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Le droit en débats

Projet de code de DIP - La reconnaissance des mariages célébrés à l’étranger : un changement méthodologique bienvenu

Alors que le ministère de la Justice a soumis à la consultation publique le projet de code de droit international privé, les contributions des parties prenantes étant attendues jusqu’au 30 novembre inclus, Dalloz actualité vous propose, sous la direction des professeures Sandrine Clavel et Estelle Gallant, de suivre cette réflexion au travers d’une série de commentaires, généraux ou thématiques, de ce projet. La professeure Fabienne Jault-Seseke, commente une évolution méthodologique majeure du projet, la consécration de la méthode de la reconnaissance des situations, au travers du cas particulier des mariages célébrés à l’étranger.

Par Fabienne Jault-Seseke le 17 Novembre 2022

Le projet de code français de droit international privé reprend pour partie l’idée d’une codification à droit constant. Pour partie, il est novateur. Le traitement de la reconnaissance des mariages célébrés à l’étranger témoigne de la volonté d’innover et de corriger des solutions qui peuvent aujourd’hui apparaître obsolètes. En effet, l’article 45 du projet de code rompt avec la méthode des conflits de lois et fait de façon bienvenue une place de choix à la méthode de la reconnaissance des situations. Les articles qui suivent, précisément les articles 46, 48 et 50 du projet, traduisent cependant une hésitation : ils paraissent remettre en cause le choix méthodologique de l’article 45 en vue de conforter pour partie les solutions actuelles du droit international privé du mariage. Il est néanmoins possible de leur conférer une portée limitée.

L’article 45 est formulé ainsi :
Si la présente sous-section n’en dispose autrement le mariage célébré dans un État étranger en conformité avec le droit de cet État est reconnu en France, sous réserve de sa conformité à l’ordre public international et de l’absence de fraude.
Lorsqu’au moment de la célébration du mariage l’un des époux était déjà engagé dans les liens d’un mariage non encore dissous, ce mariage n’est pas reconnu :
- si l’un des époux est de nationalité française, même s’il a également la nationalité d’un autre État ; ou
- si le premier mariage a été célébré avec un époux dont la loi nationale le prohibe.
Toutefois, l’époux qui a légitimement cru en la validité de son mariage peut se prévaloir en France des effets attachés à la qualité de conjoint, dans la mesure où les effets invoqués sont compatibles avec les exigences de l’ordre public international.

Les auteurs du projet de code prennent clairement le parti d’écarter la méthode de la règle de conflit de lois pour apprécier la validité d’un mariage célébré à l’étranger. Cette solution doit être approuvée. Elle était d’ailleurs attendue tant l’application de la règle de conflit de lois charriait son lot d’inconvénients. Les arguments en faveur d’une règle de reconnaissance sont en effet nombreux.

D’abord, le jeu de la règle de conflit de lois doit se limiter à la constitution de la situation. Il est parfaitement légitime, et même nécessaire, de raisonner en termes de loi applicable pour déterminer les conditions auxquelles doit satisfaire le mariage qui va être célébré en France. L’article 171-1 du code civil le prévoit actuellement et on le retrouve à l’article 44 du projet de code de droit international privé. Mais le rôle de la règle de conflit de lois devrait s’arrêter là. Son application à la question de la validité d’un mariage célébré à l’étranger, a fortiori s’il a été célébré il y a de nombreuses années, est tout aussi malvenue que l’était jadis le contrôle de la loi appliquée dans le cadre de la reconnaissance des jugements étrangers. Certes la solution peut se recommander de l’autorité législative de l’article 171-1 du code civil. Elle n’en est pas moins critiquable dès lors que la situation s’analyse davantage en un conflit d’autorités qu’en un conflit de lois et qu’il est légitime de traiter l’acte de mariage comme un acte public étranger. Il est donc préférable d’utiliser la méthode de la reconnaissance des situations plutôt que celle du conflit de lois.

Le recours à la méthode de la reconnaissance peut encore se prévaloir de la comparaison entre les différentes situations conjugales. La validité du partenariat enregistré s’apprécie en effet au regard de la loi de l’État de l’autorité qui a procédé à l’enregistrement. Si la règle qui figure aujourd’hui à l’article 515-7-1 du code civil a l’apparence d’une règle de conflit de lois, le critère de rattachement – l’autorité qui a procédé à l’enregistrement – en fait une règle de reconnaissance : tout partenariat conclu à l’étranger conformément à la loi de l’autorité publique qui l’a enregistré est considéré comme valable et doit être reconnu en France. La solution est reprise dans le projet de code à l’article 56 qui énonce que « le partenariat enregistré à l’étranger en conformité du droit de l’État d’enregistrement est reconnu en France, sous réserve de sa conformité à l’ordre public international et de l’absence de fraude ». L’identité des termes utilisés par les articles 45 et 56 manifeste la volonté de traiter de la même façon la reconnaissance du mariage et celle du partenariat enregistré. Elle pose les bases d’un droit international privé du couple cohérent (en ce sens, F. Jault-Seseke, Mariages et partenariats enregistrés : critique de la diversité des méthodes de droit international privé, in Mélanges à la mémoire de Patrick Courbe, Dalloz, 2012, p. 311 s).

Ensuite, le cadre international et régional est propice à l’essor de la méthode de la reconnaissance en matière de mariage. Il y a déjà longtemps que la Conférence de La Haye de droit international privé suggère de raisonner en termes de reconnaissance pour les mariages célébrés à l’étranger. La solution figure à l’article 9 de la Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la célébration et la reconnaissance de la validité du mariage. La Convention a d’ailleurs inspiré certains législateurs nationaux (en ce sens, v. l’art. 45 de la loi suisse de droit international privé). Au sein de l’Union européenne, alors même que le législateur temporise, la Cour de justice a, dans le célèbre arrêt Coman (CJUE, gr. ch., 5 juin 2018, aff. C-673/16, AJDA 2018. 1127 ; ibid. 1603, chron. P. Bonneville, E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser ; D. 2018. 1674 , note H. Fulchiron et A. Panet ; ibid. 2019. 347, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot ; ibid. 856, obs. RÉGINE ; ibid. 910, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ fam. 2018. 404, obs. G. Kessler ; Rev. crit. DIP 2018. 816, note P. Hammje ; RTD civ. 2018. 858, obs. L. Usunier ; RTD eur. 2018. 673, obs. E. Pataut ; ibid. 2019. 391, obs. F. Benoît-Rohmer ), eu recours au même raisonnement pour assurer la reconnaissance d’un mariage homosexuel afin de garantir l’effectivité de la libre circulation des citoyens européens et des membres de leur famille.

Enfin, les avantages de la solution proposée sont nombreux. Elle est compatible avec la pluralité des modèles familiaux mais aussi avec la diversité de nationalités des intéressés. Elle assure la continuité du statut personnel et par là-même le respect des attentes des parties. Ses inconvénients sont rares. Le civil status shopping n’est pas à craindre dès lors que la reconnaissance n’est pas automatique et qu’il existe des motifs de non-reconnaissance. De la même façon que dans la Convention de La Haye de 1978 sur les mariages, la polygamie, l’endogamie, l’âge, le défaut de consentement peuvent justifier un refus de reconnaissance, l’article 45 du projet réserve la contrariété à l’ordre public et la fraude. La formulation est suffisamment souple pour couvrir toute sorte d’hypothèses sans pour autant anéantir la règle de la reconnaissance dès lors que les exceptions d’ordre public et de fraude devront être interprétées strictement. On peut se demander si l’absence de tout lien entre les époux et le lieu de célébration pourrait être jugé frauduleux. Cela ne correspond pas à l’état du droit positif qui admet la validité des mariages célébrés à Las Vegas ou qui permet la célébration d’un mariage en France dès lors que l’un des époux, ou l’un de ses parents, y dispose d’une simple résidence. Il apparaît en revanche certain que la fraude fera obstacle à la reconnaissance d’un mariage célébré sans intention matrimoniale. Le cas est expressément prévu par l’article 46. On y reviendra. Le contenu de l’ordre public est, quant à lui, pour partie, précisé. En effet, l’article 45 comporte des dispositions propres à la polygamie. Dans cette hypothèse, l’application de la loi nationale en matière de statut personnel refait surface. Le mariage polygamique n’est pas reconnu si l’un des époux est de nationalité française (peu importe qu’il possède une autre nationalité) ou si le mariage a été conclu avec un époux dont la loi nationale prohibe ce type de mariage. Dans ce dernier cas l’hypothèse de la double nationalité n’est pas envisagée. Elle devrait l’être : s’il est justifié de protéger le conjoint double-national français contre un mariage polygame subséquent en faisant primer la nationalité du for, il paraît tout aussi légitime de protéger le conjoint double national dont l’une des lois nationales prohibe la polygamie.

Ce dernier détail n’altère pas l’opportunité de la formulation retenue dans l’ensemble par l’article 45 du projet. En revanche, on peut regretter que le choix méthodologique opéré par cette disposition ne soit pas davantage assumé et qu’il soit affaibli par les articles subséquents.

Le choix de la méthode de la reconnaissance est partiellement remis en cause par les articles 46, 48 et 50 du projet de code. Il convient de les étudier en tentant de minimiser leurs effets perturbateurs.

La méthode de la reconnaissance se trouve d’abord concurrencée par la méthode des règles matérielles. L’article 46 précise en effet que quel que soit l’État de célébration et quel que soit le droit applicable, le mariage requiert le libre consentement et l’intention matrimoniale de chaque époux. On retrouve ici la trace de l’intervention législative de 2014 dans le droit international privé du mariage aux termes de laquelle, quelle que soit la loi personnelle applicable, le mariage requiert le consentement des époux, au sens des articles 146 et 180, alinéa 1, du code civil. Afin de ne pas porter une atteinte excessive au principe même de la reconnaissance qu’énonce l’article 45, il est possible de voir dans cet article 46 la formulation d’une clause spéciale d’ordre public. De la même façon qu’on refuserait la reconnaissance de certains mariages polygamiques, la reconnaissance des mariages célébrés sans intention matrimoniale devrait être refusée au nom de l’ordre public. En ce sens, le respect des articles 146 et 180, alinéa 1, du code civil ne devrait pas être compris comme imposant l’application de la loi française mais plutôt comme exigeant l’intention matrimoniale des deux époux. L’appréciation du consentement ne peut d’ailleurs se faire que de façon factuelle et la référence aux dispositions du code civil n’aurait pas vocation à modifier les modalités d’appréciation (v. B. Audit et L. d’Avout, Droit international privé, LGDJ, 2022, n° 786). L’intention matrimoniale existe ou n’existe pas. La considération du contenu du droit français est indifférente.

La méthode de la reconnaissance est également battue en brèche par l’article 48 qui est l’unique disposition du sous-paragraphe 4 intitulé « Règles de forme et autorité compétente ».

Cet article 48 destiné à s’appliquer à tous les mariages, qu’ils soient célébrés en France ou à l’étranger, énonce que le mariage est valablement célébré s’il l’a été conformément aux formalités prévues par le droit de l’État sur le territoire duquel la célébration a eu lieu. L’utilité de cette disposition est discutable. L’article 48 semble superflu si l’on poursuit la comparaison entre la reconnaissance des mariages célébrés à l’étranger et la reconnaissance des décisions étrangères. De la même façon qu’en matière de reconnaissance des jugements, on ne vérifie pas que le juge étranger a respecté ses propres règles de procédure, il apparait malvenu de vérifier que l’autorité étrangère qui a célébré le mariage s’est conformée à ses propres règles de forme. La possibilité de s’opposer à la reconnaissance du mariage en cas de fraude ou de contrariété à l’ordre public devrait permettre d’éviter de donner effet à un mariage qui aurait été célébré dans des conditions choquantes, qu’elles soient ou non prévues par la loi du lieu de célébration.

Enfin les possibilités de reconnaissance d’un mariage célébré à l’étranger sont limitées par l’article 50 lorsque le mariage concerne un Français. Cet article réaffirme les solutions actuelles en exigeant le respect des articles 146-1, 171-1 à 171-9 du code civil. Ces exigences concernent principalement la présence du conjoint français à son mariage, l’entretien destiné à lutter contre les mariages de complaisance et l’éventuelle opposition du ministère public à la célébration du mariage, d’abord, à la transcription de l’acte ensuite. L’article 50 se place délibérément dans l’esprit de la codification à droit constant. Néanmoins, sur le plan méthodologique, il ne remet pas en cause le principe de la reconnaissance. Il se borne à l’encadrer de façon stricte, peut-être trop stricte (sur les défauts de la réglementation actuelle, v. S. Corneloup, Maîtrise de l’immigration et célébration du mariage, Mélanges en l’honneur de Paul Lagarde, Dalloz, 2005, p. 207 s.).