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Le droit en débats

Justice antiterroriste post-sentencielle : la tentation de la résignation

Les décisions rendues en matière d’exécution des peines pour des faits en lien avec le terrorisme illustrent une tendance à la systématisation de la réponse pénale là où le principe d’individualisation des peines devrait primer.

Par Clémence Cottineau le 05 Février 2021

« Je lui ai dit de rester gentil, de rester digne…son père était courageux et digne… ». L’attitude de cette mère était digne aussi alors que l’on venait de lui annoncer que son fils ne pourrait pas se recueillir sur la tombe de son père. Monsieur X est en détention depuis le 7 novembre 2015. Il a été condamné le 30 novembre 2017 par la 16e chambre correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Paris lorsque l’on ne parlait pas encore de Tribunal Judiciaire, à la peine de 7 ans et 6 mois d’emprisonnement. Apprenant quasiment simultanément le décès de son demi-frère dans des circonstances particulièrement brutales ainsi que celui de son père décédé des suites d’une crise cardiaque, il a formulé, à titre principal, une demande de permission exceptionnelle de sortie et, à titre subsidiaire une demande d’autorisation de sortie sous escorte prévu par l’article 723-6 du Code de procédure pénale, auprès du Juge de l’Application des peines compétent en matière de terrorisme (JAPAT): « Tout condamné peut, dans les conditions de l’article 712-5, obtenir, à titre exceptionnel, une autorisation de sortie sous escorte ».

Par une décision du 25 novembre 2020, le Juge de l’Application des Peines compétent en matière de terrorisme lui a accordé cette autorisation de sortie  en relevant que ces funérailles constituaient un motif exceptionnel susceptible de justifier une mesure d’autorisation de sortie sous escorte au sens de l’article 723-6 du code de procédure pénale. Il convient de souligner à cet égard que l’article D. 425 du même code vise expressément le cas du décès d’un proche. Il prévoit en effet que : « En application des dispositions de l’article 723-3 relatives aux permissions de sortir, et dans les conditions fixées à l’article D. 144, les condamnés peuvent être autorisés à se rendre auprès d’un membre de leur proche famille gravement malade ou décédé ». Cet article figure dans la section 4 du code de procédure pénale intitulée : « Des événements familiaux et des sorties exceptionnelles qu’ils peuvent motiver ». Ces dispositions sont parfaitement claires et ne semblent souffrir d’aucune exception.

Le Parquet National Anti-terroristes (PNAT) a interjeté appel de cette ordonnance avec effet suspensif. Quelques heures plus tard, la Chambre de l’Application des Peines spécialisée en matière de terrorisme a infirmé l’ordonnance statuant sur la demande d’autorisation de sortie sous escorte et Monsieur X n’a finalement pas pu assister aux funérailles de son père. Il a été relevé que le condamné n’avait pas adressé d’observations écrites. Il n’en avait pas matériellement le temps.

Cet exemple est révélateur de la politique pénale pratiquée par le PNAT.

L’article 69 de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice adoptée le 18 février 2019, prévoit la création du parquet national antiterroriste (PNAT) en tant que structure autonome, spécialisée et dédiée à la lutte anti-terroriste. Le PNAT a été mis en place à partir du 1er juillet 2019 afin d’apporter une réponse adaptée à la commission d’actes en lien avec le terrorisme, menace actuelle et exponentielle. Il a été pensé comme une structure idoine en raison de l’accroissement de l’activité anti-terroriste. La légitimité de cette structure n’est pas à démontrer. Elle est présente au stade de la poursuite, de l’instruction et du jugement des actes de terrorisme entrant dans le champ d’application de l’article 706-16 du Code de procédure pénale.

En revanche, se pose la question de la pertinence de son action au stade de l’exécution des peines.
Les personnes mises en cause pour des faits de terrorisme, dans le cadre notamment de l’infraction d’association de malfaiteurs à caractère terroriste prévue à l’article 421-2-1 du code pénal, sont logiquement sanctionnés à raison de la gravité des faits commis. Une fois la condamnation devenue définitive, ces personnes, à l’instar des détenus de droit commun, vont purger leur peine étant précisé qu’ils sont, le plus souvent, en détention provisoire depuis leur mise en examen.
Le code de procédure pénale leur octroie des droits au cours de cette détention. Ils peuvent notamment bénéficier d’une autorisation de sortie sous escorte dans des circonstances exceptionnelles. Aucune exception n’est expressément prévue en l’état du droit positif pour les personnes condamnées à raison de faits en lien avec le terrorisme.
Force est de constater que le décès d’un proche constitue une circonstance exceptionnelle et qu’il devrait être possible, pour tout individu condamné, de se recueillir sur la sépulture d’un proche, a fortiori lorsqu’il s’agit d’un père. La qualification terroriste ne devrait pas avoir pour conséquence de priver la personne de ses droits les plus élémentaires. Plus encore, une telle ligne d’intransigeance aveugle induit de l’incompréhension du côté de la Défense mais également du côté des mise en cause. Ces derniers sont susceptibles de développer un syndrome de persécution au sens psychiatrique du terme qu’ils conserveront à leur sortie de détention avec les risques que cela fait peser sur notre société.
Dans le même sens, et lorsqu’aucune peine de sûreté n’a été prononcée par la juridiction de jugement, les personnes convaincues pour des faits de terrorisme peuvent solliciter un aménagement de peine lorsqu’ils en remplissent les conditions. Afin de procéder à l’examen de cette demande, le JAPAT sollicite l’avis de l’ensemble des intervenants, à savoir le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP), le représentant de l’Administration pénitentiaire, le Juge de l’Application des Peines du lieu d’écrou, le Procureur de la République dont dépend le lieu d’écrou ainsi que le PNAT. Lorsque les avis recueillis sont convergents, qu’ils sont favorables à l’aménagement demandé, que l’absence de dangerosité semble actée et la réinsertion du condamné acquise, que le JAPAT fait droit à cette demande, quel est le sens, pour le PNAT, d’interjeter systématiquement appel du jugement avec effet suspensif ?

Quel est le sens de rejouer le procès ou encore de faire le procès de la personnalité du condamné ?

La coloration terroriste d’un dossier ne doit pas faire obstacle à un aménagement dès lors que les conditions sont remplies conformément aux articles du Code de procédure pénale relatifs à l’exécution des peines privatives de liberté (C. pr. pén., art. 716-1 à 723-39).
Cette position entraîne de l’incompréhension de la part de la Défense qui a parfois le sentiment que le principe d’individualisation des peines est un vain mot en matière de terrorisme alors que dans cette matière plus que dans aucune autre, il est essentiel.
Par ailleurs, le suivi post-peine figurant à l’article 721-2 I du code de procédure pénale vient s’ajouter à un arsenal important, complémentaire, notamment de l’inscription au Fichier des Auteurs d’Infractions Terroristes (FIJAIT).

À nouveau, une telle procédure ne doit pas être instrumentalisée. Il est pour le moins déconcertant, là encore pour la Défense, de voir des suivis post-peine prononcés avant une sortie sèche de détention, précisément parce qu’une prise en charge par des organismes tels que le dispositif PAIRS (Programme d’accueil individualisé et de ré-affiliation sociale) n’a pas été possible lors de l’information judiciaire ou parce qu’il n’a pas été fait droit à un aménagement de peine ab initio incluant un tel dispositif.

Enfin, il est incontestable que les procès actuels et à venir sont des moments forts, attendus de longue date par les victimes et familles de victimes des attentats de masse. Toutefois, la raison d’État ne devrait pas être invoquée pour porter atteinte aux droits des individus tels qu’énoncés à l’article 66 de la Constitution de 1958, lequel transpose pour la première fois dans un texte constitutionnel français le principe de l’Habeas corpus anglais et confie à l’autorité judiciaire le soin d’en assurer la sauvegarde. Ce faisant, il donne aux magistrats de l’ordre judiciaire une tâche essentielle en matière de protection de la liberté individuelle.

La charge incombant à la justice anti-terroriste est incroyablement ardue depuis les attentats qui ont meurtri notre pays et qui se poursuivent à un rythme effréné. « Le terrorisme a la vie dure. C’est un combat sans fin ». C’est en ces termes que Monsieur Ladislas Poniatowski (Eure – Les Républicains) avait attiré l’attention de Mme Nicole Belloubet, alors garde des Sceaux, sur l’erreur d’avoir retiré la création du parquet national antiterroriste (PNAT) de la future loi sur la justice.

La sanction doit être en adéquation avec la gravité des faits commis, c’est indéniable. Un équilibre doit néanmoins être trouvé entre les impératifs tenant à la répression et le principe d’individualisation des peines qui doit demeurer la règle. Apprécier les situations individuelles avec humanité ne saurait être l’exception.