Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Le droit en débats

Ouverture du recours de l’assistance médicale à la procréation : un oui et deux non

Oui à l’assistance médicale à la procréation (AMP) en faveur des couples de femmes et des femmes célibataires, non à la gestation pour autrui (GPA) ainsi qu’à l’autoconservation ovocytaire « de précaution » chez les femmes jeunes, telles sont les réponses données par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), dans son avis rendu public le 27 juin 2017, à la question de l’ouverture du recours à l’assistance médicale à la procréation pour satisfaire des « demandes sociétales ». 

Par Astrid Marais le 13 Juillet 2017

L’avis était attendu, le CCNE s’étant saisi de la question en 2013. Ne fût-il que « consultatif », il pourrait inspirer le législateur lors de la prochaine révision des lois bioéthique, prévue en 2018. S’il était suivi, le droit de la procréation artificielle s’en trouverait profondément modifié.

Oui à l’ouverture de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules

Actuellement, l’AMP vise, comme le rappelle le CCNE, à pallier une déficience pathologique affectant la reproduction naturelle, sans pour autant la soigner. Destinée à remédier à « l’infertilité d’un couple » ou à « éviter la transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité » (CSP, art. L. 2141-2), elle implique la réalisation d’un acte médical qui, assimilé à un acte de soins, est remboursé en large part par la sécurité sociale.

La proposition du CCNE d’ouverture de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes célibataires conduira à ne plus la réserver aux cas d’infertilités de nature pathologique. La procréation artificielle deviendrait alors une technique non plus « palliative » d’un dysfonctionnement reproductif mais « alternative » à la procréation naturelle, susceptible de bénéficier à ceux qui veulent un enfant sans avoir de relation charnelle avec l’autre sexe pour compenser leur infertilité qualifiée alors de « sociétale ». Le principe d’égalité, en ce qu’il interdit de traiter des situations identiques de façon différente mais n’impose pas de traiter des situations différentes de façon identique, ne commande pas aujourd’hui une telle ouverture. En effet, actuellement les couples homosexuels sont placés dans la même situation que les couples hétérosexuels n’ayant aucun problème médical. Ils font l’objet d’un traitement identique : aucun d’eux ne peut recourir à l’AMP. S’explique ainsi que la CEDH, dans son arrêt Gas et Dubois c. France du 15 mars 2012 (req. n° 25951/07), ait estimé que la législation française actuelle n’établissait pas une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle en réservant l’assistance médicale à la procréation aux couples hétérosexuels stériles. Pour autant, rien ne s’oppose pas à ce que le législateur « égalise » les situations en traitant de façon identique l’infertilité pathologique et « sociétale ».

Selon le CCNE, l’ouverture de l’AMP à toutes les femmes permettrait ainsi de « pallier une souffrance ressentie du fait d’une infertilité secondaire à des orientations personnelles ». Il prend le contrepied de son avis, rendu le 24 novembre 2005 (avis n° 90, Accès aux origines, anonymat et secret de la filiation), dans lequel il affirmait que « l’ouverture de l’AMP à l’homoparentalité ou aux personnes seules ouvrirait de fait ce recours à toute personne qui en exprimerait le désir et constituerait peut-être alors un excès de l’intérêt individuel sur l’intérêt collectif. La médecine serait simplement convoquée pour satisfaire un droit individuel à l’enfant ». On mesure le chemin parcouru. Le CCNE émet néanmoins certaines réserves à une telle admission qui tiennent notamment à sa « faisabilité » : impliquant le recours à une insémination avec donneur (IAD), la pratique est subordonnée à une disponibilité de gamètes, qui n’est déjà pas suffisante pour faire face aux demandes actuelles. En raison de l’insuffisance de l’offre, le CCNE craint que l’élargissement des indications de l’IAD ne crée un risque de marchandisation des gamètes, faisant céder le principe fondateur du don sur lequel repose le recueil des éléments et produits du corps humain. En outre, dès lors que le CCNE exclut que l’assurance-maladie prenne en charge l’utilisation des techniques AMP qui ne répondraient pas à une indication médicale, un risque existe que seules les femmes aisées puissent y avoir accès.

Au-delà d’une extension de l’AMP à des indications non médicales, l’ouverture des procréations artificielles à des couples de femmes et à des femmes célibataires impliquera de modifier le modèle sur lequel le droit de l’AMP est actuellement construit. En effet, si la procréation artificielle déjoue les lois de la nature en permettant la naissance d’un enfant qui, sinon, ne serait pas né, le législateur a souhaité rendre la rupture avec la nature la moins visible possible, en posant des conditions d’accès à l’AMP qui imitent celles inhérentes à toute procréation charnelle : le couple doit être hétérosexuel, il doit être en âge de procréer et être vivant (CSP, art. L. 2141-2). Ce faisant, le législateur garantit à l’enfant une filiation crédible en laissant croire qu’il est le fruit d’une relation charnelle. D’ailleurs, l’enfant peut tout à fait ignorer avoir été conçu de façon artificielle si ses parents le lui cachent. L’ouverture de l’AMP à des couples de femmes ou à des femmes célibataires, en institutionnalisant l’abandon de l’exigence d’altérité sexuelle et, ce faisant, celle d’une figure paternelle, déconnectera la procréation artificielle du modèle de la nature.

L’insémination post mortem d’une femme avec le sperme de son conjoint décédé ne devrait-elle pas, par conséquent, également être admise ? Le CCNE s’y était autrefois opposé, au motif que la société n’avait pas à organiser la naissance d’un enfant, en le privant, de façon délibérée, de père (CCNE, avis n° 113, 10 févr. 2011, La demande d’assistance médicale à la procréation après le décès de l’homme faisant partie du couple). « Le rôle du père », sur le plan « matériel, psychique et symbolique », dans la construction de l’enfant constitue toujours l’un des « points de butée », à l’origine de désaccords au sein du CCNE. Les études, dans leur grande majorité, émettent des conclusions positives sur le devenir de l’enfant élevé dans une famille homoparentale. Le CCNE met en cause la pertinence de certaines, affectées par des biais méthodologiques, mais estime, néanmoins, que les études scientifiques pluridiscinaires en cours en France devraient contribuer à apporter des réponses fiables.

Reste que cette question de l’intérêt de l’enfant à être élevé par des personnes homosexuelles a d’ores et déjà été tranchée par le législateur, avec la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 qui a autorisé les couples de même sexe à adopter ensemble un enfant, et il serait bien étonnant que le législateur se déjuge à l’occasion de la révision des lois bioéthique. Ce sont donc davantage les modalités de l’établissement d’un double lien de filiation qui devront être discutées devant le parlement, si le législateur souhaitait ne plus réserver l’AMP à des couples souffrant de problèmes reproductifs d’ordre médical. La Cour de cassation, dans deux avis 22 septembre 2014 (nos 15010 et 15011), a estimé que « le recours à l’assistance médicale à la procréation, sous la forme d’une insémination artificielle avec donneur anonyme à l’étranger, ne fait pas obstacle au prononcé de l’adoption, par l’épouse de la mère, de l’enfant né de cette procréation, dès lors que les conditions légales de l’adoption sont réunies et qu’elle est conforme à l’intérêt de l’enfant ».

Dans l’optique où la procréation artificielle serait autorisée en France en faveur d’un couple de femmes, faire dépendre l’établissement du lien de filiation de l’enfant avec la femme qui n’en aurait pas accouché, d’une adoption prononcée après la naissance de celui-ci ne correspondrait pas à la logique ni de l’adoption ni de la procréation artificielle. La première s’adresse à des enfants déjà nés, la seconde à des couples qui souhaitent en avoir. Pour sécuriser le lien de filiation de l’enfant à l’égard de la femme non gestatrice, l’établissement de ce dernier doit être garanti au moment où la décision est prise de recourir à une IAD et donc avant la naissance de l’enfant. Pour ce faire, en s’inspirant du rapport Filiation, origines, parentalité (I. Théry et A.-M. Leroyer, Filiation, origines et parentalité. Le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle, Odile Jacob, 2014, p. 203 s.), une déclaration anticipée de filiation pourrait être faite auprès du notaire ou du juge (précisons que le rapport préconise d’instituer une déclaration commune anticipée de filiation pour établir la filiation d’un enfant né avec tiers donneur à l’égard des deux membres du couple, de sexe différent ou de même sexe).

L’ouverture aux couples de femmes de l’IAD aura pour conséquence que l’enfant ne pourra plus ignorer ne pas avoir été procréé de façon naturelle par ses parents. La distorsion qui existera alors avec les enfants de couple hétérosexuel conçus à l’aide d’un don de sperme devrait justifier, à l’égard de tous les enfants issus d’une IAD, la levée du secret qui entoure les circonstances de leur conception. Faudra-t-il aller jusqu’à leur permettre d’avoir accès à leur origine en admettant la levée de l’anonymat du donneur qui l’accepterait, selon des modalités identiques à celles organisées en matière d’accouchement sous X ?

Non à la gestation pour autrui (GPA)

Immanquablement, une fois admise la procréation artificielle en faveur des couples de femmes, se posera la question de savoir s’il ne faut pas également l’autoriser en faveur des couples d’hommes, au nom de l’égalité, en consacrant la gestation pour autrui. Le recours à une mère porteuse serait le seul moyen offert aux couples d’hommes d’avoir un enfant biologique. Le CCNE évite, à juste titre, de placer le débat sur le terrain de l’égalité entre les couples d’hommes, d’une part, et les couples hétérosexuels ou les couples de femmes, d’autre part. En effet, les couples, qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels, font l’objet d’un traitement identique à l’égard de la GPA : la prohibition s’applique indistinctement à tous. À la différence des techniques de procréation artificielles autorisées en France qui s’adressent à des couples dont la femme portera l’enfant pour en être la mère, la GPA repose sur l’utilisation du corps d’une tierce personne (la mère porteuse) par un couple qui la privera de sa qualité de mère.

Le CCNE, qui s’était déjà opposé à la GPA en 2010 (avis n° 110, 1er avr. 2010, Problèmes éthiques soulevés par la gestation pour autrui), réexamine la question à la lumière de nouvelles données liées au développement du tourisme procréatif. Son opposition à la pratique s’en trouve confortée. Constatant « avec une extrême inquiétude l’expansion rapide du marché international des GPA », il insiste sur les violences d’ordre « économique, juridique, médical et psychique » qui s’exercent sur les femmes recrutées comme gestatrices. « Particulièrement frappé par l’acceptation du risque, faible mais non nul, de mort ou d’atteinte grave à la santé de la gestatrice », qui « semble ne pas être pris en compte, ni par les parents d’intention ni par les promoteurs de la GPA », le CCNE estime qu’il ne peut y avoir de GPA « éthique », d’autant plus que la liberté de la femme de disposer matériellement de son corps ne lui confère pas celle de disposer juridiquement de celui de son enfant. Aussi, les refus d’exploitation de la femme et de réification de l’enfant justifient, dans le respect de la personne humaine, le maintien de l’interdiction de toute GPA. Pour la rendre efficace, l’adoption d’une convention internationale est préconisée. Afin de garantir l’intérêt de l’enfant qui serait né à l’étranger d’une telle pratique, le CCNE recommande de subordonner la transcription de l’acte de naissance étranger sur les registres de l’état civil à la réalisation d’un test d’ADN pour vérifier la réalité du lien biologique avec au moins l’un des parents d’intention.

Cette proposition n’a néanmoins pas été suivie par la Cour de cassation, le 5 juillet 2017 : selon la haute juridiction, un jugement étranger qui énonce que le patrimoine génétique d’un homme a été utilisé pour concevoir l’enfant doit, en l’absence d’éléments de preuve contraire, être transcrit sur les registres de l’état civil français sans qu’il soit nécessaire de subordonner la transcription à une expertise judiciaire (n° 1528.597). La recommandation du CCNE d’accorder une délégation d’autorité parentale (C. civ., art. 377) en faveur du parent d’intention n’ayant pas de lien biologique avec l’enfant, plutôt que d’établir un lien de filiation par la voie de l’adoption, n’a pas davantage reçu les faveurs de la Cour de cassation qui considère que « le recours à la gestation pour autrui à l’étranger ne fait pas, en lui-même, obstacle au prononcé de l’adoption, par l’époux du père, de l’enfant né de cette procréation, si les conditions légales de l’adoption sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant, la cour d’appel a violé les textes susvisés » (pourvoi n° 16-16.455). Si le législateur souhaite maintenir la prohibition de la GPA, il est donc nécessaire qu’il dissuade les couples d’y recourir à l’étranger par des moyens efficaces. À défaut, la loi restera lettre morte…

Non à l’autoconservation ovocytaire sans condition chez les femmes jeunes

Depuis la révision de la loi bioéthique du 7 juillet 2011, l’article L. 1244-2, alinéa 3, du code de la santé publique prévoit que, s’il est majeur, le donneur peut ne pas avoir procréé et se voir proposer le recueil et la conservation d’une partie de ses gamètes ou de ses tissus germinaux en vue d’une éventuelle réalisation ultérieure, à son bénéfice, d’une assistance médicale à la procréation. L’autoconservation des gamètes est ainsi admise, à titre préventif, lorsqu’une personne présente une pathologie dont le traitement risque d’altérer sa fertilité (CSP, art. L. 2141-11). Afin de pallier la pénurie de donneurs, le décret n° 2015-1281 du 13 octobre 2015 relatif au don de gamètes (JO 15 oct. 2015) l’a également autorisée, en faveur de personnes sans projet parental immédiat mais qui risqueraient de devenir par la suite infertile (CSP, art. R. 1244-2.-I). Dans ce dernier cas, « la conservation pour soi » est néanmoins subordonnée à ce que les premiers gamètes recueillis soient affectés à un « don pour autrui ». Le recueil de cinq ovocytes pour les femmes ou trois prélèvements de sperme pour les hommes sont un préalable nécessaire pour permettre, au-delà, à la personne de bénéficier d’une utilisation de ses propres gamètes à des fins de procréation (arrêté du 24 déc. 2015, pris en application de l’article L. 2141-1 du CSP et modifiant l’arrêté du 3 août 2010 modifiant l’arrêté du 11 avr. 2008 relatif aux règles de bonnes pratiques cliniques et biologiques d’assistance médicale à la procréation, JO 8 janv. 2016).

L’impossibilité d’autoconservation des gamètes en l’absence de « don à autrui » constitue pour certains une forme de chantage. Le CCNE préconise pourtant de ne pas faire évoluer la législation en ce domaine. S’il ne s’intéresse qu’à l’autoconservation des ovocytes, c’est sans doute parce qu’à la différence du sperme, la procédure de collecte des ovocytes est physiquement très contraignante pour la femme (hyperstimulation ovarienne, ponction réalisée sous anesthésie générale) et que le succès de la procréation par ICSI (intra cytoplasmic sperm injection) – rendue obligatoire par la vitrification des ovocytes – est très incertain (il ne dépasse pas 60 %).

Selon le CCNE, la généralisation de l’autoconservation des ovocytes pourrait favoriser le report de l’âge de la grossesse après 40 ans, alors que les grossesses tardives présentent des risques non négligeables pour la santé de la femme (hypertension artérielle, diabète) et de l’enfant (hypotrophie fœtale, prématurité). Elle n’aurait qu’une utilité très limitée pour les femmes plus jeunes qui, dans la très grande majorité des cas, procréeraient de façon naturelle. En outre, le CCNE craint que la décision d’une femme de se livrer à une autoconservation de ses gamètes ne fasse l’objet de pressions socio-professionnelles émanant de l’entourage ou des employeurs. Pour ces différentes raisons, le CCNE estime ainsi que « le bénéfice escompté au regard des moyens médicaux et économiques qui devraient être déployés » est très faible pour justifier la généralisation de l’autoconservation des ovocytes.