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Interview

Quelles perspectives pour la liberté de la presse ? Entretien avec le professeur Evan Raschel

À l’occasion de la première édition de son ouvrage Droit de la presse publié aux éditions Dalloz, dans la prestigieuse collection des « Précis », Evan Raschel, professeur à l’École de droit de l’Université Clermont Auvergne revient sur les valeurs essentielles portées par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, les évolutions du droit de la presse et les perspectives inquiétantes qui se dessinent concernant la liberté d’expression.

le 16 mai 2025

La rédaction : Quelles sont les valeurs portées par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, et quelles en sont les spécificités ?

Evan Raschel : La valeur principale véhiculée par la loi du 29 juillet 1881 est révélée par son intitulé : la loi « sur la liberté de la presse ». La circulaire de présentation du garde des Sceaux du 9 novembre 1881 l’affirmait : « C’est une loi de liberté, telle que la presse n’en a jamais eue en aucun temps ». Concrètement, disparaissent définitivement en 1881 les éléments d’un contrôle préventif de l’information, à commencer par l’autorisation préalable et le dépôt de cautionnement ; il y a bien des formalités imposées – déclaration enregistrée par les services du parquet, dépôt – mais sans pouvoir faire l’objet d’aucun contrôle substantiel ni censure. Alors que la censure fut la règle sous l’Ancien Régime, et ne fut officiellement abolie qu’en 1830, la loi de 1881 contient aujourd’hui encore cet article 5 : « Tout journal ou écrit périodique peut être publié sans déclaration ni autorisation préalable, ni dépôt de cautionnement ». En réalité, il existe quelques mesures d’origine législative ou jurisprudentielle permettant ce qui pourrait s’apparenter à un mécanisme de censure…

La contrepartie de cette libéralisation fut la responsabilisation des personnes qui en bénéficient : les journalistes et écrivains bien sûr, mais au-delà, tous les citoyens. En 1881, la responsabilité découlant d’un abus de la liberté d’expression était presque exclusivement pénale. Elle a depuis été complétée par une responsabilité civile, et même administrative (via l’ARCOM). Ces responsabilités ne contredisent pas la liberté, elles en sont la conséquence : on « répond de » quelque chose que l’on a pu exprimer : on peut donc bien tout dire, rire de tout, personne ne sera empêché de le faire… en cas d’abus, la personne sera condamnée, mais se sera malgré tout exprimée. Un régime de prévention (administrative) aurait été bien plus strict, susceptible d’aboutir soit à de véritables censures, soit à des retards dus aux contrôles préalables, alors même que la Cour européenne des droits de l’homme a logiquement souligné que l’information est un « bien périssable », de sorte qu’« en retarder la publication, même pour une brève période, risque fort de la priver de tout intérêt »....

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Evan Raschel

Evan Raschel est Professeur à l’École de droit de l’Université Clermont Auvergne, dont il dirige le Centre de recherches (Centre Michel de l’Hospital UR 4232). Il y enseigne notamment le droit de la presse et la liberté d’expression, ainsi que dans les Universités Paris Panthéon-Sorbonne et Paris Panthéon-Assas. Depuis plus de dix ans, l’essentiel de ses recherches et publications est orienté vers ces matières.