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par Chloé Enkaoua, Journalistele 11 juillet 2025
De la haute fonction publique à l’avocature en passant par le monde de l’entreprise, Laurent Vallée a réussi le tour de force de s’adapter à chacun de ses environnements professionnels en marquant ses pairs. Portrait d’un insatiable touche-à-tout.
Laurent Vallée l’admet : son côté « ours » et casanier l’amène à ne pas souvent garder le contact. Mais au fil de ses expériences dans différentes maisons, il dit avoir croisé le chemin de personnes qui l’ont profondément marqué. « Rencontrer tous ces parcours, ces caractères et ces visions m’a enrichi à titre personnel. J’espère de mon côté que ce qui a caractérisé mes passages, c’est le fait d’avoir été engagé et loyal envers les différents univers et personnes avec qui j’ai travaillé » commence ainsi ce natif d’Enghien-les-Bains. Et force est de constater que là où il est passé, l’homme de 54 ans semble avoir laissé une empreinte. Marc Guillaume, préfet de la région Île-de-France qui l’a rencontré au Conseil d’État, salue par exemple « un très grand juriste, à la fois rigoureux et imaginatif ». « Il a ce talent rare d’avoir une compétence aussi vaste en droit public qu’en droit privé, qui l’a amené à alterner de très hautes responsabilités », souligne-t-il. Il faut dire qu’avec un père professeur de droit public, Laurent Vallée a été à bonne école dès le départ. Pourtant, ce n’est pas vers la sphère juridique qu’il s’oriente naturellement pour ses études. « À ce moment-là, je savais simplement que je souhaitais travailler dans le service public au moins une partie de ma vie », raconte ce diplômé de l’ESSEC Business School, de l’IEP et de l’ENA. « Le fait d’avoir grandi au milieu de deux parents professeurs m’a certainement orienté vers cette idée, et donné l’envie de servir l’État d’une manière ou d’une autre ». Un autre fil rouge le guide alors : la curiosité. « J’ai toujours eu ce besoin assez fort de ne pas m’ennuyer et de faire des choses variées », commente-t-il.
Sens de la vulgarisation
La suite de son parcours aura largement comblé cette envie. À sa sortie de l’ENA, en 1999, il choisit tout d’abord le Conseil d’État pour faire ses armes. « C’était pour moi le meilleur moyen de me diriger vers les postes de la fonction publique qui me paraissaient intéressants », raconte celui qui vise en effet très tôt une direction d’administration centrale. Au sein de la sous-section fiscale où il exerce en tant que rapporteur, Laurent Vallée se familiarise avec le droit et les contentieux administratifs, avant d’être nommé en 2002 commissaire du gouvernement. « Il a accédé très jeune et très vite à ces fonctions » se souvient la secrétaire générale du gouvernement Claire Landais, qui l’a connu à cette époque. « Malgré sa stature et son autorité naturelle, il est toujours resté accessible et disponible pour les plus jeunes membres de sa sous-section. Il s’est par ailleurs toujours abstenu de mettre de la sophistication là où il n’y en avait pas besoin, en faisant en sorte de proposer des solutions compréhensibles par le plus grand nombre et toujours bien accrochées au réel ». Jusqu’en 2008, Laurent Vallée gravite dans cet environnement qui le passionne. « Le côté très ludique intellectuellement de l’exercice, le fait de devoir trouver des solutions qui n’insultent pas le bon sens, tout cela m’a permis d’appréhender et surtout d’apprécier le droit », rapporte-t-il.
C’est au hasard d’une rencontre au sein de la Ligue de football professionnel (LFP), dont il était alors membre du conseil d’administration, que le conseiller d’État fait la rencontre du managing partner de Clifford Chance Paris, Yves Wehrli. Très vite, le courant passe. L’avocat qui était le conseil historique de la LFP perçoit tout le potentiel de celui qui, à ce moment-là, prenait le chemin d’une carrière interne au Conseil d’État. Mais le cabinet cherche justement à renforcer son département fiscal et la rencontre tombe à pic ; Laurent Vallée se voit rapidement offrir la possibilité de rejoindre la prestigieuse firme anglo-saxonne. « Comme on me proposait en même temps d’être conseiller constitutionnel au secrétariat général du gouvernement, j’ai d’abord décliné, tout en étant très flatté de l’offre et en assurant que je ne fermerai pas la porte », explique-t-il. « Quelques temps après, j’ai rappelé le cabinet ; malgré le fait que le Conseil d’État soit une maison extraordinaire, je n’étais pas sûr de vouloir y faire toute ma carrière ». Entré comme of counsel chez Clifford Chance en 2008, il découvre un univers à part et pourtant pas tout à fait éloigné de ses habitudes précédentes. « J’y allais pour faire du contentieux fiscal ; il y avait donc un fil directeur qui me raccrochait à ce que j’avais fait auparavant », rapporte-t-il. « En revanche, je ne connaissais pas le fonctionnement d’un cabinet d’avocats. J’y ai rencontré des personnes de talent, des individualités très fortes qui appréhendaient la fiscalité de manière différente et prêts à se mobiliser nuit et jour pour leurs clients ». Amusé, il estime rétrospectivement avoir été « un épouvantable avocat ». Un point de vue qu’est loin de partager Yves Wehrli : « Il avait cette capacité de pouvoir synthétiser des choses complexes qui est l’apanage de ceux qui maîtrisent parfaitement leur sujet », assure le managing partner. « Cela est d’autant plus important en matière fiscale, où l’on est souvent face à des concepts complexes qu’il s’agit de savoir transcrire dans la vie des affaires et expliquer aux clients de façon intelligible ». Seule ombre au tableau, la dimension commerciale qui faisait défaut à celui qui, par ailleurs, était déjà appelé sous d’autres cieux. « Le Conseil d’État n’est pas forcément l’endroit où l’on développe le mieux cette fibre désormais nécessaire à l’avocat pour développer et fidéliser sa clientèle », commente Yves Wehrli. « Cela, Laurent en était parfaitement conscient, et cela ne l’attirait d’ailleurs pas plus que ça ».
D’un monde à l’autre
Le principal intéressé, lui, estime avec le recul ne pas avoir été à l’époque assez mûr pour envisager le métier d’avocat dans toutes ses composantes et y progresser. « D’autre part, je pense que je n’avais pas fini mon itinéraire dans le public » ajoute celui qui, en 2010, ouvre un nouveau chapitre de son parcours en se voyant nommé directeur des affaires civiles et du Sceau au ministère de la Justice. Pour celui qui rêvait d’une direction centrale, une nouvelle case est cochée. Il exercera ses fonctions sous trois ministres successifs – Michèle Alliot-Marie, Michel Mercier et Christiane Taubira –, et autant de tempéraments différents. « C’est le moment idéal, lorsque vous aimez la fonction publique, d’apporter votre expérience et de ne pas hésiter à dire ce qui ne va pas de temps en temps », sourit Laurent Vallée. Lequel, entre autres travaux législatifs, participe notamment à son arrivée à la grande loi sur les professions du droit issue du rapport Darrois. « Il a fallu jouer un rôle à la fois relationnel et politique en essayant d’apaiser les relations entre avocats et notaires, et en tentant de comprendre leurs enjeux et leurs rivalités », se souvient-il. « L’objectif était de faire en sorte que la Chancellerie au sens large entretienne de bonnes relations avec chaque instance représentative ». C’est ensuite le mariage pour tous qui vient enflammer les débats et occuper le directeur des affaires civiles et du Sceau pendant plus d’une année, jusqu’à son départ. « C’était un texte pas comme les autres, tant par son contenu que par son environnement », détaille celui qui a également été à la manœuvre pour la rédaction de la circulaire Taubira. « Faire coïncider l’évolution juridique avec l’évolution sociétale est toujours un exercice périlleux. Cela a mobilisé beaucoup d’énergie collective et politique ».
De son expérience à la Direction des affaires civiles et du Sceau, l’homme garde également en mémoire une direction très interministérielle, et l’animation d’une équipe de près de 180 personnes qui est parfois venue chahuter son côté solitaire. « Cela a été pour moi l’apprentissage d’un travail en commun sur le tard » rapporte celui qui, en 2013, intègre ensuite le groupe Canal+ en tant que secrétaire général. La poursuite de l’apprentissage collectif mais aussi le début d’une nouvelle aventure, cette fois-ci en entreprise et dans l’univers des médias. Laurent Vallée arrive toutefois à un moment assez particulier de la vie de l’entreprise ; à ce moment-là, une évolution de l’actionnariat de Vivendi marque en effet le début d’une nouvelle ère au sein du groupe. « Je suis arrivé en quelque sorte dans un entre-deux », indique-t-il. « Or, je ne me sentais ni du monde d’avant, ni de celui d’après. J’avais envie de vivre une logique de projet différente de ce que j’avais expérimenté dans mes fonctions précédentes, mais le calendrier n’était pas le bon. Très vite, je me suis donc interrogé sur l’impact que je pouvais avoir et la réalité de ce que je pouvais porter ».
Sans filet
Au bout de deux ans, Laurent Vallée met donc un terme précoce à son passage chez Canal+. Par ce qu’il décrit comme « un nouveau concours de circonstances », il entre alors au Conseil constitutionnel en 2015 en tant que secrétaire général. Il y vit là encore plusieurs mutations, avec notamment un changement de présidence – Laurent Fabius y remplace en effet Jean-Louis Debré dès 2016 – et une évolution du collège. Entre rédaction de projets et de décisions et contentieux institutionnels, le juriste revient à certaines de ses premières amours. « En revanche, cela a été compliqué de se remettre correctement aux lectures de projets de lois et à l’écriture. J’étais un peu rouillé » raconte en souriant celui qui, dès son arrivée, est amené à travailler sur la loi renseignement. Il découvre également à ce moment-là de l’intérieur les questions prioritaires de constitutionnalité (QPC). « Je me souviens notamment d’une QPC survenue juste après les attentats de novembre 2015, que l’on a jugée en une dizaine de jours seulement, et qui portait sur les questions d’état d’urgence et d’assignation à résidence », rapporte-t-il. « Le Conseil constitutionnel fonctionne dans un temps beaucoup plus bref que le Conseil d’État, avec des filtres moins importants et un nécessaire ajustement du travail à la vitesse de l’actualité. J’avais davantage l’impression d’être sans filet ». Malgré ces exigences, Laurent Vallée assure avoir été « très heureux » dans cette nouvelle maison. « C’est peut-être pour cela que j’en suis aussi parti », glisse-t-il en riant. « Plus sérieusement, et même si l’équilibre était différent, j’avais tout de même l’impression de renouer avec quelque chose de similaire à ce que j’avais fait précédemment au Conseil d’État. Je n’étais pas sûr de m’épanouir totalement sur le long terme ».
En 2017, il décide finalement de suivre son ami Alexandre Bompard, fraîchement nommé PDG de Carrefour, en tant que secrétaire général du géant français de la grande distribution. « Si l’amitié a compté dans ce choix, travailler avec quelqu’un de proche est aussi un risque à prendre », reconnaît-il. « Mais cela peut être aussi une grande chance selon la manière dont cela se passe. Par ailleurs, en 2004, j’avais été le rapporteur d’un texte sur les marges arrières, et j’avais travaillé pendant six mois sur les règles applicables à la grande distribution. J’avais donc envie de découvrir ce secteur de l’intérieur, mais je ne l’aurais pas fait pour n’importe quel groupe ». Également nommé directeur exécutif de la zone Europe du Nord depuis 2022, Laurent Vallée a désormais, en plus de la partie corporate, de la direction de l’audit et des affaires institutionnelles et juridiques de Carrefour, notamment en charge la responsabilité de l’activité de franchise internationale du groupe.
Colonne vertébrale
De lui, Alexandre Bompard dit avoir trouvé à la fois un ami fidèle et un professionnel aguerri ayant joué un rôle essentiel dans la transformation de Carrefour. « Travailler avec Laurent Vallée, c’est croiser une rigueur intellectuelle rare et une capacité de décision nette », assure le PDG. « Il écoute avec attention, avance sans bruit et réfléchit en permanence à tous les scénarios possibles. Laurent est de ceux qui ne prennent jamais toute la lumière, mais sans qui rien de solide ne se construit. C’est une colonne vertébrale ». Depuis son arrivée chez Carrefour, les défis ont pourtant été nombreux dans une industrie de plus en plus mouvementée et concurrentielle. Ce qui explique sans doute que le secrétaire général ne se soit toujours pas lassé au bout de huit ans… « Outre l’aventure humaine et personnelle, essayer de faire des choses dans une si grande entreprise prend du temps. Par ailleurs, à ce secteur qui est tout sauf simple et tranquille s’est ajoutée une période plutôt riche en événements et en inattendu – covid, période d’hyperinflation qui en a découlé, etc. –, et donc en adaptation nécessaire. Tout cela fait que pour l’heure, je n’ai pas eu le temps de m’ennuyer ».
Pour autant, assurer la gestion d’une équipe vaste représente pour lui toujours un challenge. « Je suis toujours plus à l’aise dans la relation interindividuelle que dans une réunion à cinquante », admet Laurent Vallée. « Aujourd’hui, tout l’enjeu pour moi est de réussir à être suffisamment créatif et à me remettre en question pour pouvoir trouver de nouvelles idées, y compris des mauvaises pour les abandonner ensuite. C’est une autre manière de ne jamais se satisfaire de l’existant ». Un exercice intellectuel qui requiert de la curiosité, mais aussi une certaine ouverture d’esprit. « J’essaye de lire, de rencontrer des personnes différentes, de m’intéresser à des choses assez variées pour ne pas m’enfermer intellectuellement dans des certitudes. C’est une question permanente pour moi-même comme pour mes collaborateurs ». Il en va de même pour les sujets de politique publique et institutionnels, auxquels il n’a jamais cessé de prêter attention. Pour Claire Landais, s’il n’est pas le seul à avoir eu des carrières alternées, l’une des particularités de Laurent Vallée est d’avoir d’ailleurs toujours su changer d’environnement sans pour autant renier le passé. « Tout en s’adaptant toujours à ses nouvelles vies professionnelles, et en étant aujourd’hui de plain-pied avec ses fonctions en entreprise, il n’a jamais rompu le fil avec ce qu’il aime dans la chose publique », affirme-t-elle. Au point d’y revenir un jour ? Pour l’heure, le secrétaire général de Carrefour préfère ne pas se projeter trop loin. « Il y a toujours un mélange de mélancolie et d’allégresse lorsque l’on quitte quelque chose », assure-t-il. « Pour l’instant, Carrefour me procure encore ce juste dosage qui est si important professionnellement. Vous changez de travail le jour où il n’y a plus que de la stagnation et de la mélancolie ».
Laurent Vallée

Laurent Vallée est Secrétaire Général et Directeur Exécutif de la zone Europe du Nord du Groupe Carrefour