres pour le coup. Ce tribunal existera « dans toutes les communes où il n’existe pas de TGI aujourd’hui ». C’est bien ça ? 

Françoise Calvez : Deux situations peuvent se présenter : si dans une même commune, vous aviez un TGI et un TI, ce dernier disparaît sur le plan administratif au 1er janvier 2020 mais le site demeure.

En revanche, dans l’hypothèse où le TGI et le TI du ressort sont situés dans deux communes différentes, le TGI devient tribunal judiciaire et le tribunal d’instance devient « tribunal de proximité » de ce tribunal judiciaire. Du point de vue de l’organisation judiciaire, ce tribunal est une chambre détachée du tribunal judiciaire. Ils relèvent de la même entité juridictionnelle. 

La rédaction : Le justiciable n’aura qu’un seul acte de saisine pour le saisir, c’est bien ça ? 

Françoise Calvez : Dans le projet de décret de procédure actuellement examiné par le Conseil d’État, la Direction des affaires civiles et du Sceau a proposé de maintenir deux actes pour saisir le tribunal judiciaire. L’assignation et la requête. Actuellement, existent en plus la comparution volontaire des parties et la déclaration au greffe. Celle-ci devrait disparaître mais le justiciable pourra toujours déposer une requête. Cependant le texte n’a pas encore été publié et peut donc encore évoluer.

La rédaction : Pour le justiciable en général, voire pour le plus vulnérable justement, toute cette nouvelle organisation n’est-elle pas un peu compliquée à comprendre ? 

Françoise Calvez : Le justiciable n’aura plus qu’à saisir le tribunal judiciaire sans risque de se tromper. C’est une avancée. En outre, le « service d’accueil unique du justiciable », le SAUJ est justement conçu comme un service de soutien pour le justiciable. C’est un point d’accès unique au tribunal. Il sera le lieu où le justiciable va pouvoir trouver tous les conseils nécessaires pour être orienté dans le dépôt de sa requête ou de son assignation. Il pourra aussi déposer un certain nombre d’actes.

Le décret n° 2019-912 du 30 août 2019 étend cette possibilité, notamment en ce qui concerne les actes de la procédure civile sans représentation obligatoire. De même, en matière pénale, pour les oppositions à ordonnance pénale ou les permis de visite. Tout tribunal judiciaire comme tout tribunal de proximité disposera d’un SAUJ. Ce service s’inscrit à plus long terme dans la perspective de la réforme Portalis qui permettra notamment, d’ici 2022, à tout justiciable de pouvoir saisir en ligne une juridiction et, partout en France, de connaître l’état d’avancement de sa procédure. 

La rédaction : Très concrètement, le tribunal de proximité sera présent sur le site de l’ancien TI dans toutes les communes où il n’existe pas de TGI. Il existe 307 TI aujourd’hui. Il y aura combien de tribunaux de proximité ? 

Françoise Calvez : Je n’ai pas encore de décompte total. Ce que la garde des Sceaux a toujours dit depuis le début, c’est que cette réforme n’était pas celle de la carte judiciaire. L’idée est donc de maintenir les sites. L’un des atouts de la loi sur cet aspect est le renforcement des équipes de greffe.

Aujourd’hui, il existe des petits tribunaux d’instance avec des équipes de quatre ou cinq personnes. À la moindre difficulté, tout le service est fragilisé. Avec cette réforme, les greffiers appartiendront au tribunal judiciaire du ressort. Le directeur de greffe pourra affecter des renforts sur les sites en fonction des besoins. Jusqu’à présent, cette mutualisation ne pouvait se faire qu’au niveau des chefs de cour. Ce sera un gage de souplesse dans le fonctionnement des greffes. On pourra même aider les conseils de prud’hommes. 

La rédaction : Vous mettez beaucoup l’accent sur l’intérêt que présentera cette nouvelle mutualisation des services de greffe. C’était très demandé sur le terrain ?

Françoise Calvez : Oui, car il y avait des inégalités de ce point de vue sur le territoire national. Des inégalités structurelles qui pouvaient d’ailleurs affecter les juridictions d’un même ressort. La réforme est donc une manière de rééquilibrer les forces.

Au 1er janvier 2020, les fonctionnaires de greffe ont tous la garantie d’être renommés dans la commune où ils exercent aujourd’hui leur fonction.

La rédaction : Combien de contentieux le tribunal de proximité aura à connaître ?

Françoise Calvez : La compétence est énumérée dans un des quatre décrets du 30 août 2019. Pour résumer, les compétences actuelles des tribunaux d’instance sont conservées au sein des chambres de proximité, à l’exception des élections professionnelles et des saisies des rémunérations. Les tribunaux paritaires des baux ruraux vont aussi être maintenus. Selon les cas, ces derniers siégeront soit au sein d’un tribunal judiciaire soit au sein d’un tribunal de proximité.

La rédaction : Dans le nouveau socle de compétences dévolu au juge des contentieux de la protection (JCP), on ne retrouve plus les injonctions de payer de moins de 10 000 €. Tout ce contentieux appartiendra à une nouvelle juridiction dématérialisée. Où en est la mise en place ? 

Françoise Calvez : Effectivement, tout ce contentieux relèvera de cette juridiction unique et dématérialisée. Son installation est fixée au plus tard au 1er janvier 2021. Elle siégera à Strasbourg et aura à juger de toutes les requêtes en injonction de payer qui relèvent aujourd’hui de la compétence des TGI et des TI, et les injonctions de payer européennes. Toutes seront traitées de manière dématérialisée.

La rédaction : En attendant, qui va connaître de ce contentieux au 1er janvier ?

Françoise Calvez : En attendant 2021, ce contentieux relèvera de la compétence du tribunal judiciaire ou de ses chambres de proximité selon le montant des demandes, comme c’est le cas aujourd’hui.

La rédaction : Les 790 juges d’instance disparaissent et deviennent le JCP. Tous les juges d’instance ont accepté de devenir JCP ? 

Françoise Calvez : La loi organique a prévu un dispositif dérogatoire qui fait que tous les juges d’instance, qui ne souhaitait pas faire un autre choix, ont été renommés automatiquement JCP. Dès le mois d’avril, les juges d’instance ont été informés de cette procédure spécifique par un courrier du directeur des services judiciaires. Ils ont pu, s’ils ne souhaitaient pas devenir juges des contentieux de la protection, soit solliciter une mutation, soit demander à être déchargés de leur fonction spécialisée de juge d’instance.

À la fin du mois d’octobre, une nouvelle transparence va proposer au Conseil supérieur de la magistrature la liste des magistrats susceptibles d’être renommés JCP à compter du 1er janvier 2020, et après avis de ce dernier, des décrets de nomination interviendront. 

La rédaction : Mais combien de JCP seront en poste au 1er janvier ? Des vacances de poste sont-elles à prévoir ?

Françoise Calvez : À ce stade, la très grande majorité des juges d’instance a préféré rester JCP.

La rédaction : Tous les sites sont maintenus mais le JCP ne siégera pas nécessairement dans un tribunal de proximité. Selon les calculs du syndicat de la magistrature, 590 sur les 790 juges d’instance devenus JCP seront essentiellement affectés au sein d’un tribunal judiciaire, soit 75 %. Vous confirmez ?

Françoise Calvez : Les JCP pourront en effet exercer aussi bien dans un tribunal judiciaire que dans une chambre de proximité. Les juges d’instance actuels ont la garantie d’être renommés JCP dans la juridiction où ils exercent actuellement.

La rédaction : Le JCP aura statutairement à connaître du contentieux de la protection (tutelle majeure, bail d’habitation, crédit à la consommation, surendettement…). Mais il pourra perdre potentiellement le contentieux civil de moins de 10 000 € ?

Françoise Calvez : Ou pas ! Tout cela n’est pas figé. S’il siège au sein d’un tribunal de proximité, il aura à en connaître puisque ce contentieux civil jusqu’à 10 000 € sera de la compétence des chambres de proximité ; s’il siège dans un tribunal judiciaire, il s’agira d’une décision des chefs de juridiction, en fonction des schémas d’organisation en pôles qui seront arrêtés, lesquels dépendront localement du volume respectif des contentieux ; ces décisions seront prises en concertation avec les assemblées générales des magistrats et des fonctionnaires. Ainsi, un JCP pourrait rejoindre un pôle civil du tribunal judiciaire pour tenir des audiences sur des contentieux civils jusqu’à 10 000 €.

La rédaction : Les syndicats de tous bords (magistrats, greffiers, avocats) se sont émus de cette fusion. Certains ont même parlé tristement des « dernières heures de la justice de proximité ». Vous-même avez exercé les fonctions de juge d’instance. Qu’est-ce que vous avez à leur dire ?

Françoise Calvez : Plusieurs indices ne vont pas dans leur sens. D’abord, le projet de loi a évolué. Dans une première version, il était question de supprimer la fonction de l’instance point final. Et puis, la ministre a souhaité, à la suite d’une large concertation et de nombreux déplacements dans les cours d’appel, identifier un juge de la vulnérabilité économique et sociale qu’est devenu le JCP. Elle a donc écouté les craintes de nos collègues et les a prises en compte.

Deuxième indice, les chefs de cour, par décision conjointe et après concertation, pourront proposer d’ajouter de nouvelles compétences dans les chambres de proximité. Ce choix devra répondre à un besoin identifié des territoires concernés, mais il pourra porter sur tout contentieux civil ou pénal. On pense, par exemple, à tout le contentieux post ou hors divorce, dans des territoires où vous avez des tribunaux de proximité isolés. Un JAF pourrait ainsi y tenir ces audiences sans que le justiciable ne soit contraint de se déplacer au tribunal judiciaire plus ou moins accessible. On pourra donc ajouter des compétences aux tribunaux de proximité quand cela sera nécessaire et en fonction des situations locales. C’est donc bien qu’on s’oriente vers le maintien de la justice de proximité ! 

Enfin, j’observe que les équipes de greffe seront renforcées. Lorsque ce sera nécessaire, ces tribunaux de proximité pourront bénéficier d’un réel soutien de la part du tribunal judiciaire, ainsi que cela a déjà été dit.

 

 

Propos recueillis par Thomas Coustet

Françoise Calvez

Françoise Calvez, en charge du pilotage de la transformation de l'organisation judiciaire auprès du directeur des services judiciaires.
Juge d’instance pendant huit ans, elle a notamment participé à la fusion des tribunaux d’instance parisiens.