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Le droit en débats

Affaire Sarkoleaks ou le respect de la vie privée

Le tribunal de grande instance de Paris saisi en référé a ordonné le 14 mars dernier au journal Atlantico de retirer de son site les enregistrements entre Nicolas Sarkozy et son ancien conseiller Patrick Buisson diffusés sur son site internet.

Par Antoine Cheron le 02 Avril 2014

L’ancien conseiller présidentiel a également été condamné sur le fondement de l’atteinte à la vie privée à verser une provision de 10.000 euros de dommages-intérêts au couple Bruni-Sarkozy.

Pour mémoire, Patrick Buisson, ancien conseiller du président de la République Nicolas Sarkozy, avait enregistré de nombreuses conversations téléphoniques entre lui et ce dernier. Ses enregistrements lui ayant été volés, certains passages ont été diffusés dans la presse.

Sans précisément justifier la provenance de ces enregistrements conformément à la loi du 29 juillet 1881 qui protège le secret des sources journalistiques, le journal Atlantico a diffusé dans la presse certaines conversations issues de ces enregistrements téléphoniques.

L’ancien couple président a alors saisi le juge des référés de Paris afin qu’il ordonne le retrait des conversations publiées sur son site et qu’il condamne Patrick Buisson à leur verser une provision au titre des dommages-intérêts, lequel a fait droit à leurs demandes.

Classiquement, les demandeurs invoquaient la violation du droit au respect de leur vie privée, garantit notamment par l’article 9 du code civil et l’article 8 de la Convention EDH.

Dans la présente affaire, le juge des référés se prononce en faveur du respect de la vie privée. Cette solution doit être approuvée puisque la captation des conversations téléphoniques à l’insu de la personne comme la diffusion de ces contenus sont des atteintes au droit fondamental du respect de la vie privée et sont, à ce titre, condamnables.

Sur l’enregistrement des conversations téléphoniques

L’enregistrement des conversations téléphoniques à l’insu de l’ancien chef d’Etat et de sa femme Carla Bruni-Sarkozy sont, d’une part, condamnables en ce qu’ils sont une violation flagrante du droit au respect de la vie privée garantit par l’article 9 du code civil.

Ce fondement juridique fait écho, sur le plan pénal, aux articles 226-1 et l’article 226-22 du code pénal relatifs à la violation de l’intimité de la vie privée.

Dans le cas présent, seule les juridictions civiles ont été saisies, de sorte qu’il n’y avait pas lieu d’envisager l’atteinte à la vie privée des demandeurs sur le volet pénal.

Il est toutefois intéressant de mentionner que la première chambre civile de la Cour de cassation a considéré dans l’affaire Bettencourt du 6 octobre 2011, dont les faits portaient également sur la diffusion d’enregistrements téléphoniques que « constitue une atteinte à l’intimité de la vie privée, qui ne légitime pas l’information du public, la captation, l’enregistrement ou la transmission sans le consentement de leur auteur des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ». (Cass. 1ère civ, 6 octobre 2011, n°10-23606)

S’appuyant sur les dispositions du code pénal mais dont la solution peut aisément se transposer au plan civil, la Cour de cassation reconnait que de tels enregistrements violent le droit au respect de la vie privée. La décision rendue le 14 mars dernier ne peut qu’être approuvée puisqu’elle s’inscrit dans la lignée de cette jurisprudence de la Cour de cassation.

Il convient également d’ajouter que dans l’hypothèse d’un contentieux devant les juridictions civiles, de tels enregistrement téléphoniques ne seraient pas recevables en justice et ne pourraient pas être produits aux débats.

En effet, de tels éléments de preuve seraient contraires au principe de loyauté de la preuve qui doit guider les parties tout au long du procès, garantit par l’article 6§1 de la Convention EDH ainsi que l’article 10 du code civil et l’article 9 du code de procédure civile.

Le principe de loyauté fait également écho au respect des droits de la défense, au principe d’impartialité du juge ou encore au principe de l’égalité des armes afin que les parties puissent présenter leurs éléments de preuve au juge et contester ceux fournis par l’adversaire.

A titre d’illustration, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a retenu que « l’enregistrement d’une communication téléphonique réalisé à l’insu de l’auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve ». (Cass. AP, 7 janvier 2011, n°09-14316)

En conclusion, les faits poursuivis par le couple Sarkozy et qui n’étaient d’ailleurs pas contestés par l’ancien conseiller du chef de l’Etat, à savoir l’enregistrement de conversations téléphoniques à son insu, sont non seulement attentatoires au respect de sa vie privée mais également des preuves obtenues déloyalement.

La décision du juge des référés, condamnant les défendeurs sur le fondement de l’atteinte au respect de la vie privée, ne peut qu’être approuvée. On pouvait toutefois s’interroger sur la pertinence de la condamnation du journal Atlantico concernant la diffusion des enregistrements sur son site.

Sur la diffusion des enregistrements

Les demandeurs exigeaient le retrait des enregistrements publiés sur le site du journal Atlantico sur le même fondement juridique, la violation du droit au respect de leur vie privée. Ils contestaient ainsi la diffusion de ces enregistrements par le journal de presse.

En l’état du droit positif, il est nécessaire de rappeler qu’il n’existe pas de principe absolu à l’interdiction de diffuser les conversations captées à l’insu des personnes.

En effet, en jurisprudence le droit au respect de la vie privée est constamment opposé et mis en balance avec le droit à la liberté d’information et plus généralement le droit à la liberté d’expression, garantit à l’article 10 de la Convention EDH.

En raison du rôle essentiel que joue la presse dans toute société démocratique, les magistrats sont constamment invités à trouver un juste équilibre entre ces deux droits fondamentaux et à apprécier, au cas par cas, lequel de la liberté d’expression ou du respect de la vie privée doit primer.

La Cour EDH a dégagé, au fil des années et de sa jurisprudence, certains critères pour effectuer cette mise en balance dont : la contribution des articles ou photographies à un débat d’Intérêt général (CEDH, Von Hannover n°59320/00); le comportement antérieur de la personne concernée (CEDH Hachette Filipacchi n°71111/01) ; le contenu, la forme et les répercussions de la publication (CEDH, Wirtschafts-Trend, n°66298/01) et les circonstances de la prise de photos (CEDH, Flinkklia n°25576:04).

A titre d’illustration, la Cour EDH a fait primer la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention EDH le 19 décembre 2006 dans l’affaire Radio Twist A.S c/ Slovaquie au motif que la diffusion par une station de radio d’une conversation téléphonique entre deux représentants du gouvernement enregistrée par un tiers avait permis de révéler des pratiques illégales.

En l’espèce, on aurait pu se demander si la diffusion des propos litigieux sur le site du journal Atlantico aurait pu répondre à l’impératif du « débat général impérieux ».

Dans la décision du 14 mars dernier, le juge des référés ne se positionne pas sur ce terrain. On peut toutefois penser qu’une réponse négative se serait imposée car les propos diffusés n’avaient pas pour objectif de donner des informations sur les pratiques du gouvernement et du président de la République durant son mandat que les citoyens étaient légitimes de connaitre.

En effet, les propos relayés dans la presse n’étaient que des conversations de nature privées qui, bien qu’entretenus entre des personnes publiques, se rapportent à des passages intimes et personnels de leur vie qui ne favorisent pas le débat d’intérêt général.

La décision du tribunal de grande instance de Paris statuant en référé s’inscrit donc dans la lignée de la jurisprudence de la Cour de cassation qui reste attachée au respect de la vie privée, et doit, en l’espèce, être saluée.

Cette décision n’est cependant qu’une pierre à l’édifice, les défendeurs ayant déjà interjeté appel de cette ordonnance. Affaire à suivre donc…