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Le droit en débats

Retrait du permis de construire en cas de fraude

Par Muriel Fayat et Arnaud Vermersch le 22 Mars 2018

Dans quels cas un permis de construire peut-il être retiré si une fraude est avérée ? Quel est le rôle de l’administration en la matière ?

Une autorisation d’urbanisme est toujours délivrée sous réserve des droits des tiers (C. urb., art. A. 424-8) car elle n’a uniquement pour objet de vérifier la conformité d’un projet de construction aux règles d’urbanisme en vigueur.

Pourtant, la question de la fraude en matière d’obtention d’un permis, lorsqu’elle résulte d’une usurpation de la qualité du propriétaire par le pétitionnaire ou de l’autorisation qu’il aurait pour réaliser les travaux, rappelle que les droits des tiers peuvent s’inviter dans l’appréciation que l’administration porte sur une demande d’autorisation.

L’article R. 423-1 du code de l’urbanisme prévoit notamment que le pétitionnaire, s’il n’est pas propriétaire du terrain ou son mandataire, doit attester être autorisé par eux à réaliser les travaux. Depuis le décret du 5 janvier 2007, le pétitionnaire n’a plus à justifier du titre l’autorisant à construire mais seulement à fournir une attestation sur l’honneur selon laquelle il remplit les conditions définies à l’article R. 423-1 du code de l’urbanisme.

Dans l’hypothèse où cette attestation est frauduleuse et où le pétitionnaire n’a en réalité pas compétence pour solliciter l’autorisation d’urbanisme, quel est le rôle de l’administration ? Doit-elle et peut-elle procéder au retrait de l’autorisation alors même que cette dernière devrait normalement être neutralisée par le tiers propriétaire ?

Le juge a répondu clairement que l’administration n’a pas à vérifier la validité de l’attestation, sauf si, au moment de l’instruction de la demande, elle est saisie d’informations, sans avoir à procéder à une mesure d’instruction lui permettant de les recueillir, de nature à établir son caractère frauduleux. Dans cette hypothèse, elle doit refuser la demande d’autorisation pour ce motif (CE, sect, 19 juin 2015, n° 368667, Commune de Salbris, Dalloz actualité, 24 juin 2015, obs. M.-C. de Montecler ; AJDA 2015. 1238 ; ibid. 1416 , chron. J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe ; RDI 2015. 430, obs. P. Soler-Couteaux ; AJCT 2016. 57, obs. R. Bonnefont ; 23 mars 2015, n° 348261, Dalloz actualité, 27 mars 2015, obs. R. Grand ; AJDA 2015. 605 ).

Il résulte des dispositions de l’article L. 241-2 du code des relations entre le public et l’administration qu’« un acte administratif unilatéral obtenu par fraude peut être à tout moment abrogé ou retiré ». Ainsi, le retrait d’un acte obtenu par fraude échappe au délai de quatre mois prévu par l’article L. 242-1 du code des relations entre le public et l’administration concernant le retrait des décisions créatrices de droits illégales.

Cette disposition est appliquée par le juge administratif pour permettre à l’administration ayant délivré une autorisation d’urbanisme obtenue par fraude de la retirer. Dans un arrêt récent du 9 octobre 2017 (n° 398853, Lebon ; AJDA 2017. 1922 ), le Conseil d’État a rappelé les deux cas applicables.

D’une part, si l’administration a connaissance de la fraude à la date de la demande, elle peut parfaitement refuser de délivrer le permis, et ce alors même que le refus n’est pas lié à une éventuelle non-conformité aux règles d’urbanisme.

D’autre part, lorsque l’administration a connaissance de la fraude postérieurement à la délivrance, « elle peut légalement procéder à son retrait sans condition de délai ; que la fraude est caractérisée lorsqu’il ressort des pièces du dossier que le pétitionnaire a eu l’intention de tromper l’administration sur sa qualité pour présenter la demande d’autorisation ».

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 9 décembre 2017, la fraude résultait du fait que le pétitionnaire n’était pas titulaire d’une promesse de vente à la date de demande de permis de construire et il savait qu’à la date du dépôt de la demande de permis de construire, une promesse de vente en vue de construire avait été signée par le propriétaire avec une autre société.

Le juge permet à l’administration de sanctionner la fraude dont elle aurait connaissance, sans toutefois lui permettre de procéder à des investigations. En effet, dans son rôle d’autorité appréciant uniquement la conformité de la demande au regard des règles d’urbanisme, l’administration n’a pas à mettre en œuvre une procédure de vérification des attestations fournies.

Qu’en est-il toutefois du refus de l’administration, saisie d’une demande en ce sens, de procéder au retrait d’un acte obtenu par fraude ?

En effet, un tiers peut demander sans condition de délai le retrait d’un permis obtenu frauduleusement à l’administration.

Cette procédure peut d’ailleurs être une voie pour obtenir le retrait de l’autorisation d’urbanisme lorsque le délai de recours contre l’autorisation est expiré, ce qui a déjà été tenté en arguant de fraudes relatives à la constitution du dossier de permis de construire (sur les documents photographiques produits par exemple, v. CAA Marseille, 4 déc. 2014, n° 12MA02039 ; sur l’irrégularité de l’insertion graphique, v. CE 5 févr. 2018, n° 407149, Lebon ; AJDA 2018. 245 ).

Dans l’hypothèse où l’administration rejetterait la demande, le refus de procéder au retrait est attaquable. L’action n’est plus alors dirigée contre l’autorisation d’urbanisme – qui ne peut être introduite que dans les délais prévus par le code de l’urbanisme – mais contre la décision de refus de procéder au retrait de l’autorisation d’urbanisme obtenue frauduleusement.

À ce titre, le Conseil d’État a jugé récemment que le juge devait alors vérifier, d’une part, la réalité de la fraude et, d’autre part, que le refus de procéder au retrait n’est pas entaché d’une erreur manifeste d’appréciation, « compte tenu notamment de la gravité de la fraude et des atteintes aux divers intérêts publics ou privés en présence susceptibles de résulter soit du maintien de l’acte litigieux soit de son abrogation ou de son retrait » (CE 5 févr. 2018, n° 407149, préc.).

Le retrait de l’autorisation d’urbanisme obtenue de manière frauduleuse n’est donc, là non plus, pas automatique.

Le Conseil d’État rappelle ainsi que la préservation des droits des tiers n’est, en matière d’urbanisme, pas la préoccupation première ni de l’administration ni de son juge.