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Le droit en débats

L’enseignement du droit et les facultés de droit face à la réforme de l’enseignement supérieur

Regard critique et désenchanté.

Par François Cafarelli le 24 Décembre 2019

L’arrêté du 30 juillet 2018 relatif au diplôme national de licence est entré en vigueur depuis dix-huit mois et s’applique de plein droit depuis le 1er septembre 2019. Si toutes les universités sont ainsi tenues de s’y soumettre, celles de la vague d’accréditation E, comme l’université de La Réunion, qui doivent élaborer leur nouvelle offre de formation pour la rentrée 2020, font partie des premières à être pleinement confrontées à ces prescriptions réglementaires qui modifient en profondeur le modèle universitaire français et plus singulièrement celui des facultés de droit.

Cet arrêté propose une autre manière d’appréhender l’enseignement supérieur. Il procède de la volonté louable de former les étudiants, les salariés, les personnes en reconversion ou recherche d’emploi, afin de leur permettre de s’adapter continuellement aux évolutions du marché du travail. La formation est donc perçue comme la garantie de l’insertion professionnelle ; elle doit être proposée tout au long de la vie, brouillant ainsi la distinction classique entre formation initiale et formation continue.

Pour tenir compte de la diversité des profils ayant désormais vocation à user les bancs de nos facultés, il nous est demandé de favoriser la personnalisation des parcours de formation et d’offrir des dispositifs d’accompagnement pédagogique tenant compte de la diversité et des spécificités des publics étudiants accueillis en formation initiale et en formation continue. Deux objectifs nous sont assignés : permettre la cohérence entre le projet de formation de l’étudiant, ses acquis, ses compétences et le parcours de formation qui lui est proposé ; assurer la réussite de l’étudiant. Deux outils nous sont proposés : le contrat pédagogique et la direction d’études.

L’arrêté licence enjoint donc à l’université et aux facultés de droit de s’adapter à la diversité des profils, c’est-à-dire de faire du sur-mesure, et non plus du prêt-à-porter. Cette injonction n’est pas discutable en tant que telle. Nous partageons le souci de la réussite de nos étudiants et de leur épanouissement dans le cadre de nos formations. Néanmoins, l’appréhension de ce texte ne peut pas faire l’économie de la prise en compte de la spécificité de l’enseignement du droit et des contraintes budgétaires systémiques auxquelles nous sommes tous confrontés. À travers le prisme de cette réalité, ce texte apparemment porteur d’une vision radieuse de l’université prend davantage les traits sombres et menaçants de son fossoyeur.

La fragilisation de l’enseignement du droit

Dans de nombreuses instances universitaires, les juristes sont souvent perçus comme des conservateurs, des opposants à des réformes qui placent l’étudiant et ses désirs au centre du système. Et pour cause ! Les enseignants-chercheurs sont sans doute les mieux placés pour déterminer ce qui fera la cohérence et la qualité de la formation qu’ils proposent. Nous avons à cœur de former des juristes (c’est bien notre fonction première) et cela nous conduit à adopter, partout et à quelques nuances près, le même contenu de licence, avec les mêmes disciplines fondamentales et avec sensiblement les mêmes enseignements d’ouverture. Nous estimons que la licence en droit est un socle cohérent garant de la qualité de la formation que nous proposons.

Cette manière d’enseigner le droit a d’ailleurs fait ses preuves, les qualités d’expression, de synthèse et d’argumentation de nos étudiants étant régulièrement saluées par les employeurs.

Aussi nous est-il difficile d’entendre qu’un diplôme puisse être appelé « licence en droit » alors que l’étudiant qui en serait titulaire n’aurait suivi que 50 % d’enseignements juridiques. Une telle licence perdrait de sa cohérence, de sa qualité et ne permettrait pas de former un véritable juriste. Or c’est ce que permet l’arrêté licence et ce à quoi nous poussent les universités qui veulent l’appliquer strictement, pour plaire au ministère, en espérant peut-être tirer quelques marrons budgétaires du feu qui ravage nos finances publiques.

Nous ne pouvons qu’être inquiets face à cette volonté insidieuse, que nous percevons, de fragmenter l’enseignement du droit qui semble s’inscrire dans un mouvement plus large de décomposition des professions juridiques, dont la suppression du Conseil national du droit, la transition numérique de la justice ou la fragilisation des professions du droit face aux professions du chiffre sont les derniers et inquiétants exemples.

Nous ne pouvons que légitimement nous interroger sur la volonté de nos gouvernants de réduire le droit et son enseignement à une fonction strictement utilitariste, de réduire les juristes au silence, eux qui ont tant à dire face aux privatisations inconséquentes d’ADP ou de la Française des jeux, ou face au refus du Parlement et du gouvernement de proposer aux élus et responsables locaux ou nationaux un véritable accompagnement déontologique…

Nous pensons que les juristes ont une place singulière au sein de notre société, qui tient notamment à la nature et à la qualité de leur formation.

La déstabilisation des facultés de droit

Le second contexte est celui des universités confrontées à une massification des effectifs étudiants, sous contrainte financière, subissant la baisse des dotations, la prise en compte du « glissement vieillesse technicité » (GVT), ne pouvant véritablement peser sur les droits d’inscription, soucieuses d’une « maîtrise » de la masse salariale (il faut comprendre « réduction »), peu ou mal dotées en matériels divers et devant souvent faire face à un délabrement de leurs bâtiments.

Dans ce contexte, prôner l’adaptation des parcours est le moyen de mettre les universités et les facultés de droit en échec tout en les poussant à sacrifier ceux qui en font la richesse et la valeur : les enseignants-chercheurs.

Il n’est pas possible de diversifier les parcours, c’est-à-dire parfois proposer de nouveaux enseignements, plus professionnalisants, sans recruter de nouveaux enseignants-chercheurs, notamment en droit, filière en tension dans bien des universités.

Il n’est pas possible de multiplier les options dans les parcours et de privilégier le suivi d’enseignements dans d’autres composantes en demandant à nos services administratifs déjà largement absorbés par le traitement des sollicitations individuelles toujours plus nombreuses, de trouver la solution à l’équation d’une complexité extrême qui permettra d’articuler les emplois du temps de plusieurs composantes pour le bénéfice d’un petit nombre d’étudiants.

Il n’est pas possible de demander à nos collègues qui doivent déjà faire face à des tâches démultipliées dans le cadre de leurs enseignements (augmentation des réclamations étudiantes, étalement des examens, désormais le droit à une seconde chance – qui ne peut être assimilé à une simple seconde session –, conseils de perfectionnement, réunions diverses) ou de leur recherche (complexification des montages de projet conduisant parfois, faute de temps, à les abandonner), d’assurer un suivi individualisé des étudiants, sauf à alourdir encore le poids des responsabilités administratives pour lesquelles il est déjà très difficile de trouver des vocations.

Il n’est pas possible de nous demander sans cesse d’améliorer nos taux de réussite sans jamais véritablement s’interroger sur les causes de l’échec en licence. Le nombre trop faible de BTS, d’IUT, de DUT… qui par ailleurs sélectionnent souvent de bons bacheliers, conduit des étudiants qui n’y sont pas ou mal préparés à s’orienter vers l’université et plus particulièrement vers les facultés de droit. Les parcours adaptés, s’ils fonctionnent pour quelques-uns, restent pour beaucoup un trop simple pansement sur une jambe de bois.

Il n’est pas possible de demander aux enseignants-chercheurs de délaisser leur activité de recherche qui nourrit leurs enseignements pour prendre en charge des enseignements de remédiation consistant à apprendre les règles élémentaires de grammaire à des étudiants de première année. La maîtrise du français devrait être un prérequis, elle devient, à la faveur de l’arrêté licence, une compétence valorisée par l’obtention de crédits.

Bien entendu, le gouvernement et certaines universités ont la solution pour permettre tout cela à moyens constants : baisse continue des recrutements d’enseignants-chercheurs titulaires, recrutements massifs de contractuels uniquement enseignants, le tout saupoudré d’incantations ésotériques en faveur de plus d’imagination permettant de faire rentrer des ronds dans des carrés.

Ces mesures sont particulièrement préjudiciables à la recherche, cette activité qui est propre aux universitaires et qui permet tout autant de conserver et de créer le savoir que nous transmettons à nos étudiants. Ces mesures nous conduisent à délaisser ce qui fait notre force pour nous contraindre à nous épuiser sur des missions relevant de l’impossible à moyens constants.

Comme une ultime estocade, le gouvernement entend reconnaître aux bachelors, sélectifs et très onéreux (comptez 6 000 € de frais d’inscription en moyenne), le grade de licence, les mettant ainsi en concurrence directe avec les licences universitaires. Pour eux, pas de recherche, des moyens importants pour accompagner des étudiants triés sur le volet. Pour nous, la pénurie de moyens pour accompagner toute personne souhaitant s’inscrire à l’université ou ce qu’il en restera.

Pendant trop longtemps, les enseignants-chercheurs ont puisé dans leur passion pour leur métier et dans leurs sens du service public les ressources leur permettant de supporter leur déclassement comme celui de leur institution.

Aujourd’hui, la pénurie nous guette et appelle un sursaut de nos gouvernants.

L’alerte est lancée.