Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Le droit en débats

Libre cours : Décidons

Décider le 1er mai de parler de son travail,
décider de ne plus laisser parler d’autres à sa place,
décider de donner à entendre le travail de l’ombre,
décider de déconfiner la parole pénitentiaire,
décider de dire le non-carcéral,
décider d’affirmer, d’exister, d’évoluer,
décider de porter une identité complexe,
décider de dire le service pénitentiaire d’insertion et de probation,
décider d’afficher le SPIP.

Par Laurent Ludowicz le 06 Mai 2020

Sept semaines de décisions pour les services pénitentiaires d’insertions et de probation (SPIP), celles qui s’imposent dans la lutte contre la tragique épidémie du covid-19 et celles que nous souhaiterions prendre.

Le 16 mars 2020, l’administration comptait 72 600 personnes détenues mais prenait en charge plus de 170 000 personnes placées sous main de justice. Pour une personne détenue, plus de deux sont suivies par le milieu ouvert de l’administration pénitentiaire.

Les SPIP comptent 5 400 personnels de différentes catégories (directeurs, conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, personnels de surveillance, personnels administratifs, psychologues, assistants de service social et éducateurs) pour intervenir en prison comme dans la prise en charge des personnes placées sous main de justice (PPSMJ) en milieu ouvert. Le service pénitentiaire d’insertion et de probation intervient sur mandat de l’autorité judiciaire tout au long de la chaîne pénale, plus encore aujourd’hui avec l’entrée en vigueur des dispositions dites du « bloc peine » de la loi 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

Pour faire exécuter les peines qui lui sont confiées et prévenir la récidive, le SPIP écoute, accueille, évalue, planifie, agit, mobilise et rend compte. Ses personnels sont les interfaces entre l’autorité judiciaire – les juges de l’application des peines plus spécifiquement, mais aussi les magistrats du parquet – et des partenaires institutionnels et associatifs, rouages essentiels pour un travail d’insertion sans lequel la prévention de la récidive serait vaine.

La crise sanitaire a révélé une nouvelle fois que la prison ne saurait être l’alpha et l’oméga de la sanction efficiente en réponse à l’infraction pénale. Cette dernière n’est pas innée et relève de constructions, de décisions qui font évoluer l’état de la délinquance et de la criminalité selon l’état de la société. Aujourd’hui, un délinquant est ainsi une personne qui ne respecte pas de manière réitérée le confinement et la réponse pénale s’y adapte. Un procureur de la République, par exemple, a récemment mobilisé le SPIP pour la mise en œuvre de TNR (travail non rémunéré). La démarche révèle là encore la force du réseau associatif et institutionnel disponible : association maître d’œuvre, préfecture pour le financement, conseil départemental, professionnels de la santé, des ministères de l’intérieur et de la justice, etc. Ce réseau plus large encore révèle la capacité de mobilisation de la société pour apporter des réponses adaptées, individualisées, efficaces pour la sécurité publique, quel que soit l’acte commis, sa gravité et même son insoutenabilité.

L’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a mobilisé comme jamais l’administration pénitentiaire face à l’urgence sanitaire à laquelle elle s’est trouvée confrontée de manière totalement inattendue et non préparée. Le résultat est spectaculaire dans les prisons. Au niveau national, ce sont ainsi 11 500 personnes détenues qui ont été libérées depuis le 16 mars, pour moitié certes en raison de l’importante baisse d’activité des tribunaux, mais, pour plusieurs milliers d’autres, quelques semaines, quelques mois au plus avant leur fin de peine. Des suspensions de peine ont aussi été décidées par des magistrats qui ont su prendre leurs responsabilités, parfois avec courage, le plus souvent avec détermination pour des personnes parmi les plus vulnérables face à un risque de contamination par le virus. Les personnels soignants et les avocats ont aussi œuvré avec force à cette fin. Les prisons françaises comptent aujourd’hui, et de manière inimaginable il y a peu encore, 61 100 personnes détenues pour 61 109 places, ce qui ne met pas fin hélas à la surpopulation dans les maisons d’arrêt même si elles bénéficient aussi de la baisse.

Derrière ces prises de décision et de responsabilité se trouve une mobilisation sans précédent des personnels pénitentiaires. Les directeurs de prison et leurs services de greffe ont été des acteurs de premier plan. Les directeurs pénitentiaires d’insertion et de probation et les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation ont une nouvelle fois mobilisé leur savoir-faire, leur capacité d’adaptation de manière inédite, dans un temps record et des conditions de travail éprouvantes, afin de répondre à une commande sans précédent. Elle a bousculé les repères, obligé à revoir dans l’urgence la qualité des analyses, à argumenter auprès de l’autorité judiciaire et questionné le sens de l’action des personnels du SPIP. En dépit de ces difficultés, l’objectif a été atteint et, jusqu’à présent, les effets de l’épidémie ont été limités en détention. L’action du SPIP y est pour beaucoup aux côtés des personnels des établissements pénitentiaires. Elle est toutefois invisible, mal identifiée, mal (re)connue derrière la prise de décision de magistrats auprès desquels l’argumentation volontariste attendue a parfois relevé d’une forme de joute.

Comment parler d’un service qui a fêté les vingt ans de sa création en 2019 dans une relative indifférence ? Le grand public, les médias, les citoyens peuvent se faire une idée d’un directeur de prison, d’un gardien de prison, à défaut de l’appeler par son vrai titre de surveillant pénitentiaire, mais il ne sait ni ce que font les directeurs de SPIP ni quel est le travail des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation. Le format médiatique est peu propice à la complexité, au temps long d’explication, aux nuances. Le politique a la responsabilité d’en être le contrepoint, un pédagogue pour le citoyen.

Au SPIP des Hauts-de-Seine, 75 personnels travaillent en temps ordinaire à la prise en charge et à l’accompagnement aux fins d’exécution des peines, de prévention de la récidive et de sortie de la délinquance de quelque 3 700 personnes, au sein du centre pénitentiaire (maison d’arrêt et quartier de semi-liberté) et en milieu ouvert. Le service n’a pas fermé depuis le déclenchement de l’état d’urgence sanitaire. Il s’est même réinventé. Il a revu ses modalités d’organisation dans des conditions extrêmes. Il a concentré son action sur la protection sanitaire des personnes détenues, en semi-liberté, placées sous surveillance électronique, exécutant un travail d’intérêt général (TIG), suivies au titre d’une mesure de probation, etc., tout en veillant à maintenir un lien avec les personnes les plus vulnérables et le contrôle des plus à risque, à commencer par les personnes suivies au titre de la radicalisation violente, condamnées pour des atteintes aux personnes et en particulier pour des violences intrafamiliales. Si le télétravail s’est mis en place grâce essentiellement à des entretiens téléphoniques, un travail en présentiel a été maintenu tant en milieu fermé qu’en milieu ouvert. Certes réduit au regard des impératifs sanitaires, ce travail honore ceux qui l’accomplissent au même titre que d’autres métiers.

La crise sanitaire est ici l’occasion de rappeler l’existence du SPIP, acronyme anonyme, mais service que les professionnels et les partenaires de la justice pénale comme son public savent incontournable. Il est également essentiel aujourd’hui dans les enseignements à retirer de la situation. La surpopulation carcérale n’est pas une fatalité, le tout carcéral n’est pas la seule réponse en termes de sécurité publique et le SPIP apporte en effet des propositions de réponses alternatives comme l’ont compris les majorités gouvernementales successives qui ont décidé d’en faire un pivot des évolutions législatives avec les lois – pour ne mentionner que les plus récentes – du 15 août 2014, relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, et du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

À nous, personnels des SPIP, de porter des compétences, un savoir-faire complexe, à la croisée des champs de la sécurité, du social et aux confins de la santé. Un changement de paradigme pénal est possible. Il a déjà largement été pensé, étayé par la recherche et des recommandations internationales. L’occasion nous en est donnée une nouvelle fois si nous le voulons. À nous d’en décider.