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Interview

Numérique : « il faut repenser la protection des droits fondamentaux »

L’étude annuelle du Conseil d’État constate que le numérique représente pour les droits fondamentaux à la fois un atout et une menace et propose d’ouvrir de nouveaux espaces pour l’exercice de ces droits. Interview de Jacky Richard et Laurent Cytermann.

le 10 septembre 2014

La rédaction : la question des rapports du numérique et des droits fondamentaux ne renvoie-t-elle pas à celle de la régulation de l’économie par le droit ?

Jacky Richard : L’étude du Conseil d’État porte sur les droits fondamentaux et n’est donc pas un rapport sur la régulation économique du numérique. Elle ne pouvait cependant négliger les enjeux économiques autour de la valeur qui est désormais accordée aux données personnelles. Notre sujet est d’examiner comment cette profusion de données et de traitements de données a profondément modifié les droits et libertés.

Nous faisons un double constat. D’abord, celui de l’ambivalence du numérique qui, à la fois, permet le développement de certaines libertés : d’expression, d’association, d’entreprendre… mais qui recèle aussi – c’est l’autre face de ce Janus – des menaces pour la vie privée ou pour la sûreté générale, puisque la cybercriminalité s’est développée très vite. Le second constat, c’est que le numérique ne remet pas en cause les droits et libertés fondamentaux eux-mêmes, mais que ce sont les instruments de leur exercice ou de leur protection qui, eux, sont insuffisants ou défaillants, ou encore nécessitent de notables transformations. Avec notamment une question qui nous a beaucoup occupés, celle de la territorialité de la norme.

Laurent Cytermann : On peut avoir l’impression que le numérique est « a-territorial ». En réalité, il est traversé par l’emprise des États. Quand une grande société comme Google ou Facebook écrit ses conditions générales d’utilisation, elle précise bien que celles-ci sont régies par le droit d’un État américain et qu’en cas de litige, l’utilisateur devra s’adresser aux tribunaux de cet État. Sur internet, il y a toujours une entreprise implantée quelque part et un internaute souvent situé autre part. Des rapports de pouvoir quant à la capacité des États à faire prévaloir leur conception juridique se jouent sur le numérique.

La rédaction : vous proposez des interventions du législateur français, du législateur européen, et, dans certains cas, une action internationale. Quelle ligne de partage entre ces différents niveaux ?

J. R. : Cela dépend évidemment des sujets, mais le plus souvent la circulation des données, du fait des traités, implique que la compétence est européenne. Toutefois, dans le domaine de la sécurité nationale, la loi de l’État prévaut. S’agissant de la gouvernance d’internet, on est dans des rapports de négociation… mais, pas entre États, c’est ce qui pose problème. Par exemple, la gouvernance et la régulation du système des noms de domaine relèvent d’une fondation de droit privé américain- l’ICANN - et la place des États y est très...

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Jacky Richard et Laurent Cytermann

Jacky Richard est rapporteur général de la section du rapport et des études du Conseil d'État et Laurent Cytermann, rapporteur général adjoint.