Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Interview

Quinquennat Macron : quelle évolution des statut et droits des auteurs ?

Alors que le quinquennat de l’actuel président de la République française se termine, Dalloz actualité a souhaité retracer, à travers une série d’entretiens, les grandes évolutions juridiques à l’œuvre durant ces cinq dernières années sous l’effet conjugué de l’action des pouvoirs exécutif et parlementaire, voire des décisions de justice, et réfléchir aux évolutions à venir. Focus sur l’évolution du statut et des droits des auteurs.

le 2 mars 2022

Emmanuel Macron ayant annoncé dans son programme présidentiel en 2017 que « le premier chantier sera celui de l’éducation et de la culture », nous avons souhaité revenir notamment sur l’évolution du statut et des droits des auteurs, avec Stéphanie Le Cam, maître de conférences à l’université Rennes 2, Christophe Pascal, avocat au barreau de Paris, et Benoît Peeters, auteur et scénariste, président de l’association Les états généraux de la bande dessinée.

 

La rédaction : Dans son programme en 2017, Emmanuel Macron annonçait « le premier chantier sera celui de l’éducation et de la culture ». Cinq ans après, quelles ont été les mesures marquantes en droit d’auteur durant ce quinquennat ?

Stéphanie Le Cam : Ce quinquennat sera sans doute marqué par les transpositions de deux directives européennes importantes : la directive dite « Cabsat 2 » du 17 avril 2019 qui établit principalement des règles pour améliorer l’accès transfrontière à un plus grand nombre de programmes TV et radio, et sa jumelle, la directive dite « Damun » qui vise notamment à créer un droit voisin des éditeurs de publication de presse et mettre en place de nouvelles obligations à la charge des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne et apporter des dispositions relatives au droit contractuel des auteurs et artistes-interprètes.

Des transpositions ont été réalisées. La loi du 24 juillet 2019 a créé un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse. En outre, l’ordonnance du 12 mai 2021 transposait les parties de la directive propres à la responsabilité des plateformes et propres au droit contractuel des auteurs et des artistes-interprètes. Et cette dernière transposition a pu interroger quand on sait que, sur la forme, le gouvernement s’est appuyé sur la crise sanitaire pour justifier son habilitation à légiférer par voie d’ordonnance. Des questions aussi cruciales auraient dû être soumises au débat parlementaire et, sur le fond, la transposition des articles relatifs au droit contractuel est fort peu ambitieuse, au regard des opportunités qu’ouvrait le texte de la directive. Le législateur français aurait pu aller plus loin… L’occasion a totalement été manquée. Dans le prolongement du droit d’auteur, le sujet des auteurs, et particulièrement de leurs droits, a été particulièrement sensible durant ce quinquennat. On retiendra plusieurs missions de prospection mettant en lumière, de manière inédite, les problématiques d’absence de statut pour les auteurs, mais sans toutefois que des solutions concrètes aient été apportées, à la suite des rapports qui en sont issus, ceci en dépit de nombreuses alertes des auteurs eux-mêmes.

Benoit Peeters : J’interviendrai davantage pour évoquer le droit des auteurs plutôt que le droit d’auteur. Juste avant ce quinquennat, l’enquête des États généraux de la BD avait fait apparaître, mais c’est applicable à d’autres secteurs, la catégorie de « professionnel précaire ». Lorsqu’on a demandé aux auteurs s’ils se considéraient comme des amateurs, des professionnels installés ou des professionnels précaires, plus de la moitié se sont reconnus dans cette dernière catégorie. Cela veut dire qu’ils travaillent à plein temps, que c’est leur métier principal, et qu’en même temps, ils ne sont pas en mesure d’en vivre. C’est un point clé qui a montré l’ubérisation grandissante des métiers de la création, l’idée que l’on prend puis on jette, sans se soucier de la construction d’un parcours, d’une carrière, d’une œuvre, ou tout simplement du destin concret de la personne que l’on a en face de soi.

L’auteur qu’on évoque dans les discussions officielles est souvent un être quasi abstrait. Beaucoup d’auteurs et d’autrices ont l’impression que le droit d’auteur est devenu un simple principe et non une réalité tangible. Un peu comme quand on invoque les droits de l’homme sans tenir compte des conditions réelles dans lesquelles ils peuvent s’exercer. Le droit d’auteur est trop souvent instrumentalisé par les diffuseurs et les politiques lorsqu’ils le brandissent dans des négociations internationales, notamment contre les GAFAM. Il est à ce moment-là vidé de son contenu, c’est-à-dire qu’on joue le principe du droit d’auteur contre l’effectivité des droits des auteurs. Les problèmes rencontrés ne sont pas uniquement catégoriels : ils touchent les artistes-auteurs de manière structurelle. Les rencontres entre les auteurs de l’écrit, les illustrateurs, les scénaristes et les photographes, ont montré que beaucoup de problèmes leur étaient communs. Tous souffrent par exemple de dispositions inadéquates, et même parfois punitives, en matière sociale et fiscale. Tous pâtissent d’un partage de la valeur défavorable avec les éditeurs, producteurs et diffuseurs. Il est donc apparu nécessaire de créer un mouvement transdisciplinaire, comme le sont d’ailleurs les artistes-auteurs qui naviguent professionnellement entre les genres. Ayant succédé à Françoise Nyssen, le ministre de la Culture, Franck Riester, a porté davantage d’attention aux difficultés des créateurs et créatrices, en confiant notamment la mise en œuvre d’une mission de prospection sur le statut des auteurs au conseiller Bruno Racine. Pratiquement aucune suite concrète importante n’a cependant été donnée à ce rapport.

La rédaction : Le quinquennat est caractérisé par de nombreuses études commandées par le ministère de la Culture et relatives à la situation économique et sociale des auteurs. Pensez-vous que nous soyons aujourd’hui face à un tournant en ce qui concerne le statut et la reconnaissance des auteurs ?

Benoit Peeters : Le rapport Racine s’est penché de manière précise sur le statut d’artiste-auteur, une catégorie mal comprise sinon ignorée par les pouvoirs publics, qui est la grande oubliée des politiques du ministère de la Culture depuis des années. Les ministres successifs se sont préoccupés des industries culturelles, et parfois de démocratisation culturelle. Mais quand il s’agissait par exemple de parler des auteurs du livre, c’est à la porte du Syndicat national de l’édition (SNE) qu’ils allaient frapper, comme si les grands groupes éditoriaux étaient en situation de parler pour tout le secteur. Par ailleurs, lorsque le ministre va à Bruxelles pour défendre le droit d’auteur, c’est souvent un droit très abstrait qui est évoqué, et qui concerne en réalité plutôt les diffuseurs que les auteurs. Bruno Racine a pris sa mission très au sérieux, il s’est entouré de spécialistes et a réalisé un travail remarquable, une analyse de fond qui a donné lieu à un rapport très cohérent. Ce n’est pas une addition de mesurettes, mais une réflexion d’ensemble sur les métiers de la création. Malheureusement, un considérable travail de lobbyisme a d’abord retardé la publication du rapport Racine, puis l’a vidé d’une bonne partie de sa substance. Dans un premier temps, les artistes-auteurs ont craint qu’il ne sorte pas. Le rapport a finalement été publié et on a pu le lire, l’analyser, le commenter. Mais il y a eu de la part d’un certain nombre d’instances influentes – des éditeurs, mais aussi certains organismes de gestion collective – une volonté de torpiller les propositions les plus novatrices. Par exemple sur le contrat de commande, ou la possibilité de créer de véritables syndicats d’auteurs, réellement indépendants et financés, comme dans n’importe quelle autre branche. Le remplacement de Franck Riester par Roselyne Bachelot-Narquin à la tête du ministère de la Culture semble avoir porté le coup de grâce au rapport Racine, générant une immense déception. Puis la crise covid a révélé plus encore la précarité des artistes-auteurs, montrant notamment la difficulté à les identifier de manière objective. Dans un premier temps, les artistes-auteurs n’avaient pas droit aux aides du gouvernement de manière automatique.

Stéphanie Le Cam : Il est vrai que ce quinquennat sera aussi marqué par cette crise covid, laquelle a finalement été l’occasion de voir qu’on était bien incapable d’identifier de manière rapide et correcte celles et ceux qui se consacrent professionnellement à l’activité de création. Identifier les plus fragilisés par les conséquences financières des confinements, des reports de publications et de diffusions ainsi que des annulations en tout genre a été un vrai casse-tête pour les pouvoirs publics. Du reste, la mise en œuvre de plan d’aides d’urgence pour essayer de renforcer la protection des plus impactés économiquement a été faite selon une méthodologie au doigt mouillé. Il en résulte que les conséquences de cette crise seront visibles longtemps dans ce milieu de la création et cela même après un « retour à la normale ». Et pourtant, l’absence d’observatoire des métiers de la création était pointée par le rapport Racine, quelques mois avant le début de la crise, et cette dernière a simplement fait la démonstration que l’identification d’une profession est la condition sine qua non d’une meilleure protection du statut.

La rédaction : Quelles perspectives d’avenir sont attendues à la suite de ce quinquennat ?

Benoît Peeters : Sans décision politique forte pour améliorer concrètement la protection des auteurs, les relations très déséquilibrées entre auteurs et éditeurs risquent rapidement d’avoir des conséquences destructrices pour toute la chaîne du livre. Ce n’est pas un simple slogan que de dire « sans auteur, pas d’éditeur ». C’est une réalité très concrète : si un nombre grandissant d’artistes-auteurs sont contraints d’abandonner leur métier parce qu’ils ne peuvent plus en vivre, toute une part de la production éditoriale, nécessaire à l’économie du secteur, ne tardera pas à s’écrouler. On se félicite souvent de la grande créativité française dans un certain nombre de domaines et de la circulation internationale des œuvres. Mais on a longtemps considéré que ces domaines pouvaient fonctionner en pure économie privée, sans vrai soutien public. Certes, il existe des aides de l’État, comme celles du Centre national du livre (CNL), mais ce qu’a montré le rapport Racine, c’est que la part réservée aux auteurs est très faible. Cela mérite vraiment d’être repensé. Ce ne sont pas seulement les industries culturelles qui doivent être soutenues, mais les artistes-auteurs sans lesquels rien ne pourrait exister. Faute de soutien, les domaines d’excellence, exportés dans le monde entier, que sont notamment la bande dessinée et le livre jeunesse, risquent de s’effondrer. Comment les artistes-auteurs survivront-ils dans les prochaines décennies ? De nouvelles sources de financement de la création apparaîtront-elles ? L’expertise, le savoir-faire longuement acquis, l’engagement de tout l’être qui caractérisent l’auteur au sens fort du terme sont-ils condamnés à disparaître ? Ce qui est clair, c’est que la précarité des créateurs et créatrices ne cesse d’augmenter, alors que la sphère culturelle continue de générer d’immenses richesses.

Christophe Pascal : Dans le domaine de l’audiovisuel, et sous l’influence des plateformes, l’on constate un mouvement encore plus défavorable aux auteurs, et notamment aux scénaristes, avec des pratiques contractuelles directement inspirées des pratiques anglo-saxonnes, ceci sans le contrepoint apporté, outre-Atlantique, par les guildes.

De ce point de vue, l’introduction dans l’ordonnance n° 2020-1642 du 21 décembre 2020 portant transposition de la directive (UE) 2018/1808 du 14 novembre 2018 modifiant la directive 2010/13/UE relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels (SMAD) de dispositions censées subordonner le bénéfice d’aides financières à l’inclusion dans les contrats conclus avec les auteurs d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles de clauses types assurant le respect des droits moraux reconnus aux auteurs par les articles L. 121-1 et L. 121-5 du code de la propriété intellectuelle et des principes énoncés aux articles L. 131-4 et L. 132-25 du même code relatifs à la détermination de leur rémunération s’est montrée totalement ineffective, ces prétendues clauses types ne s’avérant être que la reprise, parfois même dénaturée, des dispositions du code de la propriété intellectuelle.

Elle ne démontre, au mieux, qu’une volonté d’affichage, sans aucune effectivité réelle.

Il s’agit, sur ce point, comme pour l’ordonnance du 12 mai 2021 transposant les parties de la directive propres au droit contractuel des auteurs et des artistes-interprètes d’occasions historiques de renforcer le droit des auteurs, considéré, dans son acception historique, comme un droit de protection des auteurs, ceci alors que l’on constate, en parallèle, un développement bien réel du droit d’auteur, considéré comme un instrument juridique de type copyright, avec, par exemple, la loi du 24 juillet 2019 créant un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse.

Stéphanie Le Cam : La protection des intérêts individuels précédemment décrits est conditionnée par l’émergence d’un vrai droit des relations collectives adapté aux spécificités des métiers de la création. Une nouvelle tendance est apparue durant ce quinquennat avec l’apparition de plus en plus d’accords professionnels, dans la mesure où sous l’influence du droit européen, le code de la propriété intellectuelle fait maintenant de nombreuses références aux accords collectifs. Or il n’existe pas de cadre clair pour organiser ces négociations collectives. Si le droit d’auteur devient un droit de plus en plus conventionnel, cela doit amener le législateur à traiter l’épineuse question de la représentation et de la négociation collective. Les autres branches professionnelles imposent des cadres à respecter avant de négocier, le secteur de la création n’en a jamais eu et le ministère de la Culture a du mal à se familiariser avec les règles qui encadrent normalement tout ce processus d’élaboration des normes négociées. On peut illustrer ce problème facilement : lorsqu’on négocie la convention collective nationale de la pêche professionnelle maritime, on n’invite pas les organisateurs des festivals des chants de marins à la table des négociations pour avoir leur avis sur les conditions de travail des pêcheurs et tout le monde trouve ça normal. Et pourtant, dans le milieu de la création, le désordre est complet et rien ne bouge. Madame la ministre Bachelot-Narquin a même expliqué ironiquement qu’elle préférait régler les conflits territoriaux en mer de Chine plutôt que les conflits entre artistes-auteurs, la crise de la représentativité n’est pas près d’être réglée. Or, lorsque des structures comptent des adhérents qui sont à la fois des éditeurs, des auteurs vivants et des héritiers représentants des auteurs morts, elles représentent bien des intérêts et cela est indiscutable, mais ce ne sont pas les mêmes intérêts que ceux qui sont défendus par des structures syndicales basées uniquement sur la défense des professions d’auteurs bien vivants. Il faudra donc régler cette question épineuse.

Stéphanie Le Cam, Christophe Pascal et Benoît Peeters

Stéphanie Le Cam est maître de conférences à l’université Rennes 2.

Christophe Pascal est avocat au barreau de Paris.

Benoît Peeters est auteur et scénariste, président de l’association Les états généraux de la bande dessinée.