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Portrait

Raphaëlle Dequiré-Portier, une ascension made in Gide

par Chloé Enkaoua, journalistele 17 février 2022

Elle n’est pas à proprement parler un « bébé Gide ». C’est en effet au sein d’une autre structure que Raphaëlle Dequiré-Portier a commencé à faire ses armes en tant que stagiaire en 2000. Au sein du cabinet dédié à la propriété industrielle de Charles de Haas, plus précisément, dans lequel elle a acquis la conviction que la double activité en conseil et contentieux était ce qui lui convenait. Pourtant, la jeune diplômée avait déjà envoyé son CV chez Gide à ce moment-là… Mais ce n’est que plus tard que le charme opérera. Quoi qu’il en soit, la Clermontoise a su très tôt que la robe était faite pour elle. « Ma tante était avocate dans un petit cabinet généraliste à Paris », raconte-t-elle. « J’étais fascinée par ce qu’elle faisait, et notamment par tout l’aspect contentieux. » Avant de pouvoir suivre ses pas, son appétence pour les lettres la pousse à se diriger vers un baccalauréat littéraire. « Comme j’étais bonne élève, tous les professeurs me disaient à l’époque qu’il fallait que je fasse un parcours scientifique », se souvient l’avocate. « Mais j’ai résisté, car j’adorais mes études littéraires. J’ai toujours trouvé ridicule cette tendance toute française à mettre les gens dans des cases. »

Son bac en poche, elle intègre l’université d’Auvergne à Clermont-Ferrand avant de quitter deux ans plus tard sa province natale pour venir gonfler les rangs d’Assas, où elle décroche un DESS en propriété industrielle. Là encore, le choix de la matière puise ses racines dans le cercle familial. « Mon père travaillait chez Michelin à Clermont-Ferrand, dont il est devenu ingénieur brevets. C’est ce qui m’a poussée à m’intéresser aux brevets et aux inventions », indique celle qui, voulant rapidement se frotter au terrain, décide de faire l’IEJ à Paris la même année que sa maîtrise et de passer le CRFPA en parallèle de son DESS. Après son stage chez Charles de Haas, elle se présente à un forum EFB en vue de trouver sa première collaboration. Elle y fait alors la rencontre d’Emmanuel Larere, associé en droit des brevets et des marques chez Gide Loyrette Nouel. Une deuxième chance d’intégrer le géant français des affaires ? « Entre-temps, on m’avait dit de ne surtout pas aller chez Gide, que c’était une usine où le côté humain n’avait pas sa place », se rappelle en souriant Raphaëlle Dequiré-Portier. « Avec le recul, je pense qu’il y avait une petite pointe de jalousie chez les personnes qui me mettaient en garde. De plus, le courant est immédiatement passé avec les avocats du cabinet qui étaient présents. »

La preuve par l’exemple

Après sa prestation de serment en 2001, tout juste âgée de 22 ans, elle pousse donc les portes de Gide pour rejoindre l’équipe IP-TMT en tant que collaboratrice. « J’ai découvert certes une très grande structure, avec un confort de recherche et de documentation que je n’avais pas connu auparavant, mais avec des équipes à taille humaine », affirme l’avocate. Elle apprivoise alors un quotidien fait de nombreuses virées au palais et de contentieux divers dans lequel elle prend peu à peu ses marques. De ses débuts de collaboratrice, elle garde notamment en tête un dossier en défense pour un laboratoire pharmaceutique de spécialités français. Face à lui, un géant du secteur qui voulait interdire la mise en vente d’un produit alors distribué par son client à presque tous les laboratoires de la place, représentés par la crème de la crème des avocats d’affaires parisiens. « Nous avons eu trois référés en trois mois », se souvient Raphaëlle Dequiré-Portier. « Si on perdait, c’était une dizaine de laboratoires qui nous tombaient dessus ! Avec la collaboratrice qui m’assistait sur ce dossier, nous avons travaillé jour et nuit et nous avons finalement tout gagné. J’étais alors en pleine campagne pour devenir associée, et je pense que c’est véritablement ce dossier qui m’a fait décoller. »

Devenue associée il y a dix ans de cela, en 2012, l’avocate se dit elle-même surprise du chemin parcouru. Elle qui, au départ, ne se projetait pas du tout dans l’association… « Je pensais que cela n’était pas fait pour moi », résume-t-elle simplement. « C’était sûrement une bonne excuse pour ne pas me confronter à un potentiel échec et pour ne pas me mettre en difficulté. » Le premier déclic, c’est l’associé Olivier Cousi qui le lui provoque au détour d’un déjeuner d’équipe avec les autres collaborateurs. « Il avait dit que si nous étions là, c’était parce que nous avions un avenir, chez Gide ou ailleurs. Je me suis dit qu’il avait sûrement raison… » Au cours d’un autre déjeuner, Emmanuel Larere enfonce le clou en lui proposant clairement de devenir associée. Alors enceinte de son deuxième enfant, Raphaëlle Dequiré-Portier profite de son congé maternité pour prendre le temps de la réflexion… puis finit par accepter de se présenter. « À l’époque, nous étions seulement deux femmes à être candidates à l’association », souligne-t-elle. « Aujourd’hui, je raconte cette anecdote à la fois à mes collaboratrices et associés hommes, afin de leur démontrer l’importance de dire aux femmes que tout est possible lorsqu’elles ont du talent. Même les plus ambitieuses ont encore du mal à dire qu’elles souhaitent devenir associées. Il faut leur parler, sous peine de les voir partir… » Évoquant les plus de 60 % de collaboratrices présentes au sein de la firme, l’avocate regrette que cette féminisation croissante de la profession ne se ressente pas davantage au niveau de l’association, tous cabinets confondus. « Il existe encore des freins dans notre métier qui sont ceux de la société de manière générale », analyse-t-elle. « Lorsque j’ai eu mon premier enfant, nous n’étions que deux à en avoir dans l’équipe. Nous avons en quelque sorte imposé notre rythme, même si cela impliquait parfois de se remettre au travail le soir ou le week-end. »

Épanouissement

Aujourd’hui, l’avocate ne regrette en aucun cas son choix. « Je trouve extrêmement épanouissant d’être associée ; je suis mon propre patron, ce que j’ai toujours voulu être, et gérer les équipes est un vrai challenge. » Divisé en deux équipes distinctes – propriété industrielle et Technologies Médias Télécoms (TMT) –, le département IP-TMT de Gide compte six associés en tout, parmi lesquels l’ex-bâtonnier Olivier Cousi côté TMT. Marie-Ange Pozzo di Borgo, elle, fait partie de l’équipe depuis neuf ans. Aujourd’hui counsel, elle parle de l’enthousiasme communicatif de Raphaëlle Dequiré-Portier. « En termes de gestion des équipes, Raphaëlle est capable de motiver ses collaborateurs à donner le meilleur, sous des contraintes de temps parfois intenses mais en étant toujours positive, disponible, et sans micro-manager », assure-t-elle. Et de la motivation, il en faut pour enchaîner les dossiers en droit des brevets, marques, dessins et modèles, droits d’auteur et droit de la concurrence déloyale dont s’occupe l’équipe IP. « Notre activité est composée à 80 % de contentieux pour des clients en grande majorité étrangers », précise l’associée. « Nous avons choisi de ne pas nous sur-spécialiser, quand le marché a plutôt tendance à diriger les avocats uniquement vers le droit des brevets ou le droit des marques, par exemple. Les collaborateurs de l’équipe travaillent dans chaque domaine de la propriété intellectuelle, car nous estimons que chaque droit enrichit la pratique dans l’autre matière. Ce qu’il faut, c’est être créatif et savoir réfléchir out of the box. »

Ses clients, pour la plupart des grandes marques mondiales dans le secteur du luxe et des produits de grande distribution, saluent un esprit fin lui permettant souvent de se démarquer dans les panels. « Avant de partir chez LVMH il y a dix ans, j’avais été collaboratrice pendant cinq ans chez Gide. Dès mon arrivée, Raphaëlle, qui était alors collaboratrice senior, m’a prise sous son aile et m’a formée. C’est quelqu’un d’accessible et de pédagogue, avec qui j’ai conservé d’excellentes relations. Lorsqu’on lui confie un dossier, on sait que l’on est entre de bonnes mains », affirme Edwige Camus, Senior legal counsel chez LVMH.

Des brevets qui évoluent

Depuis quelques années, dans son activité, les brevets prennent clairement le pas sur le reste. « Les dossiers sont de plus en plus importants, et prennent donc de plus en plus de temps », affirme celle qui y consacre désormais 70 % de son temps. « C’est un droit qui s’est beaucoup sophistiqué, avec des avocats très pointus et des enjeux très forts, notamment en Life Sciences. » Les contentieux sont également devenus transnationaux, avec « beaucoup de coordination à faire pour que toutes les défenses soient alignées ». La palette des dossiers, elle, est très large. « Actuellement, je jongle avec des contentieux dans des domaines aussi variés que la bière en Afrique, les derniers médicaments pour lutter contre le cancer et l’immunothérapie, en passant par les capsules compatibles avec les machines Nespresso », s’amuse Raphaëlle Dequiré-Portier. Avec fierté, elle revient notamment sur ce contentieux international dans lequel elle a représenté l’entreprise pharmaceutique américaine Bristol-Myers Squibb (BMS), qui concernait un brevet sur un anticorps monoclonal pour lequel l’inventeur, Tasuku Honjo, a reçu le prix Nobel deux ans plus tard. « Cela a abouti à une licence mondiale », poursuit l’avocate. « Mais pendant plusieurs mois, nous n’avons pas vécu en dehors de ce dossier ! »

Parmi les sujets brûlants qui l’occupent, Raphaëlle Dequiré-Portier cite les certificats complémentaires de protection (CCP), un domaine qu’elle juge « passionnant », ou encore le développement du contentieux des brevets au niveau européen. « Après des années d’attente, la juridiction unifiée des brevets va enfin ouvrir prochainement. On se prépare, car cela va bouleverser l’équilibre du droit des brevets », assure-t-elle. Membre de plusieurs associations professionnelles telles que l’APRAM (Association des praticiens du droit des marques et des modèles), l’INTA (International Trademark Association) et l’AIPPI (Association internationale pour la protection de la propriété intellectuelle), l’associée vient également d’être élue au board de l’Association des avocats européens en droit des brevets… et compte bien faire rejaillir cette expérience sur le cabinet. « Cette évolution va nous permettre d’offrir potentiellement à nos clients la possibilité d’avoir, en une seule décision, un jugement exécutoire dans tous les pays qui auront adhéré au système », explique-t-elle. « C’est une grande force de frappe, mais aussi un risque car on peut également voir son brevet annulé en une seule fois. Les clients sont actuellement dans l’attente à ce sujet, mais c’est pour nous un réel enjeu et nous structurons l’équipe dans ce sens, pour pouvoir notamment aller plaider partout en Europe. » Une équipe que l’avocate souhaite également faire croître et voir se renforcer avec des profils variés et des doubles cursus tels que des avocats/ingénieurs, mais surtout se féminiser. « Je suis pour le moment la seule femme associée en IP », indique-t-elle. « Dans les trois ans qui viennent, j’aimerais avoir une autre associée à mes côtés. » Le combat continue…

Raphaëlle Dequiré-Portier

Raphaëlle Dequiré-Portier, avocate en droit des brevets et des marques chez Gide, a gravi les échelons au sein de la firme française sans jamais renier ses convictions. Elle revient aujourd’hui sur son parcours et sur une activité en perpétuelle évolution.