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Le droit en débats

Le monde d’après : fiscal égal pénal

Coffre-fort, bilan de Bercy, contrôles fiscaux, préjudice de l’État, fraude aux dividendes, tant de mots pour tant d’actualités au sujet de la fraude fiscale.

En effet, si le confinement a permis la suspension des contrôles fiscaux, il n’a pas empêché la parution d’un arrêté imposant dorénavant aux banques de transmettre le nom des bénéficiaires de coffres-forts.

L’Autorité bancaire européenne a, quant à elle, attendu la fin du confinement pour rendre sa copie sur son enquête menée concernant les politiques nationales en matière de fraude aux dividendes.

En parlant de copie, Bercy a également rendu la sienne en février concernant son bilan pour l’année 2019 en matière de lutte contre la fraude fiscale et elle vaut le détour. Des chiffres. Encore des chiffres. Comme ceux sollicités par l’État à titre de dommages et intérêts, en qualité de partie civile, devant le juge répressif, en vain puisque la Cour de cassation n’a pas manqué de rappeler que l’État était déjà indemnisé durant la procédure fiscale.

Le début de l’année 2020 est riche en matière de lutte contre la fraude fiscale !

Non bis repetita : incompétence du juge pénal pour réparer le préjudice subi par l’État du fait du délit de fraude fiscale

La chambre criminelle de la Cour de cassation n’en est pas à sa première décision sur ce sujet mais la précision, qui a été apportée dans un arrêt du 29 janvier 20201, semblait nécessaire.

Les juges répressifs doivent veiller à justifier que le montant des dommages et intérêts alloués à l’État, en qualité de partie civile, pour le délit de blanchiment de fraude fiscale, ne se confond pas avec le préjudice résultant de la fraude fiscale, sinon…

Bis repetita !

… puisque le préjudice issu de la fraude fiscale sera, selon la Cour de cassation, déjà indemnisé par les majorations fiscales et les intérêts de retard dans le cadre de la procédure fiscale.

Soulignons que la majoration fiscale est de 80 % en cas, notamment, d’abus de droit ou de manœuvres frauduleuses2 et que le taux de l’intérêt de retard est de 0,20 %3 par mois de retard4, ce qui revient à multiplier quasiment par deux le montant des droits éludés.

Pourtant, certaines juridictions pénales du fond semblaient allouer à l’État des dommages et intérêts en se fondant notamment sur le montant de la fraude fiscale à l’origine du blanchiment.

L’arrêt de la cour d’appel de Paris, censuré par la Cour de cassation, en est un exemple puisqu’il est rappelé que les juges du fond avaient condamné la prévenue à régler à l’État la somme de 100 000 € à titre de dommages et intérêts, le préjudice résultant notamment de « l’importance de la fraude »5.

« Fraude ». Tout est dit. La Cour de cassation a cassé cet arrêt en jugeant qu’elle n’était pas en mesure de s’assurer que les juges du fond n’avaient pas inclus dans l’indemnisation de l’État le préjudice issu de la fraude fiscale.

Tu ne seras pas indemnisé deux fois. Tels les dix commandements, la Cour de cassation rappelle aux juges répressifs ce principe.

Mais si cette décision mérite d’être saluée s’agissant de l’absence de double indemnisation de l’État pour fraude fiscale, elle ne remet en revanche pas en cause les dernières décisions françaises qui valident le principe de doubles poursuites tant devant le juge de l’impôt que le juge pénal.

Pour une Europe plus forte : lutter contre les fraudes fiscales liées aux dividendes par l’Autorité bancaire européenne

Octobre 2018 : dix-neuf médias européens dévoilent une gigantesque affaire, dite « CumEx files ».

Deux mécanismes sont concernés : le « CumCum », pratique d’optimisation fiscale, et le « CumEx », consistant à réaliser un grand nombre d’opérations dans un temps très réduit afin de régler une seule fois la taxe sur les dividendes mais de la récupérer plusieurs fois.

Estimation du préjudice : plus de 55 milliards d’euros dans toute l’Europe dont 17 milliards en France.

À la suite de cette révélation, de nombreuses enquêtes auraient été ouvertes en Europe, dont une en France, par le dépôt d’une plainte contre X pour blanchiment de fraude fiscale et escroquerie aggravée auprès du parquet national financier par un collectif de contribuables.

Un avertissement a également été annoncé par le gouvernement en octobre 2018 puisque le ministre des comptes publics a précisé que les banques françaises, ayant participé à ces pratiques, pourraient être poursuivies en qualité de tiers complices.

Puis, fin novembre 2018, le Parlement européen s’est également saisi du sujet en mandatant l’Autorité bancaire européenne pour enquêter sur ce sujet.

Copie a été rendue le 12 mai 2020 et les conclusions sont sans appel.

L’Autorité bancaire européenne révèle un manque de coordination entre les États membres et les différentes autorités à l’échelon national sur « ces systèmes d’arbitrage des dividendes »6. Selon cette enquête, ces systèmes « ne sont pas possibles »7 dans certaines juridictions et, lorsqu’ils le sont, ne sont pas toujours traités comme des délits fiscaux. Or la « facilitation »8 des délits fiscaux par les États porte atteinte à l’intégrité du système financier de l’Union européenne.

Le ton est donc donné.

Et la feuille de route, détaillée en dix points, le confirme et permettra à l’Autorité bancaire européenne de muscler son action par des amendements à venir dans des Guidelines ou encore par l’évaluation des améliorations nationales.

L’Autorité bancaire européenne indique qu’elle mènera ensuite une deuxième enquête sur les actions menées par les institutions financières et les autorités nationales.

Pendant ce temps, l’Allemagne sévit.

Le procès des premiers accusés de cette affaire s’est terminé, pour une partie, le 19 mars dernier. Deux anciens banquiers britanniques mis en cause pour trente-trois chefs de fraude fiscale en Allemagne, portant sur plus de 400 millions d’euros, ont été condamnés à de l’emprisonnement avec sursis et des amendes de plus de 10 millions d’euros. Une banque allemande a été, quant à elle, condamnée à rembourser 176 millions d’euros au Trésor public allemand.

Reste à savoir ce qu’il va se passer en France.

Compte tenu de la politique actuelle, il ne serait pas surprenant que les dispositifs se renforcent et les contrôles augmentent, d’autant plus que l’Autorité bancaire européenne a déménagé de Londres à la Défense en juin 2019 ! Près des yeux, près du cœur…

Coffre moins fort : fin de l’anonymat pour les bénéficiaires de coffres-forts bancaires

À partir du 1er septembre 2020, les banques françaises vont devoir transmettre le nom des bénéficiaires de coffres-forts.

En effet, par un arrêté du 24 avril 2020, les ministères de l’économie et des finances et de l’action et des comptes publics ont décidé de lever le secret des détenteurs de coffre-fort.

La location d’un coffre-fort figurera bientôt dans le fichier national des comptes bancaires, appelé FICOBA, lequel liste tous les comptes bancaires ouverts en France et précise l’identité du ou des titulaires.

FICOBA est utilisé par l’administration fiscale dans le cadre de ses missions de contrôle et de recouvrement mais également par les services de police, les douanes, les huissiers de justice ou encore TRACFIN.

Le contenu demeura toujours inconnu sauf si une autorité judiciaire en demande l’ouverture pour avoir accès à son contenu : liquide, or, pierres précieuses ou autres, les coffres-forts regorgent de petits secrets qu’il n’est peut-être pas bon de voir dévoiler.

Mais cette initiative n’est pas française puisque c’est la cinquième directive antiblanchiment de 20189 qui impose aux États membres la création de registres centraux permettant notamment l’identification des détenteurs de coffres-forts.

Cette nouvelle disposition va nécessairement permettre à l’administration, considérant les coffres-forts comme une source de dissimulation de patrimoine, de contrôler les potentielles fraudes.

À noter les dates : les locations de coffres-forts à compter du 1er septembre 2020 devront immédiatement être déclarées par les banques à FICOBA, mais elles ont jusqu’au 31 décembre 2024 pour déclarer les coffres rattachés à des comptes bancaires déjà existants.

758 000 coffres-forts sont loués au sein des principales banques en France. Ce seront 758 000 données en plus pour FICOBA, y ajoutant ceux qui feront leur rentrée le 1er septembre 2020.

L’heure est au bilan : publication par le ministère de l’économie et des finances du bilan 2019 de la lutte contre la fraude fiscale

Souvenez-vous : le 23 octobre 2018, la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale10 a été promulguée et les principales nouveautés ne nous ont pas laissés indifférents : aggravation de la répression du délit de fraude fiscale ou encore fin partielle du verrou de Bercy. Le bilan du gouvernement de la fraude fiscale pour l’année 2019 était donc fortement attendu.

C’est chose faite grâce au dossier de presse de Bercy paru le 17 février 2020. Et les chiffres sont notables.

10 milliards d’euros

Il s’agit du montant total encaissé par l’État en 2019. Sur ces 10 milliards, 9 milliards ont été encaissés par l’État à la suite de contrôles fiscaux (contre 7,7 en 2018), 530 millions d’euros d’amende ont été encaissés via deux conventions judiciaires d’intérêt public pour fraude fiscale et 4,38 millions via treize comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité, deux procédures qui n’étaient jusqu’à alors pas applicables au délit de fraude fiscale.

100 000

C’est le nombre de propositions de contrôle, issues du datamining11, qui ont été adressées aux services en 2019, soit 16 % de plus par rapport à 2018.

1 678

C’est le nombre de dossiers fiscaux qui ont été transmis à l’autorité judiciaire contre 823 en 2018, 965 en application du nouveau dispositif de dénonciations obligatoires instauré en 2018.

27

Le service d’enquête judiciaire des finances, chargé de rechercher et de constater depuis 2018 les fraudes fiscales les plus complexes, a été saisi de vingt-sept affaires fiscales.

Ces chiffres démontrent plus que jamais que « la politique de fermeté »12 de l’État français en matière de fraude fiscale « produit des résultats »13.

Mais ces résultats devraient augmenter.

Si ces chiffres augmentent, l’État français n’entend pas s’arrêter là. En effet, plane sur le gouvernement l’état des lieux de la fraude fiscale qui a été dressé par la Cour des comptes à la fin de l’année 2019 et qui, contre toute attente, précise que les résultats de cette lutte s’inscrivent dans une tendance à la baisse.

Notons le leitmotiv de la Cour des comptes qui va très certainement raisonner à Bercy ces prochaines années : « mieux évaluer, mieux prévenir et mieux réprimer la fraude aux prélèvements obligatoires doit constituer le triptyque d’une stratégie nationale en la matière »14.

Reculer pour mieux sauter : suspension des contrôles fiscaux pendant la période de l’état d’urgence sanitaire

Pause ! Le temps est suspendu pour les contrôles fiscaux.

Qui dit suspension ne dit pas annulation mais plutôt augmentation des délais pour que l’administration exerce son droit de reprise.

Son délai est en principe de six ans sauf pour les impôts directs d’État (IS, IR, IFI), la TVA et les taxes sur les chiffres d’affaires, qui est de trois ans ou encore, dans les cas d’activités occultes ou de détention d’avoirs financiers non déclarés à l’étranger, le délai de reprise est fixé à dix ans.

Trois, six ou même dix années durant lesquelles l’administration aura la faculté de « remonter en arrière » afin de contrôler la situation des contribuables.

Mais ce n’était pas sans compter cette période particulière de 2020 durant laquelle le gouvernement a suspendu ces délais entre le 12 mars 2020 et le 23 août 202015.

Plus de cinq mois durant lesquels les contribuables vont pouvoir souffler mais cinq mois en plus pour que l’administration exerce ses contrôles.

En effet, cette période, dite « juridiquement protégée », va permettre à l’administration de gagner plus de cinq mois pour exercer son droit de reprise, concernant les périodes pour lesquelles la prescription est en principe acquise au 31 décembre 2020.

Ainsi, les délais de reprise qui avaient commencé à courir avant le 12 mars 2020 sont suspendus et recommenceront à courir à compter du 23 août 2020. Quant aux délais qui ont commencé à courir à compter du 12 mars 2020, ils ne commencent à courir qu’à compter du 23 août 2020.

À cela doit nécessairement s’ajouter la question de la prescription de l’action publique puisque, là encore, les délais de prescription ayant été suspendus, le parquet aura davantage de temps pour poursuivre…

Plus de temps pour effectuer des contrôles fiscaux, plus de temps pour poursuivre.

Les droits des Français ont certes été garantis pendant cette période mais ceux de l’administration l’ont été tout autant.

Si le gouvernement va très certainement donner des consignes de souplesse pour les contrôles, il n’en demeure pas moins que l’administration a gagné du temps.

Nous pourrons alors commenter le bilan 2020 et ses chiffres, mais espérons-le, les avancées du droit.

 

 

Notes

1. Crim. 29 janv. 2020, n° 17-83.577, Dalloz actualité, 12 mars 2020, obs. O. Claude ; D. 2020. 338 ; AJ pénal 2020. 302, obs. C. Litaudon .

2. CGI, art. 1729.

3. CGI, art. 1727, III.

4. Le taux de 0,20 % était de 0,40 % jusqu’au 30 décembre 2017.

5. Ibid.

6. « Action plan on dividend arbitrage trading schemes (“Cum-Ex/Cum-Cum”) » de l’Autorité bancaire européenne.

7. Ibid.

8. Ibid.

9. Dir. UE 2018/843 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018.

10. L. n° 2018-898, 23 oct. 2018, relative à la lutte contre la fraude fiscale.

11. Procédé utilisé pour la recherche du délit de fraude fiscale en étudiant les données publiées par les internautes et librement accessibles sur internet.

12. Éditorial d’Édouard Philippe en introduction du dossier de presse du 17 févr. 2019.

13. Ibid.

14. Publication sur le site internet de la Cour de compte relative à la fraude aux prélèvements obligatoires, 2 déc. 2019.

15. Ord. n° 2020-306, 25 mars 2020 et n° 2020-560, 13 mai 2020.