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Le droit en débats

Vivement demain

Pourquoi présenter aux élections du Conseil national des barreaux (CNB) une liste composée uniquement de femmes ? 

Depuis que Femmes et Droit existe, notre mouvement a présenté une liste exclusivement composée d’avocates, à une exception près, lors des trois derniers scrutins. Lors de l’élection en 2011, quatre candidates de Femmes et Droit ont été élues, quatre en 2008, cinq en 2005.

Pourquoi, alors que d’autres groupements présentent des listes respectant la parité, l’association Femmes et Droit fait-elle le choix, une nouvelle fois, en 2014, d’une liste féminine ? Les hommes seraient-ils incapables de porter les revendications d’égalité des femmes dans la profession ? Non, évidemment, mais les faits sont têtus et le passé, lointain ou récent, révèle que les représentants de notre profession n’ont pas érigé cette aspiration, pourtant fondamentale à l’égalité, comme un de leurs choix prioritaires.

Les choix concernant la profession ne répondent pas à un clivage homme/femme : que ce soit à propos de la question de l’avocat en entreprise ou de la collaboration, de l’association, les débats ne se structurent pas autour d’une démarcation hommes/femmes. Pourtant les femmes sont les premières à subir des discriminations à ces différents stades de la profession.

Faut-il, par ailleurs, rappeler que, en théorie mais aussi dans la loi, les femmes ont les mêmes droits que les hommes. Pourtant, une fois encore, il en va tout autrement dans les faits et, tout particulièrement, dans notre profession, ce qui est tout simplement inadmissible dans un État de droit dans lequel toute forme de discrimination devrait être bannie.

Faut-il, en outre, rappeler que les femmes représentent 53 % des avocats en exercice en France et 52 % à Paris, qu’une très grande majorité de barreaux de France ont plus de 50 % de femmes dans leurs effectifs ? Pourtant, le Conseil national des barreaux ne comptait que 23 avocates élues sur 80 membres et seulement 4 présidentes de commission sur les 14 existantes et nonobstant la parité au sein du bureau. Et que dire du conseil de l’Ordre du barreau de Paris au sein duquel ne siègent que 27 % de femmes ?

Faut-il, en outre, rappeler que les femmes avocates sont généralement deux fois moins bien payées que leurs homologues masculins (43 % en moyenne) ? Que moins de 32 % des femmes sont associées dans les structures d’exercice qui comptent deux fois plus d’associés hommes à Paris ? Qu’au bout de dix ans, 40 % des femmes ont abandonné la profession d’avocat pour devenir, la plupart du temps, juriste d’entreprise ?

C’est ce constat accablant d’une inégalité flagrante des parcours professionnels des hommes et des femmes au sein de notre profession qui justifie l’existence de Femmes et Droit. Plus personne n’oserait aujourd’hui défendre haut et fort un traitement différencié entre avocats et avocates. Et la plupart des hommes adhèrent aujourd’hui sans réserve à l’idée que les femmes ont les mêmes droits que les hommes.

Mais combien de décennies faudra-t-il encore attendre pour que les conseils de l’Ordre et le Conseil national des barreaux comptent autant de femmes que d’hommes ? Pour que les présidences des Ordres des commissions soient équitablement réparties entre hommes et femmes ? Pour que les femmes soient associées dans les cabinets aussi simplement que le sont les hommes ?

À l’heure où les tractations vont bon train pour décider des présidences de commission et de la composition d’un bureau au CNB, a-t-on le souci de confier ces postes aux avocates qui seront élues ?

Pourquoi attendre ?

Toutes les conquêtes sociales ont été obtenues à force de combat, parce qu’une population lésée a décidé de prendre son destin en main.

C’est bien pour cela que l’association Femmes et Droit a été créée. Pour que ses sujets, qui sont, n’ayons pas peur des mots, des sujets de pouvoir, soient pris en compte par la profession.

Femmes et Droit aura atteint son but, non pas le jour où les femmes auront pris le pouvoir, mais le jour où elles n’auront ni plus ni moins de pouvoirs que les hommes.

Alors, on pourra enfin célébrer l’égalité au sein de la profession d’avocats.

Nous saluons la promulgation de la loi Égalité Hommes-Femmes1 et les dispositions qui imposent la parité mais nous constatons que dans de nombreux organismes professionnels, ainsi que dans la plupart des partis politiques, des directions d’entreprises et des organismes culturels, les femmes sont encore trop peu présentes.

Nous saluons la constitution de listes paritaires pour les prochaines élections (Femmes et Droit y est certainement pour quelque chose) mais nous déplorons encore la présence de plusieurs listes majoritairement présidées et composées, par des hommes… La parité ne sera donc fatalement pas atteinte « grâce » à ces listes, mais bien par l’élection de plus de femmes, et pourquoi pas grâce à la liste Femmes et Droit, et à nos élues.

Nous saluons, dans les programmes et professions de foi de certains mouvements pour cette élection, le souci de défendre l’égalité professionnelle. Nous travaillerons ensemble, comme lors de la dernière mandature pour la mise en place des nouvelles dispositions de nos règlements intérieurs protégeant les femmes face notamment à la maternité ! Nous irons plus loin en revendiquant un congé paternité obligatoire, à l’image des sociétés nordiques, pour un développement de carrière égalitaire face à l’arrivée des enfants.

L’instauration de quotas, au sein des conseils d’administration, a fait hurler certains mais a incontestablement permis – beaucoup plus que les beaux discours et les vaines promesses – aux femmes d’accéder à ces postes. Faut-il en avoir honte ? Cette mesure permet enfin de donner aux conseils d’administration un visage à l’image de notre société, ni plus ni moins.

Nous sommes convaincues que la constitution d’une liste féminine dans le cadre de nos élections professionnelles depuis une décennie a permis l’évolution des mentalités mais nous sommes néanmoins parfaitement conscientes qu’elle n’a pas encore atteint son objectif : la parité.

La présentation d’une liste de femmes en 2014 constitue un moyen d’accélérer une évolution, certes inexorable mais encore loin d’être achevée. Ce qui devrait être naturel ne l’est pas, ni historiquement ni actuellement.

Les femmes ont la ferme intention de participer aux grands choix de sociétés comme aux choix essentiels pour l’avenir de notre profession.

Nous continuons de subir des discriminations inadmissibles dans notre profession et nous ne souhaitons pas que, demain, elles perdurent.

Il est donc de notre devoir de défendre nos intérêts et de participer aux grands chantiers de notre profession, pour que les avocates, dans le nouveau métier qui se dessine (avocats en entreprise, représentation géographique de la profession, constitution de sociétés d’avocats avec capitaux extérieurs, etc.), aient toute leur place.

Femmes et Droit a hâte de pouvoir présenter une liste paritaire. Femmes et Droit le fera quand la parité sera atteinte dans l’ensemble de nos instances représentatives.

L’enjeu pour notre organisation sera alors de préserver ce que nous avons acquis grâce à notre engagement.

 

 

 

1 Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité entre les femmes et les hommes.