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Équité globale et audition libre, bis repetita

Dans un arrêt du 20 septembre 2022, la Cour européenne des droits de l’homme poursuit son œuvre jurisprudentielle tendant à « globaliser » l’appréciation de l’irrégularité d’une procédure pénale, au prisme d’une mesure d’enquête tardivement codifiée en France : l’audition libre.

Des aveux irrégulièrement recueillis

Deux jeunes gens, qui ont pris l’habitude de noyer leur ennui dans de l’alcool bon marché sur les bancs d’un parc communal, se retrouvent un soir d’été 2010 autour d’une bouteille de whisky. Le lendemain, la gendarmerie instruit l’incendie d’un bus stationné aux alentours, à quelques dizaines de mètres duquel sont retrouvés des débris de verre portant les empreintes de l’un des individus. Le 14 mai 2011, le titulaire des traces papillaires se rend dans les locaux de la gendarmerie où il était convoqué pour être auditionné librement. Le jeune homme, entendu sans assistance, n’est pas avisé de sa possibilité de quitter les locaux à tout moment et de garder le silence. Interrogé sur les faits dont il est soupçonné, il est informé de ce que ses empreintes ont été retrouvées à proximité du lieu de l’incendie. Il avoue aussitôt sa participation aux faits et incrimine son ami. Les deux jeunes gens sont placés en garde à vue le jour même. Notifiés de leurs droits et assistés d’un avocat, ils gardent le silence au cours de leur audition. L’ami du premier auditionné est à son tour entendu librement le 17 septembre suivant, après s’être fait avertir de son droit de mettre fin à l’entretien à tout moment et de ne pas répondre aux questions (ce qu’il fera tout au long de l’interrogatoire).

Les deux individus sont renvoyés devant le tribunal correctionnel de Saint-Étienne sur la prévention de destruction du bien d’autrui par un moyen dangereux pour les personnes (C. pén., art. 322-6, al. 1er). Après avoir écarté les aveux formulés initialement par le premier jeune homme lors de son audition libre, les juges stéphanois entrent en voie de relaxe le 16 octobre 2012, en relevant que les deux amis ont depuis constamment nié toute participation aux faits et que la seule présence d’empreintes à plus de trente mètres du véhicule incendié ne peut suffire à établir leur culpabilité. Sur appel du ministère public, la cour d’appel de Lyon infirme le jugement le 28 novembre 2013, en retenant notamment la régularité de la première audition libre dont ils confrontent le contenu à divers autres éléments de l’enquête, et en rejetant l’argument des prévenus d’après lesquels les déclarations incriminantes auraient été prononcées sous la contrainte des gendarmes. Le pourvoi formé par l’auteur des aveux (son ami s’étant contenté de produire des observations en comptant sur l’extension des effets d’une potentielle cassation à sa personne) est rejeté par la haute juridiction (Crim. 18 févr. 2015, n° 13-88.453). La motivation de l’arrêt, lapidaire, se borne à indiquer qu’en dépit du défaut de notification du droit de quitter à tout moment les locaux de la gendarmerie, les seconds juges se sont fondés, « notamment, sur d’autres éléments que les déclarations recueillies au cours de cette audition libre ».

La Cour européenne des droits de l’homme, saisie par les deux individus d’une violation alléguée de l’article 6, § 1 et 3, c), de la Convention européenne, rejette la requête du second pour défaut d’épuisement des voies de recours internes, mais accueille les griefs du premier, auteur des aveux, et condamne l’État français dans un arrêt rendu le 20 septembre 2022.

Une codification tardive de l’audition libre

Née de la pratique policière et dans l’ombre de la loi, l’audition libre du suspect se distingue de la garde à vue par son défaut de caractère coercitif. La personne interrogée, quoiqu’il existe des raisons plausibles de penser qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction, est entendue librement dès lors que son placement en garde à vue ne constitue pas...

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