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Le droit en débats

Rendez-vous en terre inconnue ? Réflexions sur l’audition d’Alexandre Benalla par la commission d’enquête du Sénat

« Il faut qu’on se pénètre bien de cette vérité que les droits et les devoirs de la chambre ne se bornent pas à étudier les vœux et les besoins de la France, à lui donner des lois ou à fixer ses impôts, il faut qu’on sache aussi qu’un désordre grave ne peut pas signaler un vice dans l’administration sans que la représentation nationale s’en inquiète, porte un regard scrutateur sur les causes du mal, et révèle le résultat de ses investigations quelles que puissent être les conséquences1. »

Par @Le_Droit_Public, Docteur en droit public le 19 Septembre 2018

L’« affaire Benalla », du nom de cet ancien membre du cabinet du président de la République, n’en finit plus d’occuper les pages de la presse généraliste et juridique (dont celles qui suivent).

Il faut bien reconnaître que les faits – que l’on se passera de rappeler – sont assez inhabituels. Il faut bien admettre aussi que l’utilisation politique de ces faits occupe l’esprit et la plume des commentateurs les plus introduits. Quant aux citoyens, il est établi que personne ne leur demande rien mais que, lorsqu’on les exhorte à prendre position, c’est en les tenaillant entre les propos de vagues idolâtres criant au complot d’un côté et ceux de Saint-Just en culottes humides requérant l’écartèlement, de l’autre.

La rigueur juridique doit tenir bon dans ce maelström innommable. La question qui se pose aujourd’hui est née d’une controverse latente depuis le début des auditions des commissions d’enquête (feue) de l’Assemblée nationale et du Sénat : faut-il et peut-on interroger Alexandre Benalla alors que les faits dont on le soupçonne font l’objet d’une instruction judiciaire ?

La défense de monsieur Benalla avait, un temps, estimé que la commission d’enquête du Sénat ne pouvait valablement le convoquer ni, a fortiori, l’auditionner. La réponse empreinte de puissance publique du président de la commission a eu raison de cette position. L’intervention de la garde des Sceaux dans le débat, jugeant que la séparation des pouvoirs imposait que la commission renonce à auditionner Alexandre Benalla2, n’a pas pu renverser la détermination des sénateurs.

La seule explication rationnelle à cette stratégie d’Alexandre Benalla – outre un éventuel « tapis » de Texas Hold’em – devait prévoir de soulever la nullité de l’acte de convocation à l’occasion de poursuites engagées sur le fondement de l’ordonnance de 1958 en se fondant sur l’incompétence de la commission d’enquête. Cette incompétence aurait pu être fondée sur deux points : la commission d’enquête n’aurait pas dû être créée ou aurait dû cesser ses travaux dès l’ouverture de l’information judiciaire.

Répondre à ces questions nécessite de s’extraire de l’outrance des prises de position opposées. L’analyse conduit à la conclusion que la commission d’enquête du Sénat, seule survivante, est compétente tant pour enquêter sur les faits dont il est question que pour délivrer une convocation à Alexandre Benalla.

Une commission d’enquête compétente

La compétence de la commission d’enquête surmonte le double obstacle de l’article 51-2 de la Constitution et de l’existence d’une information judiciaire parallèle.

Une double hypothèse de compétence de la commission

Les commissions d’enquête parlementaires sont prévues à l’article 51-2 de la Constitution :

Pour l’exercice des missions de contrôle et d’évaluation définies au premier alinéa de l’article 24, des commissions d’enquête peuvent être créées au sein de chaque assemblée pour recueillir, dans les conditions prévues par la loi, des éléments d’information.

La compétence d’une commission d’enquête recouvre précisément la compétence constitutionnelle de contrôle et d’évaluation du Parlement. L’article 24, alinéa 1er, dispose que :

Le parlement vote la loi. Il contrôle l’action du gouvernement. Il évalue les politiques publiques.

La commission des lois du Sénat, en application de l’ordonnance de 19583, s’est vue conférer les prérogatives attribuées aux commissions d’enquête. C’est donc d’elle que l’on parle lorsqu’est évoquée « la commission d’enquête du Sénat sur l’affaire Benalla ». Sa dénomination exacte est : « Mission d’information sur les conditions dans lesquelles des personnes n’appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l’exercice de leurs missions de maintien de l’ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements ».

Selon les mots de son président, Philippe Bas, « il s’agit de mettre au jour les dysfonctionnements institutionnels et administratifs qui créent une confusion entre les missions constitutionnelles du président de la République et celles du gouvernement, seul responsable devant le Parlement »4.

Une première critique généralement adressée à la commission consiste à soutenir que l’administration de l’Élysée n’entre pas dans le champ du « contrôle (de) l’action du gouvernement » au sens de l’article 24 de la Constitution5.

Il est exact que le président de la République n’est pas membre du gouvernement. Il est tout aussi exact que la compétence du Parlement est limitée au seul contrôle de l’action du gouvernement et non, par une interprétation extensive, de l’ensemble de l’exécutif. Une telle interprétation porterait atteinte à l’article 67 de la Constitution qui prévoit l’irresponsabilité politique du président. Invoquer l’article 68, relatif à la destitution du chef de l’État, ne présenterait pas plus de pertinence dès lors que cette compétence appartient non au Parlement mais à la haute juridiction6.

Il est donc a priori difficile de concevoir que la compétence de la commission relève de cette mission du Parlement.

Cependant, le fondement du contrôle du gouvernement n’est pas tout à fait à exclure. L’organisation de la protection du président de la République relève bien de la compétence du gouvernement et non de la présidence de la République. Le groupe de sécurité de la présidence de la République est régi par un arrêté du ministre de l’intérieur7. La mission de la commission ne porte donc pas tant sur les faits faisant actuellement l’objet d’une instruction judiciaire (en clair, la folle équipée de la Contrescarpe et ses suites8) que sur les modalités d’organisation de la protection du président et ses éventuelles failles, c’est-à-dire, sur une mission du gouvernement.

On a également soutenu que les travaux de la commission relevaient de l’évaluation des politiques publiques. Ce terme n’a pas de définition claire. Les débats relatifs à la réforme constitutionnelle de 2008, à l’issue de laquelle cette compétence a été ajoutée au texte de 1958, n’informent pas plus que les décisions du Conseil constitutionnel.

L’indétermination des termes pourrait faire accepter l’idée que l’examen des modalités de protection du président de la République en relève. Il s’agirait alors d’apprécier la politique, précisément, guidant l’organisation de la protection du président. Le terme de « politique » est alors employé dans le sens de « principe d’organisation ». Rien n’interdit d’avoir une conception large de ce terme qui relève déjà, en soi, d’un pléonasme. On imagine mal, en effet, que le Parlement s’occupe de politique privée9.

On trouve un soutien utile à cette position dans le droit budgétaire, l’article 7 de la loi organique relative aux lois de finances évoquant ce terme10. Dans cette législation, une politique publique est définie comme un ensemble de missions. Or la sécurité du président de la République relève de la mission « Pouvoirs publics » de la loi de finances11. Sans vider les mots de leur sens, il pourrait donc être censément soutenu que les faits en cause révèlent ou sont susceptibles de révéler un dysfonctionnement dans la mission « Pouvoirs publics » ou une utilisation inappropriée des crédits12.

Il faut noter que l’utilisation de l’argument budgétaire demeure, en lui-même, employé seul, assez fragile. La mission « Pouvoirs publics » du budget de l’État ne comporte ni programme ni action. Elle n’est pas conçue en termes d’objectifs et de performance, indicateurs nécessaires à… l’évaluation d’une politique publique.

En l’absence de définition précise de la notion de « politique publique », il conforte toutefois le rattachement des travaux de la commission à ce titre de compétence.

Une retenue nécessaire des sénateurs

La question du chevauchement éventuel des travaux de la commission d’enquête sur ceux de l’instruction judiciaire demeure toute relative dans la mesure où les conséquences juridiques à en tirer ne sont qu’hypothétiques.

Bien que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires prévoit que :

Il ne peut être créé de commission d’enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Si une commission a déjà été créée, sa mission prend fin dès l’ouverture d’une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d’enquêter13.

Le respect de cette disposition n’est pourvu d’aucun mécanisme contraignant. Il est difficile d’affirmer que cette disposition entraîne automatiquement la fin des travaux de la commission d’enquête, sans qu’un acte positif soit nécessaire. Le cas d’espèce démontre pertinemment qu’il existe une marge d’appréciation quant au fait de savoir si le périmètre des travaux de la commission et celui de l’information judiciaire se recoupent. Il appartient donc au Sénat lui-même de mettre fin aux travaux de la commission s’il estime que son périmètre déborde sur celui de poursuites judiciaires en cours, par voie de résolution14.

L’utilité d’une telle interdiction est aisément compréhensible. Dans la mesure où les auditions sont publiques15, toute enquête parlementaire parallèle à une enquête pénale porterait atteinte le secret – et la sérénité – nécessaire de l’instruction. C’est la raison pour laquelle le constituant a choisi de ne pas suivre la proposition n° 40 du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République présidé par Édouard Balladur en 200716 visant supprimer cette interdiction.

Du reste, ce n’est pas la première fois que l’argument d’une instruction judiciaire parallèle est invoqué pour faire échec aux travaux d’une commission d’enquête. Le rapport de la commission d’enquête chargée, en 1982, de faire la lumière sur les activités du Service d’action civique, outre qu’il présente certaines similitudes avec les faits de la présente affaire, contient un argumentaire assez détaillé sur les précédents17. On ne peut se retenir d’en citer ce constat « il a fallu garder la tête froide et les pieds sur terre pour avancer parmi tous les obstacles dressés sur le chemin : loi du silence, perte de mémoire, voies sans issue, provocations, menaces »18

En tout état de cause, il appartiendra aux sénateurs de faire preuve de la retenue nécessaire. L’intitulé de leurs travaux leur est beaucoup plus favorable que celui de la commission de l’Assemblée qui entendait « faire la lumière sur les événements survenus à l’occasion de la manifestation parisienne du 1er mai 2018 »19, ce qui, d’évidence, entrait dans le champ de l’information judiciaire.

L’incertaine stratégie des nullités

Le pari stratégique d’une nullité n’a pas une issue certaine. Il est assez clair qu’invoquer la nullité de l’acte de convocation fondée sur l’incompétence de la commission d’enquête est un moyen voué au rejet. En revanche, la question de l’utilisation du rapport d’enquête à titre de preuve durant le procès pénal mérite sérieusement d’être posée.

L’acte de convocation : un acte immunisé

Afin de rendre pleinement efficace – et effectif – leur travail, l’ordonnance20 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires confère aux commissions d’enquête parlementaires des prérogatives exorbitantes, dont le non-respect est pénalement sanctionné.

Le troisième alinéa du paragraphe II de l’article 6 dispose :

Toute personne dont une commission d’enquête a jugé l’audition utile est tenue de déférer à la convocation qui lui est délivrée, si besoin est, par un huissier ou un agent de la force publique, à la requête du président de la commission. À l’exception des mineurs de seize ans, elle est entendue sous serment. Elle est, en outre, tenue de déposer, sous réserve des dispositions des articles 226-13 et 226-14 du code pénal. Les dispositions du troisième alinéa de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse lui sont applicables.

Quant aux dispositions pénales, elles sont prévues par le paragraphe III du même article :

III.- La personne qui ne comparaît pas ou refuse de déposer ou de prêter serment devant une commission d’enquête est passible de deux ans d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende.

Le refus de communiquer les documents visés au deuxième alinéa du II est passible des mêmes peines.

Dans les cas visés aux deux précédents alinéas, le tribunal peut en outre prononcer l’interdiction, en tout ou partie, de l’exercice des droits civiques mentionnés à l’article 131-26 du code pénal, pour une durée maximale de deux ans à compter du jour où la personne condamnée a subi sa peine.

En cas de faux témoignage ou de subornation de témoin, les dispositions des articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal sont respectivement applicables.

Les poursuites prévues au présent article sont exercées à la requête du président de la commission ou, lorsque le rapport de la commission a été publié, à la requête du bureau de l’assemblée intéressée.

Les peines sont relativement lourdes. Sont sanctionnés tant le refus de comparaître que de déposer ou encore de prêter serment.

La question déterminante revient à savoir si le juge pénal, nonobstant le principe de séparation des pouvoirs, pourrait être compétent pour se prononcer sur la validité de la convocation de la commission.

L’hypothèse se présente ainsi : à l’occasion de poursuites du chef de refus de comparaître, de prêter serment ou de déposer, le prévenu invoque la nullité de l’acte de convocation en se fondant sur l’illégalité de la commission d’enquête. Pour que la nullité soit admise, le juge pénal devrait au préalable se reconnaître compétent pour apprécier la légalité (voire la constitutionnalité, mais cette question a été évacuée dans le paragraphe précédent) de la commission d’enquête.

La « conception française » de la séparation des pouvoirs interdit intuitivement le contrôle de l’autorité judiciaire sur les actes du Parlement.

Plusieurs éléments de la réalité juridique font de cette de ce principe, un principe tangible. D’abord, on ne peut qu’admettre que l’autorité judiciaire et la juridiction administrative contrôlent largement la conventionnalité des actes du Parlement appelés « lois »21. Le juge judiciaire, comme le juge administratif, a même l’obligation d’apprécier la conformité d’une loi au droit de l’Union européenne22. Ils apprécient également, parfois de façon très poussée23, la conformité des lois à la Convention européenne des droits de l’homme.

Mais le juge pénal dispose du pouvoir non seulement d’interpréter les actes administratifs au fondement des poursuites, mais également d’en apprécier la légalité. L’article 111-5 du code pénal est très clair :

Les juridictions pénales sont compétentes pour interpréter les actes administratifs, réglementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis.

Cette disposition a été introduite à l’occasion de l’adoption du nouveau code pénal en 1993. Il ressort des débats parlementaires relatifs à ce qui deviendrait l’article 111-5 du code pénal24 que la volonté du législateur était de mettre fin à la jurisprudence du Tribunal des conflits Avranches et Desmarets de 195125. Autrement dit, l’origine de cette disposition réside dans un conflit de compétence entre la juridiction pénale et la juridiction administrative au sujet de l’appréciation de la légalité des actes individuels. Cette circonstance pousse à entendre le terme « actes administratifs » qu’utilise l’article 111-5 du code pénal comme renvoyant à la catégorie des actes administratifs susceptibles de recours devant le juge administratif.

En droit administratif, la solution n’est pas évidente. La jurisprudence administrative a développé une distinction subtile au sein de la catégorie des actes parlementaires. La doctrine26 souligne la distinction entre les actes rattachés à la fonction législative et ceux relevant de la fonction administrative des assemblées parlementaires. Alors que les premiers sont insusceptibles de recours devant le juge administratif27, les recours contre les seconds sont plus largement admis28. Cependant, hormis le cas du contrôle des marchés publics29, la plupart de ces recours sont explicitement prévus dans l’ordonnance de 1958.

Les travaux des commissions d’enquête sont très étroitement liés à l’action strictement parlementaire, si l’on ose dire, ou à l’action proprement parlementaire, celle qui ne relève pas d’une fonction d’administration. Le Conseil d’État a jugé, à propos de la décision de publication du rapport d’une commission d’enquête parlementaire :

Considérant que l’acte par lequel le président de l’Assemblée nationale rend public le rapport d’une commission d’enquête parlementaire est indissociable de la fonction parlementaire de contrôle dont les commissions créées par cette Assemblée et les rapports qu’elles élaborent, notamment en vue de les rendre publics, sont l’un des éléments ; qu’il échappe de ce fait par nature au contrôle du juge de l’excès de pouvoir ; que la circonstance qu’en vertu de la tradition constitutionnelle française de séparation des pouvoirs, aucune juridiction ne puisse être saisie d’un tel litige ne saurait avoir pour conséquence d’autoriser le juge administratif à se déclarer compétent.

Le Conseil constitutionnel considère quant à lui également que les commissions d’enquête constituent des « accessoires », des outils permettant au Parlement d’assumer les fonctions strictement parlementaires définies à l’article 24 de la Constitution30.

Il résulte de ce qui précède que le juge pénal, à supposer qu’il lise l’article 111-5 du code pénal comme une disposition de résolution d’un conflit et admette par conséquent que la notion d’« acte administratif » doit s’entendre dans le sens d’actes unilatéraux susceptibles de recours devant le juge administratif, se déclare incompétent pour apprécier la validité de la commission d’enquête et, donc, de l’acte de convocation.

L’utilisation délicate du rapport de la commission à titre de preuve pénale

Si la commission d’enquête du Sénat refuse de se saborder comme l’a fait sa cousine de l’Assemblée nationale, elle déposera un rapport. Ce rapport est susceptible de contenir les réponses d’Alexandre Benalla. Dans tous les cas, ces réponses seront diffusées et retranscrites dans le compte rendu de séance de la commission. Un juge pénal pourrait-il valablement prendre en compte ces éléments pour forger sa conviction et motiver son jugement de condamnation ?

En 1997, la Cour de cassation avait jugé, à propos d’un parlementaire mis en cause dans le financement du parti socialiste, que le rapport d’enquête parlementaire avait pu valablement être utilisé à titre de preuve, dès lors, essentiellement, que le contenu de l’audition devant la commission d’enquête avait été soumis au débat contradictoire31.

Mais, dans l’affaire Air Lib’, la Cour européenne des droits de l’homme a fragilisé la solution de la Cour de cassation. Elle juge l’obligation pénalement sanctionnée de comparaître, déposer ou prêter serment constitutive d’un moyen de coercition. Dès lors, le droit de se taire et celui de ne pas contribuer à sa propre incrimination sont violés si les conclusions du rapport constituent le fondement des poursuites32.

Plus précisément, elle juge que33 :

La Cour estime que l’impossibilité pour les personnes appelées à comparaître devant une telle commission d’invoquer le respect de ces droits pour éviter de répondre à des questions qui pourraient les conduire à s’auto-incriminer est en soi problématique au regard de l’article 6, § 1, de la Convention.

Ajoutant34 :

Ce qui compte, c’est l’utilisation faite au cours du procès pénal des dépositions recueillies sous la contrainte ; si elles ont été utilisées d’une manière tendant à incriminer l’intéressé, il y a violation de l’article 6, § 1.

Dans le cas d’espèce, jugeant que les requérants n’avaient pas démontré que l’utilisation du rapport « a eu un impact sur le verdict de culpabilité ou les peines prononcées »35, la Cour juge le moyen manifestement mal fondé et le rejette.

Tout est donc question de doigté et de mesure. L’utilisation des éléments recueillis du prévenu lui-même lors des auditions de la commission est en soi problématique, mais ne constitue pas une violation de la Convention européenne si le jugement reconnaissant la culpabilité est fondé sur d’autres éléments probants.

Les membres de la commission d’enquête du Sénat seraient donc doublement avisés de ne pas s’appesantir sur les faits susceptibles d’entrer dans le champ de l’information judiciaire, d’une part, parce que cela serait contraire à l’ordonnance de 1958 et, d’autre part, parce que les éléments ainsi recueillis ne pourraient qu’être difficilement utilisables lors d’un éventuel procès pénal.

 

 

 

1. Député Martin, cit. in J.-L. Warsmann, Rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur le projet de loi constitutionnelle (n° 820) de modernisation des institutions de la Ve République, 15 mai 2008.
2. Avec ceci de délicieusement ironique qu’un membre du gouvernement s’ingère dans un débat qui concerne les relations entre le Sénat et l’autorité judiciaire. Ceci étant, le règlement de l’Assemblée nationale prévoit une saisine du garde des Sceaux préalablement à la création d’une commission d’enquête afin de vérifier qu’aucune poursuite judiciaire n’est en cours : art. 139, § 3.
3. Ord. n° 58-1100, 17 nov. 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, art. 5 ter et Règl. du Sénat, art. 22 ter. Il est à noter que la commission a débuté, le 19 juillet 2018, ses auditions en tant que Commission des lois et non en qualité de commission d’enquête puisque les prérogatives attribuées à ces dernières n’ont été conférées que le 23 juillet 2018.
4. Communiqué de presse du 23 juillet 2018
5. C’est notamment la position de la garde des Sceaux, v. Le Monde, « Nicole Belloubet "Le Parlement ne peut pas empiéter sur le domaine judiciaire" », Tribune, 15 sept. 2018.
6. Et, surtout, qu’elle fait l’objet d’un régime particulier, v. L. org. n° 2014-1392, 24 nov. 2014, portant application de l’article 68 de la Constitution.
7. Arrêté du 12 août 2013 relatif aux missions et à l’organisation du service de la protection.
8. Selon l’agence Reuters, l’information concerne les chefs de violences en réunion n’ayant pas entraîné d’incapacité totale de travail, immixtion dans l’exercice d’une fonction publique en accomplissant des actes réservés à l’autorité publique, port et complicité de port prohibé et sans droit d’insignes réglementés par l’autorité publique, port prohibé d’armes de la catégorie B, violation et recel de violation du secret professionnel, détournement et complicité de détournement d’images issues d’un système de vidéo protection, brève du 22 juill. 2018, 12h57.
9. Le dictionnaire Littré définit le substantif « politique » comme suit : « Se dit des affaires publiques ».
10. L. org. n° 2001-692. Le premier paragraphe de l’article 7 dispose : « Les crédits ouverts par les lois de finances pour couvrir chacune des charges budgétaires de l’État sont regroupés par mission relevant d’un ou plusieurs services d’un ou plusieurs ministères. Une mission comprend un ensemble de programmes concourant à une politique publique définie. […] ».
11. Au titre de la mise à disposition de personnel. La présentation de la mission dans le budget 2017 précise d’ailleurs : « Parallèlement, le budget de la présidence de la République finance, d’une part, les dépenses de sécurité afférentes au président et à ses collaborateurs, d’autre part, l’ensemble des fonctions support pour le fonctionnement des services ». Disponible en ligne.
12. Bien que les dotations ne soient pas finalisées, l’article 115 de la loi n° 2001-1275 du 28 décembre 2001 de finances pour 2002 prévoit l’obligation pour chacun des pouvoirs publics de présenter un rapport « développant […] le montant définitif des crédits ouverts et des dépenses constatées et présentant les écarts avec les crédits initiaux ».
13. On notera avec intérêt que les deux phrases de cet alinéa ne mentionnent pas la même condition. Dans la première phrase, la création d’une commission d’enquête est empêchée lorsque des « poursuites judiciaires » sont en cours. Dans la seconde phrase, il est question d’une « information judiciaire », c’est-à-dire pénale. Le comité constitutionnel chargé de proposer une réforme de la Constitution en 2007, présidé par Édouard Balladur, l’avait compris : « Au sujet des commissions d’enquête et de l’interdiction qui est faite de constituer de telles commissions lorsque l’autorité judiciaire est saisie de faits sur lesquels ces commissions sont susceptibles d’enquêter sans se prononcer sur la responsabilité pénale, civile ou disciplinaire des personnes en cause » (Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, Une Ve République plus démocratique, Doc. fr., 2007, p. 51).
14. Dans une forme qui suit celle prévue pour la création des commissions d’enquête, v. Règl. du Sénat, art. 11.
15. Ord. n° 58-1100, préc., art. 6, par. IV, al. 1er.
16. Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, Une Ve République plus démocratique, Doc. fr., 2007, p. 51.
17. Rapport de la Commission d’enquête sur les activités du Service d’action civique, t. 1, rapporteur, M. Louis Odru, 1982.
18. Ibid., préf., p. 1.
19. Selon la dénomination issue de la proposition de résolution n° 1148 déposée le 10 juill. 2018, dénomination adoptée lors de la séance du 19 juill. 2018, compte rendu n° 103.
20. Qui n’est pas une ordonnance organique comme on a parfois pu le lire, v. Cons. const. 15 janv. 1992, n° 91-301 DC, Résolution rendant le règlement du Sénat conforme aux nouvelles dispositions de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958, relatif aux commissions d’enquête et de contrôle parlementaires et modifiant certains de ses articles en vue d’accroître l’efficacité des procédures en vigueur au Sénat.
21. Cass., ch. mixte, 24 mai 1975, Société des Cafés Jacques Vabre, D. 1975, concl. Touffait ; CE, ass., 20 oct. 1989, Nicolo, req. n° 108243, Lebon ; AJDA 2014. 100, entretien M. Long ; D. 1990. 135 , note P. Sabourin ; ibid. 57, chron. R. Kovar ; RFDA 1990. 267, chron. D. Ruzié ; Rev. crit. DIP 1990. 125, concl. P. Frydman ; ibid. 139, note P. Lagarde ; RTD com. 1990. 193, obs. C. Debbasch .
22. CJCE 9 mars 1978, Simmenthal, aff. 106/77.
23. CE, Ass, Ord., 31 mai 2016, Gonzalez-Gomez, req. n° 396848.
24. Compte rendu intégral, 19e séance du 10 mai 1989, JORF, Débats parlementaires, 11 mai 1989, pp. 599 – 600.
25. TC, 5 juillet 1951, req. n° 1187 : « Considérant qu’il résulte de la nature de la mission assignée au juge pénal que celui-ci a, en principe, plénitude de juridiction sur tous les points d’où dépend l’application ou la non-application des peines ; qu’il lui appartient, à cet effet, non seulement d’interpréter, outre les lois, les règlements administratifs, mais encore d’apprécier la légalité de ceux-ci, qu’ils servent de fondement à la poursuite ou qu’ils soient invoqués comme moyen de défense ; que la compétence de la juridiction pénale ne connaît de limite, en ce domaine, que quant à l’appréciation de la légalité des actes administratifs non réglementaires, cette appréciation étant, sauf dans le cas de prescription législative contraire, réservée à la juridiction administrative en vertu de la séparation des pouvoirs […] »
26. B. Plessix, Droit administratif général, LexisNexis, 2017, p. 361 s.
27. Par ex. les sanctions infligées par l’une des assemblées à ses membres, v. CE 28 mars 2011, Maxime Gremetz, req. n° 347869, Lebon ; AJDA 2011. 648 ; D. 2011. 1540 , note O. Renaudie ; ou encore les décisions de publication d’un rapport parlementaire, v. CE 16 avr. 2010, Fédération chrétienne des témoins de Jéhovah de France, req. n° 304176, Lebon . Le juge administratif se déclare encore incompétent pour connaître des recours contre un acte soumis à l’avis d’une commission parlementaire incompétente, v. CE 6 juin 2012, Association Eau et rivières de Bretagne, req. n° 347533.
28. V., s’agissant de contentieux relatifs à la fonction publique parlementaire, CE 9 févr. 2004, Président du Sénat, req. n° 257746, D. 2004. 607 ; v. égal., sur le contrôle des marchés publics, CE, ass., 5 mars 1999, Président de l’Assemblée nationale, req. n° 163328, Lebon avec les conclusions ; AJDA 1999. 460 ; ibid. 409, chron. F. Raynaud et P. Fombeur ; D. 1999. 627 , note P. Brunet ; RDI 1999. 230, obs. F. Llorens ; ibid. 231, obs. F. Llorens ; ibid. 235, obs. F. Llorens ; ibid. 236, obs. F. Llorens ; ibid. 248, obs. F. Llorens ; RFDA 1999. 333, concl. C. Bergeal .
29. CE, ass., 5 mars 1999, Président de l’Assemblée nationale, préc.
30. Cons. const. 14 oct. 1996, Résolution modifiant le règlement de l’Assemblée nationale, n° 96-382 DC.
31. Crim. 16 déc. 1997, n° 96-82.509, Rev. sociétés 1998. 402, note B. Bouloc ; RTD com. 1998. 696, obs. B. Bouloc .
32. CEDH 19 mars 2015, Corbet e.a. c. France, req. nos 7494/11, 7493/11 et 7989/11, Constitutions 2015. 208, chron. P. Bachschmidt .
33. Ibid. § 33.
34. Ibid. § 34.
35. Ibid. § 38.