La pratique est, pour le processualiste, un matériau tout à la fois précieux et mystérieux, comme Hébraud a pu l’évoquer : « la “pratique” est la préoccupation constante de tous ceux qui s’intéressent à la vie du droit, et plus particulièrement au fonctionnement de la procédure ; mais elle est aussi leur constant tourment, par son insaisissabilité »1. Mystérieuse, elle l’est parce qu’elle constitue un « comportement de fait »2 sur lequel aucune étude exhaustive n’existe et qu’aucun juriste, fut-il praticien, ne peut prétendre appréhender complètement. Précieuse, elle l’est cependant en ce qu’elle permet d’avoir une vue complète sur les règles de procédure appliquées quotidiennement devant les juridictions, qui ne sont pas réductibles à la lettre du code de procédure civile.
Lors de la matinée du colloque intitulé, ce sont précisément des règles instaurées par la pratique dont il a été question. « Des règles », en général : non pas seulement des règles de droit issues de la pratique – qui peuvent devenir telles dès lors que la pratique se fait usage, coutume – mais également des modèles de comportement suivis par un groupe sans que les conditions nécessaires à leur qualification de règle de droit soient remplies3. « Des règles instaurées par la pratique », en particulier : nous ont retenu spécialement les règles que la pratique a pu établir, non pas tant dans l’interprétation des règles de droit présentes dans le code de procédure civile que de son propre mouvement, dans le silence du code voire à l’encontre du code.
À l’occasion de la première partie de la matinée, la source de ces règles a été au cœur des discussions au cours d’une table ronde à laquelle des praticiens d’horizons divers nous ont fait le plaisir d’intervenir, que nous remercions de nouveau vivement : Pierre Bataille, avocat au barreau de Lyon ; Clément Bravard, greffier au tribunal de commerce de Lyon ; Geoffrey Guyot, greffier au tribunal judiciaire de Lyon ; Bruno Tadeusz, magistrat et, à la date du colloque, directeur du bureau des applications informatiques civiles au ministère de la Justice. Le mot « source » ne devait pas tromper. Il ne s’est pas agi de se demander à partir de quel moment la pratique peut constituer une source de droit4, mais de porter notre attention de façon plus originale sur la pratique en soi, sur sa « fabrique » pourrait-on dire en forme d’hommage à la récente disparition de Bruno Latour, sans prétendre toutefois à l’expertise de l’ethnographe.
Ce thème nous a retenus parce qu’il est paradoxalement peu étudié. Le paradoxe tient à ce que la pratique est importante en procédure civile. Historiquement, cela n’est plus à démontrer : dans l’Ancien droit, le terme de « pratique » désignait la procédure même5, et il en existait une grande variété que l’on a pu appeler « styles » voire « jurisprudences »6 de la juridiction devant laquelle on pouvait alors se trouver. En 1949, Morel pouvait encore écrire que l’œuvre de la pratique n’est « nulle part plus considérable »7 qu’en procédure civile. Depuis lors, l’avènement du nouveau code de procédure civile a sans doute occulté en partie cette importance de la pratique, mais elle n’en a pas pour autant cessé d’exister comme Cornu et Foyer le notait dans la dernière édition de leur manuel : « le monde judiciaire est, par excellence, coutumier »8. Aussi, la question de la pratique reste un passage presque incontournable des introductions des ouvrages de procédure civile.
Toutefois, lorsqu’il est question de pratique, on s’intéresse bien souvent plus au produit de la pratique qu’à sa fabrication, aux règles qui sont issues de la pratique plus qu’à la façon dont elles se créent, en doctrine comme ailleurs : en témoigne par exemple le rapport dernièrement diffusé sur Le traitement des dossiers civils longs et complexes9, qui puise dans certaines « bonnes pratiques » pouvant exister devant certaines juridictions pour proposer leur généralisation. Or, identifier à quels besoins répondent les règles issues de la pratique, comment elles sont façonnées par les praticiens ou encore comment elles se diffusent auprès d’eux sont autant de considérations importantes. À l’heure où, afin de ne pas multiplier les interventions du législateur, on prône de plus en plus souvent l’établissement de « bonnes pratiques » négociées dans le ressort des juridictions10, il serait en effet pertinent de mieux connaître le ressort des « bonnes pratiques » plus spontanées qui y apparaissent déjà régulièrement.
Sans prétendre à l’exhaustivité, cette première table ronde a entendu donner une première vue de ces vastes questions, en s’interrogeant sur l’unité du phénomène : y a-t-il une source uniforme des règles instaurées par la pratique ? Ou bien la diversité prime-t-elle, pour reprendre l’analyse qu’Hébraud faisait de la pratique en général ?11 Pour le déterminer, nous aborderons la question sous trois angles : d’abord, celui de la provenance de la règle ; ensuite, celui de la formation de la règle ; enfin, celui de la diffusion de la règle.
La provenance de la règle
Lorsque l’on évoque la provenance d’une règle issue de la pratique en procédure civile, c’est le plus souvent l’image d’une règle émanant de la pratique d’un juge qui vient à l’esprit, à telle enseigne que la pratique est parfois traitée au titre des sources « prétoriennes » de la matière afin d’insister sur cette prédominance12. Plus encore, l’idéal-type de la règle instaurée par la pratique est une règle issue de la pratique du juge qui tend à améliorer la productivité de la juridiction et, ce faisant, « à accroître les exigences procédurales », raison pour laquelle le thème peut être « polémique » pour la profession d’avocat comme le relève Me Pierre Bataille. Il y a là sans doute une part importante de vérité dont la seconde table ronde de la matinée se fera l’écho en envisageant la valeur de ces règles et la possibilité de les contester, mais la provenance de la règle n’est-elle pas plus diverse, tant quant aux professions qui en sont à l’origine que quant aux motivations qui concourent à leur apparition ?
M. Bruno Tadeusz convient volontiers qu’un certain nombre de règles sont issues de la pratique des magistrats, notamment avec l’objectif d’une plus grande efficacité de la juridiction mais sans que cela emporte nécessairement plus de charges pour les parties et leurs avocats. Exemple est pris à cet égard de la pratique existant en matière d’audiencement où les textes sont peu prescriptifs, dans le domaine des baux : « des audiences sont dédiées aux créanciers institutionnels ou aux bailleurs sociaux, pratique qui est une modalité de mise en œuvre des règles d’organisation de l’audience. Et cela sert finalement à tous, parce que cette pratique permet aux magistrats et aux greffiers de travailler plus efficacement en présence de “parties d’habitude”, si bien que l’audience se passera de façon plus fluide et que les décisions pourront être rendues plus rapidement ». Parfois même, une pratique se développe non pas en l’absence d’exigence légale particulière, mais pour « guider » les parties dans les possibilités offertes par la loi, ce en quoi on peut voir une règle, un modèle de comportement à adopter. Tel est le cas en matière d’expulsion locative, où M. Bruno Tadeusz a pu proposer aux barreaux avec lesquels il a travaillé de plutôt solliciter une saisine au fond qu’une saisine en référé. Là encore, un gain de productivité était attendu – « avoir une unicité de procédure pour une même matière est intéressant, notamment s’agissant de la rédaction de la décision, la formulation du dispositif n’étant pas la même au fond et en référé » – mais non au détriment du demandeur, l’obtention rapide d’une décision étant assurée aux avocats. Si le souci de la productivité des juridictions semble donc souvent à l’origine des règles instaurées par les magistrats, les parties peuvent parfois y trouver un intérêt.
Encore faut-il insister sur ce que toutes les règles instaurées par la pratique ne proviennent pas des seuls magistrats. En témoigne Me Clément Bravard, prolongeant la discussion sur l’audiencement, qui souligne que les mêmes questions se retrouvent devant le tribunal de commerce de Lyon où, pour remédier à une désorganisation des audiences, le choix a été fait par les juges non professionnels et les greffiers de normer davantage le nombre de dossiers appelés. Au-delà, la pratique des avocats est aussi à l’origine de règles, parfois très élaborées. Tel est le cas du « bureau commun » mis en place devant le tribunal judiciaire et le tribunal de commerce de Lyon, dont fait état Me Pierre Bataille : « le bureau commun est constitué de confrères qui, de façon institutionnalisée, désignés par l’Ordre, reçoivent en amont des instructions et se rendent ensuite à l’audience de mise en état pour les mettre en œuvre, évitant ainsi à un grand nombre d’avocats d’avoir à se déplacer ». On le voit, la préoccupation d’une meilleure allocation du temps se retrouve ici, en faveur des avocats principalement mais pas uniquement : « pour le juge, avoir seulement un ou deux interlocuteurs lors d’une audience d’orientation devant le tribunal de commerce est je crois bénéfique ; il y a là une recherche d’efficience commune ».
Ce n’est pas dire pour autant que les règles issues de la pratique ont nécessairement pour origine première le souci de gagner du temps : elles peuvent au contraire en faire perdre à celui qui les instaure, mais au profit direct des justiciables et de leurs représentants. C’est ainsi, d’une part, que M. Geoffrey Guyot présente la pratique du greffe dans lequel il exerce, en matière de procédure d’ordonnance sur requête : « l’article 494 du code de procédure civile exigeant que la requête soit présentée en double exemplaire, nous allons vérifier que tel est bien le cas ; à défaut, plutôt que de soumettre la requête directement au magistrat, la pratique est établie d’appeler l’avocat pour régler cette difficulté le plus rapidement possible ». D’autre part et dans la même veine, M. Geoffrey Guyot montre que le destinataire du signalement rapide d’une irrégularité est souvent le justiciable lui-même, spécialement dans le cadre de la contestation des saisies-attributions. On le sait, cette contestation doit prendre la forme d’une assignation, mais la règle est souvent ignorée des débiteurs qui se bornent à envoyer un courrier au greffe par voie postale. Dans ce cas, « le greffe va avertir le justiciable en lui expliquant qu’il doit assigner pour contester la saisie-attribution, et lui faire part des modalités pour consulter un avocat, solliciter l’aide juridictionnelle ». Où l’on voit que, par ces signalements qu’effectuent aussi certains greffes des tribunaux de commerce dans d’autres domaines comme l’indique Me Clément Bravard, les règles issues de la pratique viennent parfois protéger en partie les justiciables qui le sont peu par les règles légales, telle celle, sévère, imposant l’assignation pour saisir le juge de l’exécution.
Ce qui frappe, c’est alors bien la diversité de provenance des règles qui nous intéressent : elles n’ont pas toutes pour auteur le juge et chaque acteur du procès est susceptible d’en sécréter ; elles n’ont pas toutes pour moteur la productivité de ces acteurs, et sont parfois directement profitables au justiciable.
La formation de la règle
S’interroger sur la « formation » d’une règle consiste à se demander, selon le sens premier du mot, quel processus conduit à son avènement. Rapportée à des règles issues de la pratique, cette interrogation invite à observer attentivement la pratique pour y déterminer le chemin qu’elle peut emprunter jusqu’à se faire règle. Mais faut-il seulement utiliser le singulier ? Plusieurs voies ne peuvent-elles pas être empruntées ?
Il n’est pas douteux qu’une règle issue de la pratique puisse être le produit d’un circuit court, si l’on peut dire : tel acteur du procès adoptera très simplement telle pratique dans tel type de situation, et s’y tiendra par la suite. Néanmoins, il arrivera également que la règle soit le fruit d’une pratique concertée. Tel peut ainsi être le cas de certaines règles résultant de la pratique du greffe, comme le fait observer M. Geoffrey Guyot à propos de la transmission de “notices” à destination des justiciables : « il s’agit de documents non pas institutionnels mais de pratique, qui permettent de soumettre aux justiciables certaines règles de procédure – où des simples règles de pratique - pour que le dossier soit le plus complet possible. Ils sont réalisés par le directeur des services de greffe ou, ensemble, par les greffiers d’un même service. Il en existe dans de nombreux domaines, et par exemple en matière de majeurs protégés : lorsqu’un membre de la famille est désigné tuteur ou curateur, nous lui notifions en même temps que le jugement une notice qui lui rappelle ses droits et ses obligations ». Et ces règles issues d’une pratique concertée par des praticiens d’une même profession ne se limitent pas au greffe : à propos de l’audiencement au tribunal de commerce, Me Clément Bravard relève que ce sont les juges, ensemble également, qui ont décidé d’appliquer de nouvelles règles, ce qui n’a pas été sans poser des difficultés avec le barreau lyonnais qui n’avait alors pas été consulté.
Ce n’est pas dire toutefois que des interactions entre les différents praticiens n’interviennent jamais dans l’élaboration d’une pratique, conduisant à une règle. Certains acteurs du procès peuvent ainsi susciter le développement d’une pratique chez d’autres. M. Geoffrey Guyot en donne une illustration : « les avocats peuvent parfois faire remonter au greffe certaines difficultés, auxquelles nous nous efforçons d’apporter des solutions, ce qui peut entraîner l’élaboration de pratique. Dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière, nous avons ainsi pu permettre aux avocats de déposer des déclarations de créance directement via RPVA ». Le phénomène se retrouve plus largement avec les protocoles de procédure. S’ils ne constituent pas à proprement parler des règles suscitées par la pratique en ce sens que nombre d’entre eux prévoient des règles originales qui ne sont pas le fruit de comportements préalablement établis par la pratique, les protocoles suscitent eux aussi la pratique et la chose est parfois recherchée par leurs rédacteurs. Me Clément Bravard, ayant eu à participer à la rédaction de protocoles applicables pour le tribunal de commerce de Lyon, l’explique : « l’élaboration d’un protocole suppose une discussion entre les juges, le barreau et le greffe, faite de multiples réunions nécessaires pour s’accorder sur les termes à utiliser dans le texte, les délais à évoquer, etc. Pourtant, il arrive parfois que l’on s’entende pour rester silencieux dans le protocole sur certains points, en se disant qu’il faut laisser la pratique s’emparer de tel point, quitte à l’y inscrire plus tard dans un avenant. Nous avions en partie procédé ainsi, à l’origine, en matière de règlement amiable des différends, pour y inciter sans pour autant mettre en place une procédure particulière ».
À ces processus plus ou moins complexes s’ajoute désormais une donnée : le développement du recours aux outils numériques dans le procès civil. Ici comme ailleurs, le phénomène est ambivalent. D’un côté, il ouvre parfois la voie à la pratique, et permet l’émergence de règle comme cela a déjà pu être constaté du point de vue du greffe. M. Bruno Tadeusz, un temps directeur du bureau des applications informatiques civiles au ministère de la Justice, y insiste : « l’outil informatique permet très facilement de transmettre un dossier d’un tribunal à un autre avant même que le dossier ne soit enregistré. Or, dans certaines matières particulièrement, le justiciable peut être légitimement perdu : beaucoup de saisines par voie électronique devraient emporter une décision d’incompétence, mais de manière pragmatique certains greffes ont pu transmettre directement le dossier au greffe de la juridiction compétente sans qu’un texte le permette. Il y a là une difficulté plus générale liée au rôle de l’outil numérique par rapport à la pratique : parfois, des pratiques sont adoptées parce que l’utilisateur se dit “si l’outil qui est mis à notre disposition le permet, alors le droit le permet ou en tout cas la pratique peut le faire”. On trouve ainsi à l’organe des fonctions qui n’étaient pas forcément celles pour lesquelles il a été construit au départ ; l’organe crée la fonction ». D’un autre côté cependant, ces outils peuvent gripper le processus conduisant à ce que naisse une règle de la pratique : si M. Bruno Tadeusz fait ressortir qu’en qualité de directeur du bureau des applications informatiques civiles au ministère de la Justice son rôle consistait notamment à vérifier – par la mise en place de phases d’expérimentation – que l’outil informatique permettait le respect de certaines pratiques existantes, il accorde que ce même outil peut parfois s’opposer techniquement à l’émergence de nouvelles pratiques. Alors, c’est un chemin plus long et incertain que la pratique doit emprunter pour se réaliser, qui passe par le ministère : « par exemple, nous avons été interrogés par la cour d’appel de Colmar et les barreaux locaux soumis à la loi du 20 février 1922 sur l’exercice de la profession d’avocat et la discipline du barreau en Alsace et Lorraine : serait-il envisageable, en modifiant l’outil, de permettre à un avocat d’envoyer des messages aux tribunaux devant lesquels il ne peut pas postuler, précisément aux chambres commerciales des tribunaux judiciaires autres que celui devant lequel il peut postuler ? Techniquement cela serait possible, et l’on pourrait au-delà permettre de fait la multipostulation, mais ce serait jeter un voile pudique sur la loi de 1922 ».
La formation de la règle instaurée par la pratique passe ainsi par des étapes plus différentes que ce que l’on pourrait de prime abord penser, qui relèguent sans doute aujourd’hui davantage l’idée d’une pratique pouvant apparaître en un trait de temps et s’établir en règle rapidement.
La diffusion de la règle
La source des règles instaurées par la pratique nous ayant intéressés au cours de la première partie de cette matinée de colloque, il ne pouvait être question de ne pas s’interroger sur son écoulement : comment ces règles peuvent-elles être connues ? Car il y a là une difficulté importante relative aux règles issues de la pratique à laquelle tout praticien s’est un jour trouvé confronté, que l’on songe à l’avocat se présentant pour la première fois devant le tribunal de commerce de Paris et essayant de comprendre pourquoi certains de ses confrères répondent « solution » à l’appel de leur dossier, et d’autres « pour solution ».
Pour ce qui concerne les praticiens locaux, c’est-à-dire ceux exerçant auprès de la juridiction où ont cours certaines pratiques, M. Geoffrey Guyot invite en principe à distinguer selon que la règle provienne de l’activité du greffe ou de celle du juge. En effet, parce que la règle sera d’autant mieux connue qu’elle sera ancienne, l’ancienneté dans son poste du praticien auteur de la pratique a son importance. Les greffiers n’étant pas astreints à une obligation de mobilité et pouvant donc rester longtemps en poste, leur pratique se fait « tradition du service », que les praticiens locaux se transmettent de façon informelle. À l’évidence, il en ira différemment de la pratique des magistrats, moins connue car plus évanescente. De ce point de vue, la formalisation des règles – que ce soit dans des protocoles de procédure ou même de simples notes transmises par les juridictions - n’est pas sans mérite, ceux-ci étant mis à disposition des avocats sur le site internet du barreau comme le précise Me Pierre Bataille. Mais la pratique est aussi faite de « petites habitudes d’audience » propres à chaque juge, qui sont particulièrement difficiles à saisir.
En regard, la situation des praticiens extérieurs à un barreau et des justiciables eux-mêmes apparaît moins enviable encore, sans même évoquer le sort des universitaires. Me Clément Bravard nuance toutefois : « lorsqu’un avocat extérieur se présente, la règle locale lui est présentée par le greffe ou par ses confrères au cours de l’audience, ce qui ne pose généralement pas de difficultés et, si l’avocat n’est pas mis au courant à temps, la juridiction s’adapte ; il en va de même à l’égard des justiciables ». De cela, Me Pierre Bataille convient, ajoutant qu’à l’égard des justiciables « les juridictions sont plutôt pédagogues » tandis « qu’il reste possible pour l’avocat extérieur de simplement contacter le greffe par téléphone, ou de consulter le site internet de la juridiction ». En définitive, y compris du point de vue de la diffusion des règles, c’est à nouveau une certaine diversité qui règne parmi les canaux pouvant être empruntés. Toutefois, ces derniers ne fonctionnant malheureusement pas toujours idéalement, il reste que « la solution la plus fréquente est de mandater un correspondant local, y compris dans les procédures où la représentation n’est pas obligatoire, afin non seulement d’obtenir les bonnes informations mais également d’avoir sur place l’assurance d’un relais connu de la juridiction ». Singulière mise en abîme : voici en somme une nouvelle règle instaurée par la pratique, suscitée par la crainte de méconnaître les règles instaurées localement par la pratique. Se profilent derrière cette crainte les inconvénients liés à ce type de règle, et spécialement la question de leur valeur et de leur sanction, qui sera l’objet de la seconde table ronde.
1. P. Hébraud, « Rapport de synthèse », in Les délégations judiciaires en matière civile et commerciale, colloque de l’institut d’études judiciaires de Strasbourg, 26 et 27 avr. 1963, Annales de la faculté de droit et des sciences politiques et économiques de Strasbourg, tome XIII, Dalloz, 1964, p. 133 s., spéc. p. 135.
2. V° Pratique, sens 2, in Vocabulaire juridique (dir. G. Cornu), 14e éd., PUF, 2022.
3. Situation derrière laquelle on peut ranger la notion même de pratique, pour mieux la distinguer de l’usage et de la coutume, sur ce point, v. P. Deumier, Le droit spontané, Economica, 2002, spéc. nos 100 s., p. 89 s.
4. Sur ce tropisme des juristes, v. not., R. Libchaber, L’ordre juridique et le discours du droit, LGDJ, 2013, n° 282, p. 378 s.
5. P. Deumier, Introduction générale au droit, 6e éd., LGDJ, 2017, n° 391, p. 345.
6. V° Jurisprudence, sens 6, in Vocabulaire juridique, op. cit. « Pratique judiciaire ; habitude de procéder ou d’opérer de telle ou telle manière (en dehors des questions de droit) dans les mesures d’instruction, les conciliations, les évaluations ».
7. R. Morel, Traité élémentaire de procédure civile, 2e éd., Sirey, 1949, n° 17, p. 15.
8. G. Cornu et J. Foyer, Procédure civile, 3e éd., PUF, 1996, n° 5, p. 17.
9. Inspection générale de la justice, Le traitement des dossiers civils longs et complexes, déc. 2021.
10. V. par ex., ibid., recommandation n° 15, p. 65.
11. P. Hébraud, op. cit., p. 135 : « L’idée que l’on se fait de cette entité mystérieuse [la pratique], déesse voilée au fond du temple, oscille entre deux pôles. D’un côté, on l’imagine volontiers comme un bloc, à la fois parfaitement homogène et entièrement étranger, et qui apparaîtrait d’une originalité radicale si l’on pouvait s’en instruire pleinement. Je crois qu’il y a là une illusion qu’il faut s’efforcer de dissiper, car toutes les fois que l’on essaie de pénétrer la pratique, on est frappé de son extrême diversité ».
12. C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile, 36e éd., Dalloz, 2022, p. 49.