Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Le droit en débats

Greffiers en temps de crise sanitaire durant les plans de continuité d’activité

Du 16 mars au 11 mai, les juridictions ont fermé leurs portes pour lutter contre l’accélération de la propagation du virus covid-19. Fermées au public et à une partie des auxiliaires de justice, elles ont cependant continué à traiter les contentieux essentiels, au civil comme au pénal. Pendant ces presque deux mois, des personnels de greffe ont quotidiennement œuvré pour faire fonctionner la justice, en présentiel dans les services en juridictions, ou en télétravail. Quatre greffiers ont souhaité entre-ouvrir aux lecteurs de Dalloz les portes de leurs juridictions fermées pour raconter leur quotidien durant cette période. 

Par Quatre greffiers le 13 Mai 2020

Je suis greffier au sein d’un tribunal judiciaire de province au Service d’accueil unique du justiciable. Le SAUJ est le point d’entrée d’une juridiction, il accueille et renseigne les justiciables mais aussi les auxiliaires de justice. Depuis le 16 mars au matin les tribunaux sont confinés, un Plan de continuité des activités (PCA) a été mis en place par la Chancellerie. Les juridictions se sont refermées sur elles-mêmes, se limitant au traitement des urgences. Elles sont nombreuses, et l’accueil en fait partie.

Depuis cette date, le SAUJ n’assure plus l’accueil physique, uniquement l’accueil téléphonique et le traitement des mails destinés à la juridiction.

Avec la distanciation sociale mise en place, nous ne sommes plus que deux fonctionnaires à travailler au SAUJ un jour sur deux, chacun notre tour pour quatre fonctionnaires en temps normal.

La suppression de l’accueil physique a eu pour conséquence l’explosion des appels téléphoniques et des mails à traiter. L’estimation que j’ai pu en faire est une multiplication entre trois et quatre des appels téléphoniques avec des questions récurrentes de la part des justiciables, à savoir la tenue des audiences, la fermeture du palais, la réception des dossiers envoyés par courrier… avec parfois des gens qui ne comprennent pas très bien la fermeture pure et simple de certains services parce que pour une raison x ou y les fonctionnaires ne peuvent pas venir travailler. Les fonctionnaires confinés chez eux auraient dû pouvoir continuer leur travail à distance, mais faute de matériel (ordinateurs et imprimantes portables) comme d’applicatifs-métiers utilisables à distance, très peu ont pu effectivement télétravailler.

Je commence ma journée un peu avant 8h00, heure d’ouverture théorique du SAUJ. Je passe un coup de lingette désinfectante sur le clavier, la souris de mon ordinateur ainsi que sur le téléphone ; on est vite devenu un peu paranoïaque avec ce virus. Puis c’est la consultation des rôles d’audience du jour. Avec la liste des gens dont la présence est indispensable et qui sont autorisés à pénétrer dans le palais.

La suite de la journée se déroule inexorablement de la même façon : répondre aux nombreux appels téléphoniques et aux mails. Et ce jusqu’à la fermeture du SAUJ à 16h30.

Les questions que se posent les justiciables sont souvent les mêmes : est-ce que l’audience pour laquelle je suis convoquée se tient, quand vais-je recevoir une nouvelle convocation, où en est ma plainte, mon dossier, ma requête ? Je n’ai pas reçu mon jugement…

Sur le plan personnel, cette situation a bien évidemment des répercussions. Étant parent de deux adolescents, je dois aussi gérer la fermeture des lycées et collèges ainsi que les devoirs et leçons à domicile. Il faut savoir jongler entre la vie professionnelle et la vie privée. Mener les deux de front n’est pas évident en cette période de confinement.

 

Covid-19, voilà un nom bien savant pour un virus bien présent. On ne sait quoi penser, quoi faire. En fait-on assez ? N’en fait-on pas trop ?

L’annonce de la fermeture des écoles a été le premier signe de la crise. Une nouvelle organisation à prendre avec les enfants, l’absence de recours à la famille. Bref, on revient au système D : débrouille-toi !

Ensuite l’annonce du confinement total est tombée avec son lot de mesures à prendre. Pour ma part, greffière à l’instruction, au JLD et aux CRPC, il me semblait naturel de permettre ou de tenter de permettre une certaine continuité du service public et puis le contentieux de la liberté avec ses enjeux et ses délais ne pouvait souffrir d’aucun retard. J’ai donc décidé de me porter volontaire sur le plan de continuité d’activité autant que possible. Mais il me fallait également conjuguer avec le travail de mon pari, pompier professionnel pour qui il était hors de question de rester à la maison. Nous avons donc fait le choix de continuer à travailler tous les deux. Je serais en télétravail ses jours de garde. J’ai donc pu m’organiser, bénéficier d’un PC portable et faire de l’enregistrement de procédures mes jours de télétravail. Le reste du temps, je suis présente sur site pour tenter de faire tourner la machine du mieux possible.

Le plan de continuité d’activité a donc été établi et les rôles répartis. Nous sommes deux greffiers présents sur site, un civiliste et un pénaliste pour gérer le courant et les urgences. Cela semble simple sur le papier, étant donné que le site est devenu fermé au public. Mais au fil des jours et des permanences, les choses s’accumulent et la crainte de ne pas avoir tout fait, de ne pas avoir pensé à tout fait son apparition. On se demande si on a bien tout fait, tout bien gérer, si la collègue suivante ne va pas être embêtée avec ce qu’on a fait la veille… Bref l’inquiétude entre en jeu.

 

Bien avant l’annonce du confinement, j’ai été confrontée au covid-19. Greffière dans un service de la protection des majeurs, nous avons dû régler l’épineux problème des transports sur les lieux pour les auditions. De notre propre initiative, alors même que les maisons de retraite nous autorisaient à venir en prenant toutes les précautions nécessaires, nous avons décidé d’annuler. Nous ne voulions pas prendre le risque d’amener le loup dans la bergerie, même si aucun de nous (magistrat comme greffier) ne revenions d’une zone à risques ni ne présentions de symptômes. Nous ne traitons pas des dossiers. Nous traitons de l’humain, des personnes, fragiles de surcroît.

À l’annonce du confinement, il a fallu prendre des décisions. Et vite, les prochaines audiences étant prévues dans la semaine du confinement. Il a fallu prévenir des annulations. Mais comment faire lorsqu’on est maman de deux jeunes enfants ? Compagne d’un infirmier, l’organisation coulait de source : je resterai à la maison pendant qu’il irait au front, combattre cet ennemi invisible mais ô combien présent. Je resterai disponible par téléphone, par mail (j’ai donné mon mail personnel) et en venant au tribunal judiciaire les rares jours de repos de mon compagnon. Impossible de donner des jours précis tant son emploi du temps varie. Nous vivons au jour le jour. Impossible de me porter volontaire pour les permanences dans le cadre du plan de continuité d’activité. Impossible de faire du télétravail : nous manquons de matériel et mon logiciel ne permet pas de télétravailler. Et puis, comme je suis en contact avec le Mal, si je pouvais rester chez moi. Au cas où… D’où un sentiment de culpabilité que j’essaie de combler en faisant ce que je peux quand je viens.

D’ailleurs, les rares fois où je m’échappe, je me retrouve dans un palais de Justice où règnent un silence et une quiétude quasi monacale. Cela pourrait être apaisant et propice au travail si ce n’était pas teinté du spectre de la maladie. Aux rares personnes croisées, toujours les mêmes questions « tu vas bien ? Pas de malades chez toi ? ». On me questionne sur la situation à l’hôpital, sur le nombre de personnes atteintes, le nombre de morts. Plus pour se rassurer que par curiosité morbide je dois avouer.

Sauf que ce virus est bien présent. Lorsque j’ouvre ma boîte mail professionnelle, là où normalement je reçois des demandes diverses et variées, pullulent les messages m’annonçant des décès. Quinze cette semaine. Ma moyenne mensuelle. Ces personnes sont-elles mortes du covid-19 ou non ? Je ne le saurais probablement jamais. Mais s’il est bien un service où l’on voit les conséquences de ce virus, c’est bien à la protection des majeurs. Je ne peux m’empêcher des voir les personnes derrière les dossiers. Ces grands-parents, parents, frères et sœurs. Leur famille qui les pleurent. Et cette douloureuse question de l’après : combien de dossiers je vais devoir archiver ?

 

Une crise sanitaire inédite au niveau national, mais un ressort de cour d’appel qui n’en est pas à sa première… En effet, je suis greffière à Cayenne, et ici nous enchaînons l’exposition à l’amiante et maintenant le covid-19.

Depuis le 17 mars 2020, et l’annonce du confinement, un PCA a été élaboré.

Et avec mes collègues, nous pouvons dire qu’il est laborieux.

Un confinement au travail et/ou en télétravail.

Malgré une crise l’année dernière qui nous a permis de bénéficier de dotations d’ultraportables, et bien ceci n’a pas été toujours une avance.

En effet, malgré les annonces écrites et officielles, des collègues se sont retrouvés à travailler en présentiel alors qu’ils ne faisaient pas partie du PCA engendrant de vives inquiétudes chez ceux qui étaient dans l’obligation d’être présents. La peur du retard toujours et encore…

Des logiciels, malgré des ordinateurs neufs, qui sont inadaptés ou inutilisables en télétravail et des partenaires qui ne comprennent pas. Pour comprendre, il faudrait qu’ils sachent…qu’ils comprennent notre travail or, le métier de greffiers reste une énigme même pour nombre d’entre eux. De plus, pas toujours évident d’être compréhensif quand des enjeux humains et économiques sont là.

Quelques jours plus tard, je viens à mon bureau pour prendre du travail à faire à la maison et je vois que les bureaux sont occupés, contrairement à ce qu’indique le PCA. Je constate que peu de collègues portent des masques et je n’ose parler des interprètes, des avocats et des policiers-gendarmes qui sont collés les uns aux autres dans les couloirs. Décrire cette vision me fait ressentir à nouveau l’anxiété qui m’a envahi me tétanisant dans un couloir qui ne fait guère plus d’1,5 mètre de large. 

Je demande à ma hiérarchie un masque, on me répond qu’un masque chirurgical peut m’être remis uniquement si je dois assurer une permanence pénale et qu’il n’en sera pas remis au justiciable déféré. Lorsque je demande si je peux avoir un masque pour être protégé des autres, j’obtiens une réponse négative. Pas de masque, la livraison n’est pas encore arrivée.

Je me dis alors que je n’ai fait que risquer ma vie durant ces trois dernières années au tribunal judiciaire de Cayenne…

Mais une bonne nouvelle arrive. La hiérarchie nous transmet un courriel en nous indiquant que deux masques par agents vont être distribués.

Une fausse bonne nouvelle ! On me donne deux « chiffons » de la main à la main et on me tend un stylo pour signer une attestation de remise. J’observe ces tissus et demande comment les mettre. On me renvoie à la fiche technique transmise par mail. Je me rends sur le lien YouTube indiqué dans la fiche, et je suis choquée. Les premiers mots sont : « ces masques ne sont pas homologués ». Je découvre qu’il faut faire des trous soi-même pour placer ce tissu autour des oreilles. Quelques recherches brèves me permettront de savoir que ces masques sont élaborés à partir de fond de culotte de bas de contention et qu’ils ne respectent pas les normes AFNOR. À ce moment, une vive colère m’envahit. Ma vie n’a-t-elle pas d’importance ? Une collègue m’appelle en me disant que le sien a cédé à la première utilisation. Un trou juste à l’endroit de la bouche sur la couture sagittale de ce masque. J’en reste bouche bée.

Plus le temps passe, plus je suis affectée par la considération de notre administration, et plus le retard déjà présent devient pour moi une obsession.

En garde d’enfant, certains se voient invités fortement à faire du télétravail.

Comment dire non à une hiérarchie qui sait comment vous en convaincre en évoquant une nécessité de continuité de service public, et en indiquant qu’il n’y a pas de risque ?

Je compte les jours avec mes collègues. Je pense aux dossiers, au retard accumulé depuis près d’un an et je suis surtout inquiète et obnubilée par les justiciables. Ces personnes qui nous saisissent et pour qui nous avons embrassé cette profession. Comment les aider ? Comment vont-ils ? Comment faire pour traiter leur dossier le plus rapidement sans prendre de risque ?

Je ne sais plus. Je pose ces questions à mes collègues qui sont tout aussi inquiets par les mêmes raisons.

Voilà maintenant que le déconfinement commence à s’annoncer mais le risque également.

Des instances s’amorcent pour éviter les situations problématiques mais il semble que le document de la Direction des services judiciaires soit le seul support important bien qu’inadapté à plusieurs particularités dont celles des outre-mer.

J’ai à ce moment-là une forte pensée pour les collègues de Mayotte.

Du gel est annoncé, des nouveaux masques en tissu mais qui arriveront après le retour sur poste. Des visières sont prévues, mais elles seront mutualisées.

Pas de masques protégeant des autres lors des audiences et des masques en tissu pas encore reçus. Mais la hiérarchie nous précise, à quelques jours de ce 11 mai, que les justiciables et professionnels seront invités à porter un masque.

Viennent alors de nouvelles questions. Comment savoir si ces masques seront aux normes, s’ils n’auront pas été portés plus que la durée maximale recommandée ? Sommes-nous vraiment protégés ?

Le dilemme de notre implication, de notre vocation et de notre sens du service public face à notre santé.
Nous, si souvent appelés les petites mains de la justice, avons été là, avant, pendant, et nous serons là après le covid-19.

Les questions demeurent : les mesures prises sont-elles suffisantes ? Tomberons-nous malades ? Arriverons-nous à avoir les renforts suffisants ?