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Le droit en débats

Premières réflexions sur l’audience d’assistance éducative en période d’état d’urgence sanitaire

Par Simon Champigny le 01 Avril 2020

L’audience est l’espace fondamental de l’intervention du juge des enfants en matière d’assistance éducative, lui permettant de réexaminer régulièrement chaque situation en recherchant tout à la fois « l’intérêt de l’enfant » et « l’adhésion de la famille »1. La loi prévoit en effet que les parties doivent être reçues dans le bureau du juge avant chaque nouvelle décision. Une seule exception à ce principe est prévue par le code de procédure civile, qui concerne les cas « d’urgence spécialement motivée » rendant nécessaire une mesure de placement (ou une mesure d’instruction). Une audience doit alors être tenue dans les quinze jours qui suivent le retrait de l’enfant de sa famille2. En pratique, eu égard à l’engorgement chronique des juridictions pour mineurs, le juge des enfants s’autorise également à prendre sans débats certaines décisions concernant les droits de visite et d’hébergement des mineurs placés. Pour cela, il évalue de manière pragmatique la nécessité d’une audience au regard du caractère litigieux ou consensuel de la situation (pas d’audience si tout le monde est d’accord) et au regard de son utilité prévisible (besoin de valoriser un mineur, de clarifier les problèmes ou de reprendre un parent, par exemple), sur la base des informations régulièrement rapportées par les services éducatifs.

La fermeture des tribunaux en raison de la crise sanitaire actuelle prive de fait les familles de leur possibilité d’être entendues, notamment lorsque les mesures éducatives prononcées viennent à expiration. La situation, problématique pour les libertés individuelles, semble avoir ému le gouvernement qui a prévu par ordonnance du 25 mars 2020 des dispositions procédurales dérogatoires applicables rétroactivement à compter du 12 mars 2020 et jusqu’à plusieurs mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire.

Le principe du maintien de l’audience

En premier lieu, le gouvernement a tenu à limiter les cas où le juge des enfants pourra trancher sans audience.

Il a ainsi prévu la prorogation massive « de plein droit » de l’ensemble des mesures éducatives venant à échéance pendant la période dérogatoire, jusqu’à une date fixée à deux voire trois mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire3. Un tel choix semble de bon sens mais va de fait contraindre le juge des enfants et les services éducatifs à un surplus d’audiences tout simplement impossible à absorber dans les mois qui viennent. C’est in fine le justiciable qui va souffrir de cet embouteillage, lequel va inévitablement augmenter l’indisponibilité du personnel éducatif, raccourcir la durée des audiences, rallonger les délais de notification… ou contraindre le juge des enfants à ordonner, hors de tout cadre, de nouvelles prorogations qui lui permettront de statuer avec la sérénité nécessaire.

En matière de placement en urgence, l’ordonnance étend de quinze jours à un mois la période séparant l’audience de la décision initiale4, et maintient par conséquent le principe de la tenue d’un débat contradictoire. Une telle option est rassurante au regard de la garantie des droits des parents et des mineurs. C’est d’autant plus vrai que l’aide sociale à l’enfance, en charge des enfants confiés, n’a plus les moyens d’assurer la médiatisation des rencontres parents/enfants du fait du confinement. La question de la tenue d’une audience n’en est pas moins cornélienne pour les juges des enfants qui devront alors composer avec les réticences des professionnels (éducateurs, avocats, greffiers) et la délicate mise en œuvre des « gestes barrière » (lorsque le matériel nécessaire est disponible). Certains d’entre eux envisagent ainsi la suppression pure et simple de toute audience, tandis que d’autres réfléchissent à évoquer les situations dans une salle plus grande, de mettre systématiquement leurs décisions en délibéré, et de trouver des modes alternatifs de recueil de l’avis des mineurs, afin de limiter la mise en présence physique.

Sont cependant prévues des hypothèses limitées où les décisions du juge des enfants pourront être prises sans aucun contradictoire. Pour la durée de l’état d’urgence seulement, l’ordonnance est ainsi venue valider la pratique répandue des décisions sans débat concernant les droits de visite et d’hébergement5, en l’assouplissant davantage puisqu’il n’est pas fait référence à l’accord des parents mais seulement à « l’intérêt de l’enfant ». Il est également prévu que le juge des enfants puisse mettre fin à un suivi judiciaire en cours6 et, surtout, prendre certaines décisions dans le cas d’une saisine nouvelle7. Pour des familles qu’il n’aura encore jamais rencontrées ni consultées, le juge pourra donc prononcer un non-lieu, ou bien instaurer une mesure d’investigation éducative ou une mesure de suivi éducatif, dans la limite de six mois maximum. Cette possibilité, heureusement inapplicable aux placements8, a des conséquences ambivalentes. Elle permet de protéger les enfants rapidement et de garantir l’audition des parties dans un délai fixe, un peu sur le modèle de ce qui est prévu en matière de placements urgents. Elle se heurte cependant à une réalité institutionnelle coriace : les services éducatifs, qui ont limité voire suspendu leurs interventions à domicile pendant le confinement, accusent souvent un retard de prise en charge considérable, parfois supérieur à six mois9. Dès lors, l’audience tenue au bout de ce délai permettra rarement de soumettre au juge des éléments suffisamment nouveaux pour lui permettre de statuer. En outre, sur le plan symbolique, on peut également douter de l’efficacité d’une première mesure judiciaire prononcée par une décision certes motivée, mais dépourvue de toute pédagogie orale, vertu incontestable et indispensable de l’audience.

La facilitation des modalités de l’audience

En second lieu, le gouvernement a mis en place des règles de procédure dérogatoires destinées à faciliter la tenue des audiences.

Mentionnons tout d’abord qu’il a permis que les convocations aux audiences et les notifications des décisions se fassent par lettre simple, voie électronique ou remise aux parents contre émargement par le service éducatif10. Cet aménagement parait bienvenu eu égard aux difficultés des greffes et des services postaux. Il conviendra tout de même de veiller à l’effectivité de l’information transmise, par exemple via l’éducateur référent, dès lors que sont en jeu rien de moins que la comparution à l’audience et l’effectivité de l’accès aux voies de recours11.

En plus de ces modalités nouvelles, le gouvernement a créé deux véritables procédures alternatives destinées à faciliter la mise en œuvre du principe du contradictoire. D’une part, l’ordonnance autorise les juges des enfants à renouveler des mesures éducatives sans convoquer la famille, pourvu que cette reconduction soit proposée par le service et validée par « l’accord écrit d’un parent au moins » en « l’absence d’opposition écrite de l’autre parent »12.

À cet effet, dans une circulaire, le ministère a proposé la mise en place d’un formulaire qui serait présenté aux parents directement par les services éducatifs. Mais comment exiger une telle démarche de la part de professionnels qui sont par ailleurs invités à limiter leurs déplacements et à télétravailler ? Certains juges des enfants ont d’ores et déjà préféré écrire directement aux parents pour les inciter à s’exprimer par mail, mais il est vrai que la démarche n’est pas forcément aisée pour les familles les plus défavorisées. Au-delà des questions pratiques, il est remarquable que le juge doive recueillir « l’accord » et non seulement « l’avis » des parents considérés, ce qui le prive totalement de sa marge d’appréciation habituelle. L’absence fréquente de consensus en matière d’assistance éducative limite d’ailleurs la portée de cette disposition. Quant au recueil de l’avis du mineur, pourtant prévu par le droit national et conventionnel, l’ordonnance n’y fait pas référence.

D’autre part, le gouvernement a autorisé le juge à tenir son audience en présence d’un greffier via « un moyen de communication audiovisuelle permettant de s’assurer de l’identité des parties et garantissant la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats »13. Force est de constater qu’un tel moyen n’existe pas actuellement, le matériel dont disposent les juridictions permettant une visioconférence avec un établissement pénitentiaire ou un autre tribunal, mais pas avec le domicile d’un particulier. À nouveau, l’ordonnance laisse peu de place à la possibilité d’une « audience dématérialisée ». En effet, le recours à des auditions par téléphone n’est pas prévu pour l’assistance éducative, alors qu’il a été expressément autorisé pour des audiences civiles (et même pénales) et sous certaines conditions14 pendant la durée de la période dérogatoire.

L’ordonnance du 25 mars 2020 a le mérite d’imposer aux juridictions de l’assistance éducative une procédure unifiée et garantiste, même si l’encadrement strict des possibilités de prise de décision sans audience ne va certainement pas leur faciliter la tâche en cette période troublée. Il est vrai qu’à moyens constants, le gouvernement n’avait sans doute pas l’intention de faire des miracles. Mais les juges des enfants sont habitués bien malgré eux aux contorsions procédurales. Comme tout au long de l’année, ils vont devoir trouver le moyen de rester des juges, garants des libertés individuelles menacées par la crise, tout en gardant leurs cabinets à flot pour ne laisser aucune situation familiale de côté. Et cela sans réel « filet » (pour le justiciable !) puisqu’en cas de recours, les cours d’appel trancheront dans un délai tellement long que l’état d’urgence ne sera déjà plus qu’un mauvais souvenir. Face aux impératifs sanitaires et aux multiples contraintes matérielles, il restera aux juges des enfants la théorie des « circonstances insurmontables », pour contourner certaines règles formelles radicalement inapplicables. De toute évidence, leur travail des semaines à venir va consister à anticiper et à sélectionner pour chaque famille les outils procéduraux les plus adaptés. De là à dire qu’ils devront arbitrer à la place du législateur entre sécurité juridique des parents et protection effective des enfants, il n’y a qu’un pas.

 

 

1. C. civ., art. 375-1.
2. C. pr. civ., art. 1184.
3. L’art. 13, 3° de l’ord. n° 2020-304 prévoit que les « mesures d’assistance éducative » seront prorogées jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois après la période dérogatoire, tandis que l’art. 3 de l’ord. n° 2020-306 prévoit que les mesures d’aide à la gestion du budget familial (MJAGBF) seront prorogées jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois après la période dérogatoire. La période dérogatoire s’étend du 12 mars 2020 à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la cessation de l’état d’urgence (art. 1er de chaque ordonnance). À l’heure d’aujourd’hui, l’état d’urgence sanitaire a été déclaré jusqu’au 23 mai 2020 (art. 4 de la loi du 23 mars 2020 « d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 », dont l’entrée en vigueur est immédiate).
4. Ord. n° 2020-304, art. 16.
5. Ord. n° 2020-304, art. 19.
6. Ord. n° 2020-304, art. 13, al. 1 et 2. Sont ici visées les mesures d’assistances éducatives et les MJAGBF.
7. Ord. n° 2020-304, art. 18.
8. On remarque d’ailleurs que le législateur n’a pris aucune disposition spéciale pour permettre le prononcé d’une mesure de placement non-urgent pendant la période dérogatoire. En l’absence d’urgence, le juge des enfants devra donc appliquer la procédure de droit commun (audience préalable).
9. À ce sujet, lire la tribune des juges des enfants de Bobigny dans Le Monde et sur France Inter ou celle de l’association française des magistrats de la jeunesse et de la famille dans La Croix.
10. Ord. n° 2020-304, art. 21.
11. Le point de départ du délai d’appel commence à courir au moment de la notification de la décision aux parents (C. pr. civ., art. 1191).
12. Ord. n° 2020-304, art. 14. Ces renouvellements sont limités à un an s’agissant des mesures d’aide éducative en milieu ouvert et des MJAGBF, et à neuf mois s’agissant des mesures de placement.
13. Ord. n° 2020-304, art. 20.
14. Ord. n° 2020-304, art. 7, al. 3 (qui prévoit des dispositions dérogatoires pour la matière « non pénale », a priori pas applicables à l’assistance éducative, eu égard à l’existence de dispositions spéciales) et Ord. n° 2020-303, art. 5 (applicable devant l’ensemble des juridictions pénales non criminelles).