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Soumis par Thill à 7 novembre 2022 - 10:29
Chaque semaine, le tribunal administratif de Montreuil, deuxième département le plus pauvre de France et en tension démographique, reçoit des requérants de toutes nationalités en droit des étrangers, parmi les dossiers de droit de la fonction publique, droit fiscal, social ou de l’urbanisme. L’occasion de mesurer les enjeux humains et les problématiques administratives derrière ce contentieux de masse.
« Erreur manifeste d’appréciation », « procédure viciée », « défaut de motivation du préfet »… Les affaires se suivent et les mots se répètent dans la bouche des avocats. Les documents aussi, s’accumulent, gages d’une relative stabilité : 200 pièces produites ici, 47 fiches de paie là. Pour tous, un objectif : faire annuler la décision de la préfecture qui impose aux ressortissants étrangers de cette audience, de quitter le territoire français (OQTF) avec ou sans délai, obligation assortie ou non d’une interdiction de retour en France pendant plusieurs années. Ce vendredi 30 septembre, au tribunal administratif de Montreuil, l’audience en droit des étrangers se tient dans une salle pleine : des requérants seuls, en couple, en famille, le plus souvent accompagnés de robes noires. Quelques-uns, plus rares, ne se sont pas déplacés, laissant le soin à leur conseil de défendre leur cas face à la préfecture. Une femme âgée aux cheveux gris retenus en chignon s’avance timidement à la barre, dans le sillage de son avocate. Cette dernière raconte « la stupeur » de cette cliente, Mme G, lorsqu’elle a appris le refus de la préfecture de renouveler son titre de séjour après plus de onze ans passés légalement en France auprès de sa famille. Cet élément n’est d’ailleurs « pas contesté par l’administration », rappelle l’avocate. Néanmoins, la préfecture lui impose une obligation de quitter le territoire sous 30 jours. Sa fille et son gendre, présentés par l’avocate à la présidente et à ses deux assesseurs, se tiennent au quatrième rang. Serrés l’un contre l’autre, ils ont l’air inquiets. L’accent est mis sur l’importance du rôle de grand-mère de Mme G, en particulier l’année 2020, alors que sa fille part en Algérie s’occuper de son père malade. Il décédera la même année, mais la crise sanitaire empêchera la femme de rentrer avant 2021. « Pendant cette période difficile, Mme G a beaucoup aidé son gendre », précise la conseil qui insiste sur la maladie de sa cliente, dossier médical à l’appui, atteinte de la DMLA – « elle n’y voit pas grand-chose ». « Elle n’a plus que deux sœurs très âgées en Algérie, qui ne pourraient pas s’occuper d’elle, tonne-t-elle à la barre. Et quand bien même, sa cellule familiale est en France, indubitablement. » Un peu plus tard, M. et Mme B, un couple d’Albanais, se présentent à la barre avec leur avocate, tout aussi intimidés par ce décorum, face à l’enjeu de leur maintien ou non en France. La préfecture a ordonné, à leur encontre, une OQTF en 2021, une interdiction de retour en France de deux ans. Eux réclament à l’Etat une astreinte de 150 euros par jour de retard en cas d’inexécution de la décision (supposée favorable) du tribunal. Un premier référé a été rejeté. Ils jouent là tous leurs espoirs. « La famille s’est reconstituée en France avec une fille de 13 ans qui est l’interprète de la famille, et un garçon de 6 ans qui ne connaît pas l’Albanie », prévient l’avocat, Me Mbaye. Il reconnaît la difficulté du couple à régulariser sa situation, mais assure qu’« ils paient des impôts ». « Les enfants seraient les plus touchées par ce départ. Ils méritent qu’on leur donne la chance de poursuivre leur vie en France, d’autant que les parents sont des personnes sérieuses », lance-t-il aux magistrats, espérant pouvoir les convaincre grâce aux pièces du dossier. La présidente, Monique Rey-Coquais Salzmann le remercie. Le délibéré sera rendu quinze jours plus tard.
Le contentieux des étrangers: un contentieux de masse
Si le contentieux des étrangers constitue la part la plus importante des nouvelles affaires en France, soit près 40 % par an, il est endémique en Île-de-France, notamment à Montreuil soit 56 % de tous les dossiers traités en 2021. Exactement 9 500 sur 17 000 requêtes. « C’est vraiment spécifique à la région parisienne. Je n’ai pas connu ça ailleurs dans mes fonctions, assurait en mai dernier, à Dalloz actualité, Michel Hoffmann, le président du tribunal, également président de formation de jugement à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Et de rappeler l’autre spécificité de cette juridiction, avec Paris et Toulon : sa compétence « monodépartementale », alors que beaucoup de tribunaux administratifs couvrent plusieurs territoires. « La population du 93 se prête à ce type de contentieux, constate-t-il. 350 000 étrangers y sont en situation régulière et 200 000 en situation irrégulière selon la préfecture », sur 1,6 million d’habitants selon l’Insee en 2019. Sans compter qu’il s’agit d’un territoire saturé (près de 7 000 habitants au km²) et pauvre (28 % de la population concernés). Lui était arrivé juste après la création du tribunal, fin 2009, en tant que vice-président, avant d’y revenir en octobre 2020, comme président. Entre-temps, la situation avait empiré. En mai dernier, il décrivait une situation « préoccupante », le contentieux des étrangers prenant l’ascendant sur les autres matières, malgré un stock de dossiers de plus de deux ans atteignant moins de 5 % « un des plus faibles d’Île-de-France ». « C’est un contentieux un peu décourageant, expliquait-il. Les décisions ne sont pas exécutées : les personnes déboutées ne seront pas éloignées, et la préfecture exécute souvent avec retard les injonctions de délivrance de titre de séjour que lui adresse le tribunal. Ce n’est pas de la mauvaise volonté mais un problème de moyens et d’effectifs à la préfecture ». De plus, les délais de traitement des dossiers dépassent les six mois préconisés dans le rapport de mars 2020 de Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux du Conseil d’État (Michel Hoffmann avait été auditionné). Vingt propositions en avaient été tirées, afin de simplifier un contentieux considéré comme complexe, chronophage et peu efficace. L’idée principale : passer à trois procédures au lieu d’une douzaine actuellement. Plus récemment encore, les magistrats et le personnel du tribunal administratif de Montreuil ont été entendus par le président de la Commission des lois du Sénat, François-Noël Buffet. Celui-ci appuie les conclusions portées par M. Stahl, et préconise trente-deux propositions visant « à rendre son sens, sa cohérence et sa lisibilité à la politique publique de l’immigration ». Au Sénat, il admettait une situation tendue au tribunal administratif de Montreuil : « la situation y est assez déprimante, pour être honnête. On ne saurait douter de la motivation des magistrats chargés de ces contentieux, mais on sent que c’est très lourd pour eux ».
Qu’en est-il depuis ? Au moins une évolution notable : fin septembre, le contentieux lié à la prise de rendez-vous numérique des étrangers en préfecture, sous la forme du référé conservatoire dit « mesures utiles » s’était largement résorbé. Faute de place disponible, les requérants saisissaient jusqu’alors le tribunal administratif pour obliger la préfecture à leur accorder un rendez-vous. Soit 21,4 % des affaires enregistrées en droit des étrangers à Montreuil, selon François-Noël Buffet, qui pointait le « profond désarroi » des magistrats face à ce nouveau « rôle de secrétariat de préfecture, chargé de gérer les plannings de rendez-vous ». « Ce n’est plus le cas », assure aujourd’hui Monique Rey-Coquais Salzmann qui signale « un ralentissement très net de ce type de contentieux depuis la mise en place en juillet 2022 par le préfet d’un nouveau système de prise de rendez-vous pour les étrangers souhaitant déposer un titre de séjour au titre de l’admission exceptionnelle au séjour ». Un chiffre : les demandes de rendez-vous en préfecture concernaient 167 requêtes, du 1er juillet au 30 septembre 2022, contre 481 en 2021 pour la même période, soit 35 % de moins. Autre point d’évolution positif constaté ces derniers mois : l’amélioration de la communication entre administrations. « C’est un des résultats de la crise sanitaire », développait l’ex-président Michel Hoffman en mai. « Pendant le confinement, nous avions une réunion par semaine avec le Conseil d’État et toutes les juridictions administratives. Nous avons maintenu ce lien à raison d’une réunion mensuelle. C’est très utile pour l’homogénéisation des juridictions. Le Conseil d’État nous parle aussi des affaires importantes qu’il met au rôle en nous donnant sa position. » De même, le tribunal administratif de Montreuil échange avec le service des étrangers de la préfecture au moins une fois par an, et avec le barreau de Bobigny une fois par mois. « Nous essayons d’améliorer nos relations avec nos partenaires », résumait le président.
Ce 30 septembre, en salle 2, la préfecture demeurait absente sur les 25 dossiers enregistrés : non représentée à l’audience, et très peu de mémoires en défense. Conséquence : le juge doit trancher sans contradictoire complet. Or « il n’est pas rare que des décisions d’éloignement passent à côté de la situation réelle de l’intéressé », constatait la présidente de chambre, Katia Weidenfeld, à la sortie d’une audience en juge unique, le 26 avril. « Nous pouvons faire une neutralisation d’erreurs si celles-ci ne sont pas suffisamment importantes pour changer le sens de la décision », suggérait-elle. Dans le cas contraire, l’envoi de pièces au dossier et l’oralité ont leur importance. Par exemple, si un avocat atteste de deux ans d’exercice professionnel sur le territoire de son client alors que la préfecture a motivé sa décision en partie sur l’absence de contrats. À ce sujet, le rapport Buffet proposait de « revoir les modalités d’organisation de la défense de l’administration », afin de « disposer de l’ensemble des éléments pertinents pour prendre [les] décisions, et, corrélativement, d’encourager le juge administratif à faire un usage plus systématique de ses pouvoirs d’injonction et d’astreinte ». De plus, cette absence nuit à l’oralité des débats et accentue la perte de sens des magistrats, d’autant plus quand aucune des parties n’est présente à l’audience. Le 26 avril, cela concernait deux dossiers sur les six au rôle. Ce matin de septembre où tous les bancs du public étaient occupés, c’était la moitié des dossiers. Toutefois, hormis les référés où l’échange à l’audience est encouragé, les requêtes ordinaires se déroulent par écrit. « Je trouve utile l’intervention des avocats, relevait la présidente de la chambre, Monique Rey-Coquais Salzmann après l’audience de vendredi en droit des étrangers. Nous avons des dossiers souvent volumineux. Les avocats mettent un coup de projecteur sur les éléments essentiels d’un litige que peut-être nous avions sous-estimés lors de l’instruction ou qui étaient mal exprimés dans la requête ». Ils peuvent également répondre aux questions posées à l’audience par les magistrats et éclaircir des zones d’ombre, infirmer ou confirmer une appréciation. Par ailleurs, « l’intervention des clients et même, ne serait-ce que leur présence, témoigne de leur motivation et donne sa pleine dimension au dossier », ajoute la présidente. « Madame parle-t-elle français ? », s’enquiert-elle d’une voix douce auprès d’une requérante, vêtue d’un long trench beige. « Oui », répond l’avocat. « Qu’est-ce que vous faites à la mairie ? » La réponse, un peu confuse, ne parvient pas jusqu’à l’assistance. « Monsieur, votre époux, est-il présent en France ? », poursuit la magistrate. « Oui ». L’avocat, qui répète les questions auprès de l’intéressée, concède : « elle n’est pas vraiment apte à parler français ».
La santé, au coeur du contentieux des étrangers
Ce jour-là, le tribunal recevra plusieurs ressortissants étrangers présentant des pathologies, et réclamant leur maintien en France du fait de l’absence ou du manque d’infrastructures médicales dans leur pays d’origine. M. S, haïtien, est le premier d’entre eux à s’exprimer à la barre. Entré en France en 2011 avec un visa d’entrée, il a bénéficié d’un titre de séjour en 2013, renouvelé ensuite, puis refusé en 2021. Son avocat énumère les raisons qui l’empêchent de rentrer en Haïti : « tremblements de terre », « grave crise politique », « situation sanitaire qui n’a pas dû s’améliorer ». « Quel type de diabète avez-vous ? » demande la présidente. « Type 2 », répond M. S. L’avocat s’appuie sur les rapports de l’OMS qui pointent l’insuffisance des soins en matière de diabète, et sur d’autres études officielles qui déplorent des structures hospitalières défaillantes. Il rappelle le taux d’invalidité de son client : « entre 50 et 80 % », avant de conclure qu’il ne pourra pas, en Haïti, bénéficier des traitements dont il a besoin : « M. S a travaillé en France, il est parfaitement intégré. Il entre dans le cadre de l’interdiction de retour dans son pays d’origine ». « En quoi consiste votre suivi médical ? », l’interroge Mme Rey-Coquais Salzmann. « Tous les trois mois, je vois un médecin qui gère mon traitement », explique M. S. « Votre épouse vit en Haïti ? Oui. »
Au tribunal administratif de Montreuil, les demandes de maintien sur le territoire pour raison de santé représentent 20 à 25 % du contentieux en droit des étrangers de la 4e chambre. « C’est assez faible en comparaison des demandes d’admission exceptionnelle au séjour au titre du travail et/ou de la vie privée et familiale, qui constituent la part prédominante du contentieux », souligne la présidente. Toutefois, ces dossiers « ont un enjeu humain de grande acuité et ils exigent un examen méticuleux », le motif le plus fréquemment soulevé étant « l’indisponibilité des soins dans le pays d’origine eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de soins » sur place. « Le requérant, qui lève quasiment toujours le secret médical, fait souvent part de son incompréhension devant le refus opposé par l’administration », précise la juge. D’où l’importance des pièces fournies par les parties, en particulier les certificats médicaux, les médicaments prescrits, la nature du suivi médical et les avis du collège des médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII).
Ce matin-là, d’autres dossiers pour motif médical suivront, d’étrangers algériens, bangladais. Divers arguments seront soulevés pour l’ensemble des dossiers : l’absence de « menace réelle à l’ordre public », l’insertion professionnelle de plusieurs années, la scolarisation des enfants, les témoignages circonstanciés des employeurs, la rupture des liens avec les membres de la famille d’origine. Autant de motivations révélant des problématiques globales – « je ne vais pas être originale sur les moyens soulevés par rapport à mes consœurs », avait dit une avocate lors de la séance d’avril – dans une constellation de dossiers singuliers. Tous semblent installés, de facto, dans une situation de précarité durable. Un entre-deux qui vaut mieux qu’un retour au pays, semblent-ils tous dire. In fine, ils ne seront peut-être pas entendus, ni même renvoyés de France, mais dans ce lieu de justice, ils auront pu s’exprimer et être écoutés par d’autres êtres humains.