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Portrait

Guillaume Didier, l’homme qui murmurait à l’oreille des puissants

par Chloé Enkaoua, Journalistele 22 mai 2023

Il est le communicant que tout le monde s’arrache. Celui qui, passé de la magistrature au privé, a su conseiller Pascal Clément, Rachida Dati ou encore Michèle Alliot-Marie à travers toutes les tempêtes. Aujourd’hui associé chez DGM Conseil, Guillaume Didier continue à accompagner les grands noms du pays avec un principal atout : l’expérience.

De lui, ses proches disent qu’il fait l’unanimité, y compris auprès des journalistes et de ses concurrents. Le secret ? Des qualités professionnelles éprouvées, alliées à une affabilité certaine. Mais s’il est désormais un communicant reconnu, Guillaume Didier ne s’en sent pas moins toujours magistrat dans l’âme. « J’ai démissionné de la magistrature l’année dernière, et j’arrive aujourd’hui enfin à dire que je suis un ancien magistrat », sourit-il. « Mais il n’y a pas un jour dans ma carrière où je ne me sers pas de ce que j’ai appris pendant cette période de ma vie. » La robe, ce natif de Reims l’a en effet portée pendant plusieurs années, « par vocation ». Issu d’une famille de militaires dont les mutations professionnelles l’ont amené à poser ses valises dans plusieurs villes de France, il découvre en effet le métier de juge à l’âge de dix ans, lors d’un trajet vers l’école à Montpellier. Là, devant le tribunal pour enfants, il se met à questionner pour la première fois son entourage sur cette profession. « Depuis, ça ne m’a plus jamais quitté », affirme celui qui, le modèle anglo-saxon en tête, refoule pourtant rapidement cette idée, convaincu qu’il fallait passer par la case avocature. C’est à l’occasion d’une foire aux métiers que cette voie s’impose à nouveau à lui, au détour d’une conversation avec un magistrat. « J’ai su à ce moment-là que la seule chose à faire pour pouvoir embrasser une carrière de juge, c’était de m’inscrire en droit et de passer le concours », raconte Guillaume Didier.

Juge de province

Une maîtrise carrières judiciaires et un DESS contentieux judiciaires plus tard, il réussit le concours et intègre l’École nationale de la magistrature (ENM) dans la promotion 1996. Il y fait notamment la rencontre de Christophe Ingrain, aujourd’hui associé en pénal des affaires chez Darrois Villey Maillot Brochier. « Nous avons fait notre stage ensemble à la Roche-sur-Yon », rapporte l’avocat. « Guillaume a une empathie réelle pour les gens. Cela se ressentait particulièrement lorsque l’on était auditeurs de justice : comme il souriait, les personnes qu’il jugeait lui souriaient en retour, même lors de dossiers difficiles. Ce qui ne l’a pas empêché par la suite, en tant que juge d’instruction ou président de correctionnelle, de prendre les décisions qui s’imposaient, mais toujours avec humanité. » De sa période ENM, Guillaume Didier garde le souvenir d’une formation de qualité qui lui a permis de se frotter à plusieurs corps de métiers et de se préparer au respect du contradictoire, au droit de la défense ou encore à la culture du doute. « L’ENM m’a notamment appris qu’il ne fallait jamais reprocher à un justiciable ou à ses avocats d’exercer un recours ; c’est un droit fondamental », assure celui qui, à sa sortie de l’école en 1998, débute sa carrière en tant que juge d’instruction à Douai. Suivront trois années « vertigineuses », en pleine information judiciaire Outreau, au cours desquelles s’enchaîneront les affaires de meurtres, de braquages et autres délits économiques et financiers. « C’était humainement très fort, avec des dossiers auxquels je pense encore souvent », glisse Guillaume Didier. De ce jeune homme de vingt-deux ans injustement accusé de viol à ce « coupable idéal » que tout accablait, et que l’ADN a finalement permis d’innocenter, certaines histoires continuent de hanter celui qui n’avait alors que vingt-six ans. « De même, lorsqu’une maison d’arrêt vous appelle pour vous dire qu’untel s’est suicidé dans la nuit, on se sent très seul et démuni », souffle-t-il.

À ce moment-là, Guillaume Didier en est pourtant persuadé : sa destinée est celle d’un juge de province. Il décide néanmoins de faire jouer son droit statutaire pour partir exercer au sein de l’administration centrale du ministère de la Justice, pour « tenter l’expérience ». « À l’ENM, la Chancellerie envoyait ses jeunes ambassadeurs faire la promotion de l’administration centrale, et cela m’avait intrigué », se souvient-il. Parmi eux, Bruno Dalles, ex-directeur de Tracfin et aujourd’hui procureur général de Nouméa, qui le prend sous son aile au sein du Bureau de la lutte contre le terrorisme, qu’il dirigeait alors. Le 2 septembre 2001, précisément, soit quelques jours avant les attentats du World Trade Center… « Le 11 septembre au soir, j’étais dans le bureau de la ministre Marylise Lebranchu. Et quelques semaines seulement après mon arrivée, j’étais sur le banc derrière elle à l’Assemblée pour défendre les amendements de lutte antiterroriste, dont certains étaient très controversés », raconte-t-il.

À marche forcée

Deux ans après ce baptême du feu, Jean-Claude Marin, qui vient d’être nommé directeur des affaires criminelles et des grâces, lui propose d’être son chef de cabinet. « Il m’a expliqué tout ce que la société attendait d’un magistrat, tant dans l’attitude et l’image que dans le sens de l’écoute », rapporte Guillaume Didier. Rien d’étonnant, donc, à ce qu’il le suive ensuite en tant que vice-procureur chargé des relations avec la presse lorsque Jean-Claude Marin est nommé procureur de la République de Paris. L’ex-magistrat découvre alors un monde inconnu fait de « on » et de « off », rythmé par les demandes de cette presse dite « du Palais ». « Le premier jour, lorsque je suis arrivé au Parquet de Paris, les journalistes étaient déjà en train de m’attendre devant mon bureau », s’amuse Guillaume Didier. « Ce sont eux qui m’ont appris les relations presse. » C’est à cette occasion qu’il fait la rencontre de la contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Dominique Simonnot, alors journaliste à Libération. Malgré les divergences de bord et d’opinions – lui est de droite, elle de gauche –, le courant passe… mais pas immédiatement. « Nous avons commencé notre relation en nous disputant », confie-t-elle en riant. « Je lui ai même décerné le prix de la langue de bois ! Mais Guillaume a un grand sens de l’humour et nous nous retrouvions sur l’essentiel : la liberté. Par ailleurs, dans la limite de ce que la loyauté lui permettait, il n’hésitait pas à nous dire autre chose que des éléments de langage. » Dominique Simonnot le comprend alors rapidement : Guillaume Didier est arrivé à un point de non-retour et ne revêtira plus sa robe de magistrat. « Il était sorti du chemin, et les chemins tout tracés ne sont pas faits pour lui », affirme-t-elle.

En 2005, Pascal Clément succède à Dominique Perben en tant que ministre de la Justice. Lui qui s’est toujours entouré de magistrats n’hésite pas à faire appel à Guillaume Didier pour sa communication, qui retrouve à cette occasion Christophe Ingrain, chef de cabinet du ministre. À nouveau, le magistrat communicant doit se mettre dans son nouveau rôle à marche forcée et répondre dès le premier jour aux appels de Jean-Michel Apathie et autres Jean-Pierre Elkabbach. Les affaires et décisions s’enchaînent, de la commission d’enquête parlementaire d’Outreau à l’enregistrement audiovisuel des gardes à vue, en passant par la mise en place du dispositif Alerte Enlèvement, ou encore l’extradition de Rachid Ramda.

De l’ombre à la lumière

Arrive l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République en 2007, et avec elle la nomination de Rachida Dati en tant que garde des Sceaux. Guillaume Didier, lui, s’est fait un nom ; il est désormais identifié comme le magistrat communiquant de droite incontournable. Deux heures seulement après la passation de pouvoir, il est naturellement appelé dans le bureau de la nouvelle ministre de la Justice. Laquelle, outre un caractère bien trempé, amène avec elle une « starification » de la fonction que l’ancien magistrat n’avait jamais connue jusque-là… « Dès que l’on sortait place Vendôme ou dans les gares pour les déplacements, les gens se pressaient autour d’elle pour prendre des photos », se souvient, amusé, celui qui se transformait souvent en photographe pour l’occasion. Mais sa véritable mue professionnelle s’opérera trois semaines seulement après son arrivée, au moment où il décide de créer le poste de porte-parole du ministère de la Justice et des libertés. Une fonction qu’il occupera jusqu’en 2010. Là encore, le passage de l’ombre à la lumière est rapide pour celui qui se voit du jour au lendemain appelé à prendre la parole dans les médias, notamment sur le sujet très controversé de la réforme de la carte judiciaire. Avec Rachida Dati, les polémiques sont quotidiennes, et la cadence des réformes infernale. Malgré les remous, Guillaume Didier se félicite d’être resté du premier au dernier jour lorsque beaucoup autour de lui jetaient l’éponge.

Il peut alors compter sur le soutien de son jeune collaborateur, Arthur Dreyfuss, aujourd’hui PDG d’Altice France. À ses côtés, fin 2011, il a notamment diffusé un guide expliquant aux magistrats comment améliorer leur communication et mieux répondre aux journalistes. Un ouvrage qui, aujourd’hui encore, trône toujours sur les bureaux de la Chancellerie et dans les tribunaux français. « Guillaume est quelqu’un de très serein, qui a beaucoup de sang-froid », dit de lui Arthur Dreyfuss. « Il m’a appris à garder la tête froide et à me dire que tout pouvait s’arrêter du jour au lendemain. » Un apprentissage qu’ils doivent justement appliquer au pied de la lettre en 2010 lorsque, Rachida Dati quittant la Chancellerie, le tandem est appelé à suivre le mouvement… Avant de revenir quelques heures plus tard au Quai d’Orsay avec la ministre des Affaires étrangères Michèle Alliot-Marie. D’autres communications de crise en perspective, et une autre personnalité dont Guillaume Didier redoutait presque plus les reproches glissés avec douceur que les coups de sang de Rachida Dati. Au bout de six mois de polémiques, le coup de grâce est porté par la crise tunisienne et l’affaire Aziz Miled, qui aboutit à la démission de Michèle Alliot-Marie. « Ma stratégie était de répondre à toutes les attaques », se souvient Guillaume Didier. « J’ai même dû aller jusqu’à montrer les relevés de comptes de la ministre et de son mari aux journalistes face à certaines rumeurs. Démentir de fausses accusations est ce qu’il y a de plus compliqué. »

Tempêtes médiatiques

Au bout de six ans de cabinets ministériels, Guillaume Didier songe un temps à revenir à la magistrature. « Je voulais moins d’exposition », glisse-t-il. « Mais à ce moment-là, Vae Solis m’a appelé pour me proposer de les rejoindre. Alors que je m’étais juré de ne pas aller dans le privé, j’ai accepté. » En 2012, l’ex-porte-parole de la Chancellerie pousse ainsi les portes du cabinet de conseil en stratégie de communication en tant que directeur associé, avant d’en devenir le directeur général quelques années plus tard. Sa première grande mission ? Le scandale de la viande de cheval Spanghero en 2013. Pas de quoi effrayer cet habitué des crises défrayant la chronique, qui accompagnera ensuite des figures telles que Nicolas Sarkozy lors de l’affaire Bygmalion, ou Éric Dupond-Moretti devant la commission d’instruction de la CJR. C’est également lui que l’on retrouve aux côtés du diocèse de Paris lors de l’incendie de Notre-Dame, ou auprès de la SNCF suite à l’accident ferroviaire de Brétigny-sur-Orge. « Lors de ce procès devant le tribunal correctionnel, nous avons pu vivre la réalité de ce qu’avaient traversé les parties civiles et l’émotion était palpable », commente-t-il à ce sujet. « Je pense que c’est pour cela que la bascule s’est faite définitivement : j’ai retrouvé dans ce métier des émotions similaires à celles que j’avais pu vivre en tant que magistrat. »

Guillaume Didier garde notamment en tête l’affaire du diocèse de Lyon et du cardinal Barbarin, accusé de non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs. Une tempête médiatique internationale de plusieurs mois qui mettra à mal jusqu’à l’image du communicant. Lequel l’assure : en onze ans d’exercice dans le privé, il lui est parfois arrivé de refuser des missions. « Par exemple, je n’accepte pas de prendre un dossier lorsque l’on me dit que le but est de dénigrer la partie adverse », indique-t-il. « Je trouve cela contre-productif, et cela nuit à l’image des clients. » Clients pour lesquels 90 % de son travail consiste à rétablir la vérité. « Ce qui m’attirait dans la magistrature, c’était la vérité judiciaire ; à présent, ce qui me passionne, c’est la vérité subjective de mes clients », analyse Guillaume Didier. « Rien n’est jamais tout noir ou tout blanc. Le tout est de parvenir à montrer les nuances. » C’est par exemple ce qu’il s’est attelé à faire avec le photographe François-Marie Banier à la barre du procès Bettencourt, passé d’une image de fanfaron en première instance à celle d’un homme plus vulnérable en appel. Presque un travail de coach, que le communicant maîtrise désormais sur le bout des doigts. « Le plus important, c’est de savoir conseiller sur la bonne stratégie à adopter : quand est-ce que l’on parle, qui prend la parole et pour dire quoi », poursuit-il. « Dans ce processus, la relation de confiance avec le client est primordiale. Par ailleurs, mon travail est toujours complémentaire à celui des avocats ; chacun doit rester dans son rôle. » Aider, donc, mais chacun avec ses armes. L’associé Christophe Ingrain, qui partage encore quelques dossiers communs avec Guillaume Didier, témoigne de cet attachement à ne jamais marcher sur les plates-bandes de l’autre. « C’est une question de respect pour notre travail », assure-t-il. « En ce sens, Guillaume montre l’exemple. Il a également chevillée au corps la certitude que l’on peut toujours convaincre, même quand la cause semble perdue. »

Patience et méthode

Sa méthode de travail, Guillaume Didier l’a affinée au fil du temps et de l’expérience. « J’exerce un métier d’humilité et d’apprentissage permanent », souligne-t-il. « Il ne faut pas être impatient. Il n’y a rien de pire qu’un communicant qui arrive en disant : "Il n’y a qu’à" ou "Il faut qu’on", y compris avec les avocats. » Des recommandations qu’il partage aujourd’hui en tant qu’intervenant à l’ENM, évolution de la profession oblige. « Notre métier est plus connu aujourd’hui, d’autant plus avec l’accélération du temps médiatique et l’essor des réseaux sociaux », explique-t-il. « Auparavant, ces derniers étaient la vigie permanente de notre communication de crise. Aujourd’hui, je conseille à mes clients de les éviter. »

En janvier dernier, après près de onze ans passés chez Vae Solis, Guillaume Didier a choisi de venir gonfler les rangs de DGM Conseil suite à son rachat par Avisa Partners. Un départ qui a fait grand bruit sur le marché et qui lui permet, à cinquante-et-un ans, d’écrire une nouvelle page de sa carrière. « Avec les dirigeants, nous partageons la même vision du métier », affirme-t-il. « On me demande en outre de faire ce que je sais déjà faire, à savoir la communication de crise judiciaire et le conseil aux dirigeants. » En quelques semaines, Guillaume Didier a également pu former son équipe ; il s’est ainsi entouré de Julia Nioré, ancienne avocate pénaliste, et de deux collaborateurs et anciens stagiaires, Stéphane Pasquiou-Esvan, ex-avocat également, et Henry Debreuilly. « Pour moi qui ne me suis toujours pas remis du travail solitaire du juge d’instruction, c’est un vrai bonheur de travailler en équipe. D’autant plus avec des personnes plus jeunes que moi », sourit l’ex-magistrat, qui accompagne entre autres actuellement le laboratoire Servier dans le procès en appel de l’affaire du Mediator. En puisant continuellement dans son expérience passée, et en capitalisant toujours sur un travail d’équipe avec les cabinets d’avocats de ses clients. « L’idée est de compléter la stratégie judiciaire et juridique qu’ils mènent avec une stratégie de communication qui soit au service de la défense du client », insiste Guillaume Didier. « Une bonne stratégie de communication est là pour accompagner la victoire sur le terrain judiciaire et la valoriser. Dans le cas contraire, elle permet d’atténuer l’impact de la défaite. » Préserver l’image, envers et contre tout.

Guillaume Didier

Guillaume Didier est conseil en stratégie de communication, associé chez DGM, Groupe Avisa Partners.