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Le droit en débats

Impacts de la loi visant à réformer l’adoption sur la vie de couple

Depuis la parution du rapport Vers une éthique de l’adoption, donner une famille à un enfant rendu public en octobre 2019 et rédigé par la députée Monique Limon et la sénatrice Corinne Imbert1, puis l’enregistrement à l’Assemblée nationale de la proposition de loi n° 3161 visant à réformer l’adoption2, on attendait une nouvelle réforme très axée sur l’intérêt de l’enfant visé par un projet adoptif. La proposition de loi a mis un certain temps à être adoptée, malgré la procédure accélérée qui avait été mise en place, mais finalement la plupart des changements attendus sont intégrés dans la loi n° 2022-219 du 21 février 2022 visant à réformer l’adoption3.

Par Isabelle Corpart le 07 Mars 2022

Suivant les changements de la société, la réforme de 2022 contient plusieurs innovations majeures présentées dans le code civil et dans le code de l’action sociale et des familles4. Elle poursuit trois objectifs principaux : rendre plus d’enfants adoptables, sécuriser les parcours afin de garantir le respect des droits des enfants et simplifier les démarches pour les parents adoptants. Même si la prise en compte des droits des enfants est prioritaire dans la réforme, l’adoption devant avant tout conduire à donner une famille à un enfant, elle s’attache aussi aux futurs adoptants qui veulent faire entrer un enfant dans leur famille. Tenant compte de l’évolution des mœurs conjugales et du nombre des couples non mariés, le législateur leur reconnaît de nouveaux droits.

Sans proposer une réforme globale de l’adoption, la loi du 21 février 2022 modifie plusieurs aspects importants du droit applicable, assouplissant notamment les conditions relatives à l’adoption en couple, mais aussi les démarches menées par une personne seule, tout en posant de nouvelles règles.

Le législateur abaisse la durée de vie commune minimum qui passe de deux à un an (C. civ., art. 343), la preuve de la communauté de vie étant à rapporter par tous moyens pour les concubins, les époux et les partenaires pouvant présenter leurs actes de naissance et de mariage pour les conjoints. De même, l’âge minimum des parents passe de 28 à 26 ans. Par conséquent, des concubins en couple ou des époux qui ont tous atteint l’âge de 26 ans peuvent démarrer la démarche même sans avoir besoin d’attendre d’avoir vécu ensemble durant toute une année (C. civ., art. 343 et 343-1), encore faudra-t-il toutefois qu’ils obtiennent l’agrément, ce qui peut prendre du temps.

Le législateur accorde également des droits aux futurs parents car le placement en vue de l’adoption « prend effet à la date de la remise effective aux futurs adoptants d’un enfant pour lequel il a été valablement et définitivement consenti à l’adoption, d’un pupille de l’État ou d’un enfant déclaré délaissé par décision judiciaire » (C. civ., art. 351), y compris pour l’adoption simple (C. civ., art. 361-1). Dès le placement, les candidats à l’adoption sont autorisés à effectuer les actes usuels de l’autorité parentale pour veiller notamment à l’éducation de l’enfant et à sa santé5. Le législateur prévoit en effet que « les futurs adoptants accomplissent les actes usuels de l’autorité parentale relativement à la personne de l’enfant à partir de la remise de celui-ci et jusqu’au prononcé du jugement d’adoption » (C. civ., art. 351, al. 2).

Pour devenir parents, les personnes intéressées doivent commencer par obtenir un agrément. Pour être bien certain qu’elles feront de bons parents, le législateur indique que le président du conseil départemental doit proposer aux personnes agréées des réunions d’information, et qu’elles doivent suivre une préparation « sur les dimensions psychologiques, éducatives, médicales, juridiques et culturelles de l’adoption et les spécificités de la parentalité adoptive » (CASF, art. L. 225-2 et 225-3), afin d’être bien en capacité de répondre aux besoins des enfants adoptables. Si elles désirent adopter un mineur résidant à l’étranger (CASF, art. L. 225-14-3) elles devront passer par l’Agence française de l’adoption ou par un Organisme autorisé pour l’adoption (OAA). L’agrément ne sera toutefois pas recevable parfois en raison de la différence d’âge entre adopté et adoptant. Une différence d’âge maximale de cinquante ans entre le plus jeune des adoptants et le plus jeune des enfants est en effet introduite dans le code de l’action sociale et des familles (art. L. 225-2, al. 3), une exception étant néanmoins envisageable pour de justes motifs. L’adoptant peut effectivement tenter de démontrer qu’il est en capacité de répondre à long terme aux besoins de l’enfant.

La grande innovation de la loi tient à l’ouverture de l’adoption aux couples non mariés6, ce qui va permettre aux concubins et partenaires de devenir parents ensemble d’un même enfant, mesure qui met les couples mariés et non mariés à égalité. Cette procédure d’adoption leur était interdite jusque-là et la famille de l’enfant était nécessairement monoparentale. Dans la mesure où il fallait aussi être marié pour utiliser la voie de l’adoption du conjoint, les familles recomposées étaient privées du droit d’offrir à un enfant un double soutien. Désormais, le concubin pourra choisir de devenir le parent adoptif de l’enfant de son compagnon.

Vie en couple sans monoparentalité imposée

Une des grandes avancées de la loi tient à l’ouverture de l’accès à l’adoption en couple aux concubins et partenaires (C. civ., art. 343), y compris de même sexe7, ce qui débouche aussi sur une meilleure prise en compte de l’homoparentalité8. Dorénavant, que l’on vive dans un couple de sexe différent ou de même sexe, il ne sera plus nécessaire de se marier pour devenir parents adoptifs d’un même enfant. Jusqu’à présent, les couples non mariés qui ne pouvaient pas procréer et voulaient élever un enfant devaient choisir quel serait le membre de leur couple qui deviendrait parent adoptif, le concubin du parent ne pouvant avoir de lien juridique avec l’enfant, qui était donc obligatoirement accueilli dans une famille monoparentale.

Il leur sera possible également d’adopter un mineur âgé de plus de 13 ans qui n’est pas en état de manifester sa volonté. Pour qu’il ne soit pas privé de famille, le législateur permet de l’adopter en ce cas, après recueil de l’avis d’un administrateur ad hoc (C. civ., art. 348-7).

La fin de la monoparentalité tient encore à un apport législatif (loi, art. 9) qui vient compléter la loi bioéthique n° 2021-1017 du 2 août 2021. Cette loi a ouvert, jusqu’au 3 août 2024, la possibilité aux couples de femmes ayant eu recours à une assistance médicale à la procréation (AMP) avec donneur avant son entrée en vigueur de régulariser la situation en signant devant notaire une reconnaissance conjointe qui établit le lien de filiation de l’enfant à l’égard de ses deux mères. Toutefois, il peut arriver que le couple soit séparé ou en désaccord, si bien que la démarche ne peut pas être commune. Grâce à la loi visant à réformer l’adoption, la femme qui a porté le projet parental avec celle qui a accouché va pouvoir devenir mère adoptive en ce cas, même sans son accord. Elle devra faire sa demande dans les trois années suivant l’entrée en vigueur de la loi bioéthique et devra rapporter la preuve d’un projet parental commun. Le tribunal prononcera l’adoption s’il estime que le refus de la reconnaissance conjointe est contraire à l’intérêt de l’enfant et si la protection de ce dernier l’exige9 et ainsi l’enfant bénéficiera bien d’une double filiation en cas d’AMP10. Cette possibilité n’est toutefois pas offerte aux femmes qui n’ont pas suivi la voie de l’AMP ou aux couples ayant eu recours à une GPA.

En revanche, un cas de monoparentalité subsiste malgré la réforme, car l’adoption est interdite quand elle conduit à la création d’une filiation incestueuse (C. civ., art. 310-2). En effet, s’il existe entre les père et mère de l’enfant un des empêchements à mariage prévus par les articles 161 et 162 du code civil pour cause de parenté, la filiation étant déjà établie à l’égard de l’un, il est interdit d’établir la filiation à l’égard de l’autre par quelque moyen que ce soit. Par cette précision, l’ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 a effectivement interdit que le frère adopte l’enfant de sa sœur ou inversement et qu’un parent adopte l’enfant de son fils ou de sa fille11. En pareil cas, l’enfant ne pourra avoir qu’un parent. La question de l’inceste est aussi abordée par la loi de 2022 pour poser un nouvel interdit afin d’éviter la confusion des générations. Pour clarifier les relations au sein de la famille, le législateur innove en prohibant l’adoption entre ascendants et descendants en ligne directe et entre frères et sœurs (C. civ., art. 343-3). Toutefois, à titre exceptionnel, il autorise le juge à prononcer l’adoption s’il existe des motifs graves que l’intérêt de l’adopté commande de prendre en considération. Il revient donc au juge d’apprécier l’intérêt de l’enfant au cas par cas12 et d’autoriser l’adoption si elle est apparaît bien comme un mode de protection de l’intéressé.

Tous les enfants adoptés vont donc pouvoir être rattachés juridiquement à deux parents qui feront des démarches adoptives conjointement, mais la loi offre aussi aux concubins le droit d’adopter l’enfant de leur compagnon.

Vie en couple et accueil de l’enfant du concubin

L’ouverture de l’adoption aux couples non mariés leur offre de mettre en place une biparentalité pour l’enfant, l’un des concubins étant maintenant admis à adopter l’enfant de l’autre. Jusqu’à présent, quand des concubins ne pouvaient pas procréer ensemble, s’ils ne voulaient pas se marier, ils devaient choisir lequel des deux serait le parent adoptif, l’autre se voyant reléguer au rang de parent d’intention, à savoir proche qui n’avait aucun droit sur l’enfant, aucun lien juridique ne pouvant être créé. Le législateur consacre ainsi le droit de l’enfant d’avoir deux parents lorsque son parent biologique a choisi de vivre en couple avec un nouveau compagnon. Ce dernier ayant la possibilité de devenir parent à son tour, le législateur propose une avancée intéressante pour les recompositions familiales. Elle est précieuse aussi pour les enfants auxquels elle offre une meilleure protection car ils pourront ainsi avoir deux parents. En effet, être beau-parent ne donne aucun droit et complique la transmission du patrimoine13.

À présent, l’adoption conjointe est ouverte aux couples non mariés, l’enfant ayant deux parents adoptifs et, en outre, l’un des concubins ou partenaires peut adopter l’enfant de son compagnon, l’enfant se voyant ainsi doté d’un parent biologique et d’un parent adoptif.

L’élargissement de l’adoption du conjoint à tous les couples est à saluer car, avant la réforme, le fait de vivre avec une personne qui avait un enfant n’offrait pas le droit de l’adopter, s’il n’avait qu’un seul lien de filiation ou si le second parent consentait à une adoption simple, lorsque le couple ne convolait pas en justes noces. Désormais, l’adoption de l’enfant du conjoint est étendue à tous les concubins et partenaires, y compris de même sexe (C. civ., art. 356 et 357), ce qui permet que ce parent ne soit plus un parent d’intention mais devienne un parent légal. Par conséquent, il pourra exercer l’autorité parentale conjointement avec son concubin ou son partenaire et l’enfant héritera de lui. Cette nouveauté va permettre aux personnes qui élèvent un enfant qui n’est pas le leur mais celui de leur compagne ou compagnon, dans le cadre d’une famille recomposée, de tisser des liens juridiques avec l’enfant, y compris majeur, grâce à l’adoption simple. L’enfant sera mieux protégé, y compris si le couple se sépare car l’adoption plénière est irrévocable (C. civ., art. 359) et l’adoption simple n’est révocable que pour motifs graves pour un majeur et uniquement à la demande du ministère public pour un mineur (C. civ., art. 370).

Cette avancée permettra aussi aux couples de femmes qui souhaitent élever un enfant mais ne veulent ni se marier ni recourir à une AMP de devenir mères d’un même enfant, l’une des compagnes pouvant à présent adopter l’enfant mis au monde par l’autre. Par ailleurs, la loi bioéthique n’accueillant pas les demandes d’hommes qui aimeraient recourir à une gestation pour autrui, si ces couples se sont rendus à l’étranger pour faire naître leur enfant, les deux hommes peuvent devenir coparents. En effet, il suffit de mettre en œuvre une procédure d’adoption, sachant que, là non plus, le couple d’hommes n’est plus obligé de convoler en justes noces.

Il est donc possible de refaire sa vie et, dans le cadre de la recomposition familiale, d’élever des enfants communs, même si aucun des deux membres du couple n’est le parent biologique et même s’ils ne désirent pas convoler en justes noces.

Cette nouvelle réforme relative à l’adoption entend mieux prendre en compte les besoins des enfants en leur assurant des projets de vie sécurisants, tout en ancrant bien l’adoption dans la protection de l’enfant en lui donnant une famille14, mais elle vise aussi à accorder de nouveaux droits aux candidats à l’adoption. Elle leur permet d’être coparents et donc d’avoir des droits égaux vis-à-vis de l’enfant élevé par le couple, qu’il soit ou non marié. La coparentalité sera la règle désormais car les concubins pourront faire le choix d’une démarche conjointe pour accueillir un enfant ou faire en sorte que l’un d’entre eux devienne le parent adoptif de l’enfant de son compagnon. L’enfant vivant sous leur toit sera donc placé sous l’autorité des deux membres du couple alors qu’avant la réforme, l’enfant n’était rattaché qu’à l’un des concubins, lequel était l’unique titulaire de l’autorité parentale.

Pendant longtemps, l’adoption par des concubins était interdite pour éviter que des enfants soient élevés par deux mères ou deux pères, mais depuis l’innovation découlant de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 qui avait autorisé les couples de même sexe à se marier et à adopter des enfants, cet argument n’était plus pertinent. Il était fort attendu que l’égalité entre les couples aboutisse à permettre à toute personne de devenir parent adoptif, ce qui est maintenant chose faite15. Cette avancée est à saluer mais elle posera peut-être quand même des problèmes concrets car cela va augmenter le nombre de candidats à l’adoption et donc les délais d’attente pour accueillir un enfant. Autre point dont on peut se féliciter, accordant les mêmes droits aux époux, concubins et partenaires en matière d’adoption, la loi s’inscrit également dans l’édification du droit commun des couples16.

 

Notes

1. Pour des critiques, v. M.-C. Le Boursicot, Une proposition de loi visant à réformer l’adoption… déconcertante et même inquiétante, RJPF 2020-11 ; C. Brunetti-Pons, Quelques réflexions à propos d’une proposition de loi sur l’adoption actuellement discutée dans le cadre de la procédure d’urgence en dépit de défauts majeurs, Gaz. Pal. 8 déc. 2020, n° 43, p. 12 ; P. Salvage-Gerest, Le rapport Limon-Imbert, un coup d’épée dans l’eau, AJ fam. 2020. 350.

2. J. Couard, Adoption en première lecture de la proposition de loi réformant l’adoption, Dr. famille, n° 12, déc. 2021, alerte 104.

3. JO 22 févr. 2022.

4. A. Gouttenoire, La modernisation de l’adoption, JCP n° 6, 14 févr. 2022, p. 195 ; J. Houssier, Réforme de l’adoption : vote définitif de la loi par l’Assemblée nationale, Dalloz actualité, 15 févr. 2022 ; A. Philippot, Adoption définitive de la réforme de l’adoption, JCP N, n° 7-08, 18 févr. 2022, act. 293.

5. M. Limon, Rapport Assemblée nationale n° 4897, 12 janv. 2022, p. 16.

6. Ce qui conduit le législateur à réécriture de nombreux articles pour remplacer le terme « époux » par « couple » (C. civ., art. 343, 343-1, 356, 357, 370-3) ou à ajouter au mot « conjoint ou époux », « concubin et partenaire » (C. civ., 344, 345-1, 346, 348-5, 353-1, 360, 363, 365, 366).

7. L’accès de l’adoption aux couples de concubins ou de partenaires, de sexe différent ou de même sexe est vu comme la mesure phare de la loi, v. M. Jourda, Rapport Sénat n° 371, 19 janv. 2022, p. 6.

8. I. Corpart, Les moyens de faire famille, accordés aux couples de même sexe, v. JCP N, n° 6, 11 févr. 2022, p. 1088.

9. Cette innovation conduit en quelque sorte à reconnaître à la compagne de la femme qui a accouché un droit sur l’enfant, ce qui est source de critiques, v. J. Houssier, Proposition de loi visant à réformer l’adoption : coup de rabot ou coup d’épée dans l’eau des Sénateurs ?, Dalloz actualité, 9 nov. 2021.

10. A. Dionisi-Peyrusse, Repenser la filiation en cas d’ouverture de l’AMP à toutes les femmes, JCP 2019, n° 27, p. 1315.

11. A. Cheynet de Beaupré, L’inceste, un tabou civil, RJPF 2021-4/1 ; I. Corpart, Un nouveau cadrage de l’adoption (Commentaire de la loi n° 2005-744 du 4 juillet 2005 portant réforme de l’adoption), JCP 2005. 418.

12. M. Jourda, Rapport Sénat n° 50, 13 oct. 2021, p. 27.

13. Les droits de mutation s’élèvent à 60 % faute de liens familiaux, d’où l’intérêt de pouvoir adopter, v. F. Luzu et N. Le Gall, Transmettre dans les familles recomposées ou l’art du compromis, JCP N, n° 26, 29 juin 2012, p. 1280 ; La recherche d’égalité dans une famille recomposée, JCP N, n° 22, 29 mai 2015, p. 1172.

14. I. Corpart, « L’adoption, de la protection de l’enfance à l’intégration dans une famille », in Simone Veil, un héritage humaniste, LexisNexis, 2018, p. 115 ; M.-C. Le Boursicot, Oui, l’adoption est avant tout un mode de filiation, RJPF 2019-2/33.

15. I. Corpart, « L’adoption au milieu du gué, entre réjouissances et regrets », in Mélanges en hommage à Catherine Philippe, L’Harmattan, 2017, p. 193.

16. X. Labbée, Le droit commun du couple, 2e éd., Septentrion, 2012 ; M. Saulier, Le droit commun des couples. Essai critique et prospectif, IRJS Éditions, 2017.