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À l’audience, une ex-collaboratrice de Georges Tron révèle deux agressions sexuelles

Lucile Mignon, 48 ans, ex-attachée parlementaire de Georges Tron, a révélé en pleine audience deux agressions sexuelles dont elle aurait été victime, commises par Georges Tron et son ex-adjointe Brigitte Gruel, tous deux accusés de viols en réunion contre Éva Loubrieu et Virginie Ettel.

par Julien Mucchiellile 26 octobre 2018

Lorsqu’elle est placée en garde à vue en juin 2011, madame Lucile Mignon est encore dans le déni, mais jeudi 25 octobre 2018, devant la cour d’assises de Bobigny, contre George Tron et Brigitte Gruel, elle en a gros sur la patate. Elle est en arrêt maladie depuis 2012, sans traitement mais toujours comptée parmi les effectifs de la mairie de Draveil. Depuis l’écran accroché au mur de brique, car Lucile Mignon est entendue en visioconférence, ses petits yeux farouches et sa voix inflexible tancent sans mollir les turpitudes du système, de « la secte Tron », l’ancien secrétaire d’État et actuel maire de Draveil qui palpait des pieds. Il est aussi accusé d’avoir violé, avec son adjointe et ses doigts, Éva Loubrieu et Virginie Ettel, et encourt, comme Brigitte Gruel, vingt ans de réclusion criminelle pour viols en réunion.

En juin 2011, Lucile Mignon avait toutes les raisons de protéger son patron. « Je l’ai rencontré fin 2005, lors d’une permanence, pour des conseils à propos de problèmes de TVA. » Sa situation financière est délicate. Elle a quatre enfants, son mari souffre d’une grave dépression ; après avoir démissionné de son précédent travail, il lui faut un salaire pour faire survivre sa famille. Georges Tron lui propose de travailler à la direction du logement, d’abord en CDD pour un remplacement, puis la voilà « stagiairisée », c’est-à-dire en route vers une titularisation dans la fonction publique, sans passer de concours et par la grâce du maire. En 2007, Lucile Mignon est appelée à travailler dans les mêmes locaux que Georges Tron. Elle aura diverses responsabilités, jusqu’à devenir attachée parlementaire de l’élu draveillois.

La première fois était un samedi, or « un samedi, on ne travaille pas », mais Georges Tron l’a appelée à la mairie. « C’était pour me parler d’un poste à pourvoir à ses côtés. J’avais très mal à la tête, je lui en ai fait part, il m’a alors proposé de pratiquer la réflexologie plantaire pour me soulager, ce qu’il a fait. Il m’a ensuite demandé si je voulais bien qu’une autre personne, qui apprend la réflexologie, pouvait se joindre à nous. Brigitte Gruel entre et se place derrière moi, fait des points de pression dans les épaules, redescend vers la poitrine. Puis, sans que je sache comment, je me suis retrouvée allongée. » La scène a dévié : Brigitte est penchée sur elle, seins nus, Georges lui touche le corps, jusqu’en haut de son pubis. Aux juges d’instruction, elle a dit qu’elle s’était levée et avait claqué la porte. En réalité, elle est restée figée. Elle a appris que cela s’appelle un « état de sidération ».

Le président note que Mme Mignon n’avait jamais fait état des caresses au pubis et qu’elle ne s’est pas échappée durant la scène, contrairement à ce qu’elle affirmait dans ses précédentes dépositions.

Dans la deuxième scène, qui en réalité est une deuxième agression, Georges Tron, sous couvert de réflexologie plantaire, lui a pris le gros orteil pour souffler dessus. C’était également dans son bureau, sous un prétexte qui apparaît désormais fallacieux. Le président note que c’est la première fois que Lucile Mignon évoque ces faits.

La troisième fois, c’était furtif, mais vif : « À sa permanence parlementaire, il m’a prise dans par le bras, plaquée contre le mur et il m’a embrassée. Et je n’étais pas consentante ! » Le président note : ce fait est également inédit.

Aujourd’hui, Lucile Mignon est remontée : « Aujourd’hui, je suis également une victime non reconnue, pour des faits similaires aux deux plaignantes. J’ai subi un harcèlement sexuel mais aussi moral, très violent », a annoncé Lucile Mignon. Elle a initié plusieurs procédures, dont une est encore pendante, à l’instruction, au tribunal d’Évry. La défense s’est étonnée de ces révélations, et Me Natali, l’avocat de Brigitte Gruel, a regretté ce « scoop d’audience », avec la relation de ces deux nouvelles agressions.

« On a un dossier épais comme ça sur toi »

Depuis le début de l’affaire, Lucile Mignon a rapporté, comme tout le monde, la réputation de fétichiste des pieds qui colle à Georges Tron. Elle dit aussi de lui qu’il a eu plusieurs amantes à la mairie, qu’elle nomme, et aussi qu’il est un manipulateur. « Pendant les repas, il avait pour habitude de prendre le pied d’une personne à côté de lui et de lui tripoter le pied – parce que c’est du tripotage ! J’étais dans le déni de ce que j’avais pu vivre et que je ne voulais pas voir. »

Comme elle, « les personnes qui venaient aux réunions étaient en situation de fragilité, monsieur Tron se servait de la réflexologie plantaire pour appâter ses proies ». Virginie Ettel était également dans cette situation et, si, à l’époque, elle ne s’est pas rendu compte de la détresse qui, dit-elle, habitait sa meilleure amie, c’est qu’elle était « dans le déni » et « sous l’emprise ». Elle répète beaucoup ces termes, ainsi que « choc post-traumatique », pour expliquer son propre état de détresse psychologique. À l’époque, en 2008, 2009, 2010, Virginie Ettel adopte une attitude qui est souvent perçue comme provocatrice. « Elle avait besoin de se sentir exister, et son attitude pouvait laisser penser qu’elle ne dénigrait pas les approches », analyse Lucile Mignon. Il y a aussi ce mensonge : un cancer de l’utérus inventé, dit la plaignante, qu’elle justifie par sa volonté de dégoûter le maire, réputé hypocondriaque.

Virginie Ettel buvait beaucoup, plusieurs personnels de la mairie l’ont noté. Cela créait un désordre sur sa personne et une attitude exubérante, qui choquait ou gênait. Si, avec recul et sans déni, elle comprend que c’était une expression de son mal-être de femme victime de viol, pense-t-elle, elle note à l’époque que sa consommation d’alcool a empiré après une abdoplastie, et surtout, après une passade avec le chirurgien qui l’avait opérée. Voilà pourquoi elle met la tentative de suicide du 19 novembre 2009 sur le compte de la rupture avec ce médecin, car les épisodes sont concomitants. Tout comme elle met la deuxième tentative, survenue 13 avril 2010, sur le compte de l’alcoolisme.

Peu de temps après, Lucile Mignon était l’émissaire de Georges Tron : « Regarde bien devant toi, parce qu’on a un dossier épais comme ça sur toi », aurait-elle dit à Virginie Ettel, à la sortie de l’école de leurs enfants. L’accusé dit qu’il souhaitait en savoir plus sur les rumeurs répandues par Virginie Ettel, ces allégations « horribles et infondées », sans avoir jamais transmis l’ordre d’intimider Virginie Ettel.

Voici la raison pour laquelle Lucile Mignon était en garde à vue : avoir été complice du système Tron, malgré sa grande proximité avec Virginie Ettel, ce qui interroge. L’avocat général : « Vous avez alimenté cette affaire ? – Quand on fait partie d’un système comme celui-ci, que je qualifierais de secte, qu’on a un gourou qui met à exécution les menaces qu’il avance, on suit le mouvement, on est sous l’emprise », explique-t-elle. Mais ces accusations tardives sont suspectes aux yeux de la défense, qui goûte peu son intervention dans une émission de télévision. Diffusée au cours du premier procès, elle avait stimulé la discorde qui déjà imprégnait les débats. Me Dupond-Moretti a d’ores et déjà affiché son intention de mettre en lumière la justice d’opinion, la justice médiatique dont a pâti son client, selon lui, tout au long de l’instruction.