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Le droit en débats

Accessibilité des produits et des services : une question délaissée en France malgré l’urgence de la mise en conformité

Par Christelle Coslin et Nicolas Rohfritsch le 12 Septembre 2024

D’après les chiffres de la DRESS, environ 7,6 millions de Français sont porteurs d’un handicap1, et ce chiffre devrait encore progresser dans les prochaines années avec le vieillissement de la population.

Alors que les législateurs européens et nationaux ont tardé à légiférer et ont limité jusqu’à très récemment les normes relatives à l’accessibilité des produits et des services à certains domaines, un tournant majeur vient d’être franchi.

La France a récemment transposé la directive européenne (UE) 2019/882 relative à l’accessibilité des produits et des services. Si cette transposition n’a pas fait grand bruit, il y a fort à parier que la tenue des Jeux paralympiques à Paris durant l’été 2024 contribuera à sensibiliser le public sur les problématiques liées à l’accessibilité, dont se saisiront in fine les autorités de régulation.

La mise en conformité avec les nombreuses exigences contenues dans cette directive et qui visent un large spectre de produits et de services doit donc devenir une priorité pour les entreprises car leur entrée en vigueur est fixée au 28 juin 2025, soit dans moins d’un an.

Un droit européen foisonnant en faveur de l’intégration des personnes en situation de handicap

Il n’est pas surprenant que l’initiative de ces nouvelles obligations provienne de Bruxelles : l’Union européenne, dont les traités exigent qu’elle « cherche à combattre toute discrimination fondée sur (…) un handicap »2 a depuis de nombreuses années fait de l’intégration des personnes porteuses de handicap un objectif majeur de ses politiques.

Dès 2009, les directives 2009/136/CE, 2010/13/UE, ou encore la directive (UE) 2016/102 ont posé des exigences en matière d’accessibilité des réseaux de communication publics et des services de communications électroniques et imposé des obligations en matière d’accessibilité des sites internet et des applications mobiles des organismes du secteur public. Celles-ci ne concernent toutefois qu’un nombre restreint de domaines.

C’est pourquoi la directive (UE) 2019/882 relative aux exigences en matière d’accessibilité applicables aux produits et aux services, adoptée en avril 2019, marque une étape décisive en imposant que de nombreux produits et services à l’échelle de l’Union soient rendus pleinement accessibles. Elle a pour double objectif de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur en éliminant les obstacles qui entravent la libre circulation de certains produits et services accessibles découlant d’exigences divergentes dans les États membres et de créer une société plus inclusive.

Les États membres étaient chargés de transposer la directive au plus tard le 28 juin 2022, mais la France a tardé et n’y a finalement procédé qu’au cours de l’année 2023 avec l’article 16 de la loi n° 2023-171 du 9 mars 2023, complétée par le décret d’application n° 2023-931 et par l’arrêté du 9 octobre 2023, qui reproduisent mot pour mot le contenu de la directive. Les exigences établies par cette dernière sont ainsi pleinement intégrées en droit français depuis fin 2023 et seront applicables le 28 juin 2025.

La directive se distingue par son large champ d’application, tant s’agissant de la quantité de produits et services auxquels elle s’applique que du nombre d’opérateurs économiques concernés, qui se retrouve dans la transposition française.

Des produits et services nombreux soumis à des exigences précises et concrètes

Les produits concernés sont aussi variés que3 :

  • les systèmes informatiques matériels à usage général du grand public et systèmes d’exploitation relatifs à ces systèmes matériels ;
  • les terminaux en libre-service de paiement ou destinés à la fourniture des services concernés (guichets de banque automatiques, distributeurs de titres de transport, bornes d’enregistrement, terminaux interactifs fournissant des informations) ;
  • les équipements terminaux grand public avec des capacités informatiques interactives, utilisés pour les services de communications électroniques et pour accéder à des services de médias audiovisuels et
  • les liseuses numériques.

Les services concernés sont :

  • les services de communications électroniques ;
  • les services fournissant un accès à des médias audiovisuels ;
  • certains éléments de services de transport aérien, ferroviaire, par voie de navigation intérieure et par autobus de voyageurs (sites internet, billetterie, fourniture d’informations, terminaux en libre-service) ;
  • certains contrats et services bancaires fournis aux consommateurs et
  • les services de commerce électronique.

La directive liste de façon détaillée les exigences concrètes auxquelles devront répondre ces produits et services en matière d’accessibilité. Parmi ces exigences, on peut citer la nécessité de rendre disponible aux moyens de plusieurs canaux sensoriels les informations sur l’utilisation du produit ou du service, ou la nécessité, lorsque le produit utilise la parole, des éléments visuels, ou des sons pour transmettre des informations, de proposer des solutions de substitution. La France les a transposées à l’identique dans l’arrêté ministériel du 9 octobre 20234.

Un large champ d’opérateurs économiques soumis à des obligations étendues

Le champ d’application ratione personae est étendu : tous les fabricants, importateurs et distributeurs de produits ainsi que les prestataires de services sur le marché de l’Union y sont en principe soumis.

Pour des raisons de proportionnalité, la directive (UE) 2019/882 relative aux exigences en matière d’accessibilité applicables aux produits et aux services prévoit toutefois deux dérogations reprises en droit français par le décret n° 2023-931 du 9 octobre 2023. Premièrement, les microentreprises, employant moins de dix personnes et dont le chiffre d’affaires ou le bilan total annuel n’excède pas 2 millions d’euros, ne sont pas concernées. Deuxièmement, les nouvelles exigences d’accessibilité des produits et services pourront être écartées si elles exigent une modification significative du produit ou du service entraînant une modification fondamentale de sa nature, ou imposent une charge disproportionnée aux opérateurs économiques concernés. Ces derniers procèdent eux-mêmes à l’évaluation du caractère disproportionné de la charge, mais ils doivent en apporter la preuve à partir de critères d’évaluation précisément listés à l’annexe de l’article D. 412-60 du code de la consommation.

Les obligations auxquelles sont soumis les opérateurs économiques qui ne rentrent pas dans l’un de ces cas dérogatoires sont également précises et nombreuses.

Les fabricants, importateurs et distributeurs de produits devront s’assurer notamment que les produits qu’ils mettent sur le marché respectent les exigences applicables en matière d’accessibilité décrites ci-dessus. S’ils constatent une non-conformité, ils devront prendre les mesures correctives nécessaires et le cas échéant, les retirer du marché. Ils devront également faire preuve de diligence et de coopération face aux demandes d’informations qui leur seront communiquées par les autorités compétentes.

Les fabricants devront, en outre, établir une documentation technique conforme, mettre en œuvre une procédure d’évaluation de la conformité dont les modalités sont détaillées et, en cas de validation, établir une déclaration UE de conformité et apposer le marquage CE. Ils devront par ailleurs indiquer leurs nom et coordonnées sur le produit, et veiller à ce qu’il soit accompagné d’informations de sécurité claires et fournies dans une langue comprise de l’utilisateur final.

Les importateurs et les distributeurs devront quant à eux s’assurer que ces formalités ont été respectées, que les conditions de transport et de stockage des produits ne compromettent pas sa conformité et indiquer également leurs nom et coordonnées sur le produit.

Les prestataires de services devront fournir des services conformes aux exigences précitées en matière d’accessibilité et être en mesure d’expliquer comment leurs services satisfont à ces exigences. Ces informations devront être mises à la disposition du public sous forme écrite et orale, y compris d’une façon qui soit accessible aux personnes handicapées. À l’instar des opérateurs économiques mettant sur le marché des produits, ils devront veiller, en cas de non-conformité constatée, à prendre les mesures correctives nécessaires. Ils devront également faire preuve de diligence et de coopération face aux demandes d’informations qui leur seront communiquées par les autorités compétentes.

Des sanctions et des pouvoirs de contrôle et de mise en exécution adaptes au cadre français

Le nouvel article R. 451-4 du code de la consommation précise que le montant maximal de la sanction encourue en cas de manquement est une amende de 5e classe, soit 7 500 € pour les personnes morales et 15 000 € en cas de récidive. Ce montant correspond à celui déjà prévu en cas de violation des obligations de conformité préexistantes dans le code de la consommation. La directive précise également que les sanctions doivent tenir compte « de l’étendue du cas de non-conformité, notamment de sa gravité et du nombre d’unités de produits ou services non-conformes mais aussi du nombre de personnes concernées » (art. 30 de la directive).

Une volonté politique croissante de rattraper le retard de la France en matière d’accessibilité

Alors que les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 ont donné un coup de projecteur à la question de l’accessibilité en France, et à moins d’un an de l’entrée en vigueur des exigences du décret n° 2023-931 du 9 octobre 2023 et de l’arrêté du 9 octobre 2023 transposant la directive européenne sur l’accessibilité des produits et des services, ceci constitue le dernier appel pour les opérateurs économiques qui n’auraient pas encore programmé leur mise en conformité.

 

1. DRESS, Études et résultats, févr. 2023, n° 1254.
2. TFUE, art. 10.
3. Liste reprise par le décr. n° 2023-931 du 9 oct. 2023 relatif à l’accessibilité aux personnes handicapées des produits et services.
4. Arr. du 9 oct. 2023 fixant les exigences en matière d’accessibilité applicables aux produits et services.