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Le droit en débats

Un congé avec offre de renouvellement peut être requalifié en congé-refus !

Par un arrêt rendu le 11 janvier 2024, publié au Bulletin, la troisième chambre civile de la Cour de cassation analyse en un refus un congé qui offre le renouvellement assorti de nouvelles conditions autres que le loyer (Civ. 3e, 11 janv. 2024, n° 22-20.872, Dalloz actualité, 23 janv. 2024, obs. J.-D. Barbier et S. Valade). Une décision critiquable et qui soulève de très importantes questions.

Par Alain Confino le 24 Janvier 2024

1. C’est dans des circonstances de fait très singulières que se présentait l’affaire que la Cour de cassation a eu à trancher par cet arrêt du 11 janvier 2024. Et les décisions des juges du fond qui l’ont précédé ne l’étaient pas moins.

Pour l’essentiel, l’affaire peut se résumer comme suit.

Une communauté de communes, propriétaire d’un local à usage de restaurant donné à bail commercial à deux époux leur a, le 29 avril 2016, donné congé au visa de l’article L. 145-9 du code de commerce, en leur offrant le renouvellement d’un bail précédent moyennant diverses conditions dont la régularisation d’un nouveau bail conforme aux textes en vigueur s’agissant notamment de la clause d’indexation des loyers, la modification de la contenance des lieux loués (exclusion des lieux publics, dont la plage et le poste de secours), la modification de certaines obligations du preneur (notamment quant à l’entretien des espaces verts - golf compris dans les lieux loués), ainsi que la proposition d’un loyer annuel ne pouvant être inférieur à une certaine somme.

Par courrier recommandé du 24 juin 2016, les époux locataires, estimant que l’acte de congé ne faisait pas mention de motifs le justifiant, ont répondu qu’ils entendaient se maintenir dans les lieux et voir renouveler le bail, ajoutant que leur départ des lieux obligerait la communauté de communes à leur verser une indemnité d’occupation (sic) au sujet de laquelle aucune proposition ne leur avait été faite.

Sans réponse de la bailleresse, ils ont finalement fermé l’établissement et quitté les lieux en octobre 2016.
Le 27 juin 2017, ils ont assigné la bailleresse devant le Tribunal de grande instance d’Angoulême afin de la voir condamner à leur verser la somme de 501 000 € à titre d’indemnité d’éviction.

2. Par jugement du 24 octobre 2019, le tribunal, après avoir dit que le congé n’encourait pas la nullité, a jugé que cet acte devait s’analyser en un refus de renouvellement au regard des modifications de contenance des lieux loués et des obligations des preneurs, dit que la communauté de communes bailleresse était débitrice envers les preneurs d’une indemnité d’éviction, et, avant dire droit, ordonné une expertise en vue de la fixer.

  • Sur appel de la communauté de communes, la Cour d’appel de Bordeaux, par arrêt du 21 juin 2022 (n° 19/06161) a infirmé le jugement aux motifs suivants :
  • les modifications demandées dans le congé délivré « ne peuvent s’inscrire valablement dans le cadre d’un congé avec offre de reprise (sic) qui a pour objet de renouveler le bail commercial aux clauses et conditions du bail d’origine, à l’exception du loyer », de sorte que ces « irrégularités » du congé « doivent être sanctionnées par sa nullité » ;
  • cependant, « les termes du congé, inadaptés mais dénués d’ambiguïté, ne permettent pas de retenir, comme l’a fait le tribunal, qu’il doit s’interpréter comme un congé sans offre de renouvellement alors qu’il exprime au contraire explicitement une offre de régularisation d’un nouveau bail » ;
  • le départ des locataires, « qui ont quitté les lieux sans en aviser la bailleresse ni lui faire connaître leurs exigences ni saisir la commission départementale de conciliation des baux commerciaux ainsi que prévu au contrat, alors même qu’elle n’a jamais manifesté son opposition à leur maintien dans les lieux ni effectué aucune démarche pour contraindre leur départ, relève de leur seul choix, de sorte qu’ils ne sont pas fondés à demander le versement d’une indemnité d’éviction ».

En résumé, selon les magistrats angoumoisins, le congé était valable mais devait être requalifié en « congé-refus », tandis que pour leurs collègues bordelais, le congé était nul… mais cette nullité n’avait d’autre effet que de priver les preneurs de l’indemnité d’éviction en raison de leur départ des lieux !

Les preneurs n’ont pas manqué de se pourvoir en cassation.

3. Après avoir rappelé, au visa des articles 1103 du code civil et L. 145-8 et L. 145-9 du code de commerce, que le renouvellement du bail commercial s’opère aux clauses et conditions du bail expiré, sauf le pouvoir reconnu au juge de fixer le loyer, et qu’un congé est un acte unilatéral qui met fin au bail par la seule volonté de son auteur, la troisième chambre civile entre en voie de cassation de l’arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux par un motif aussi bref que cinglant : « Il s’en déduit qu’un congé avec une offre de renouvellement du bail à des clauses et conditions différentes du bail expiré, hors le prix, doit s’analyser comme un congé avec refus de renouvellement ouvrant droit à indemnité d’éviction. » Cette formulation soulève d’importantes – et d’inquiétantes – questions.

À la base du raisonnement, un principe parfois critiqué et contraire à une solution ancienne

4. La Haute juridiction commence par rappeler que le pouvoir du juge en matière de renouvellement est limité à la fixation du prix du bail renouvelé, sans pouvoir toucher aux autres clauses du bail (V. S. Andjechaïri-Tribillac, Portée du renouvellement du bail commercial « aux mêmes clauses et conditions »,Dalloz actualité, 7 mai 2021, et les réf. citées).

Ce principe, qui n’est plus guère discuté aujourd’hui mais qui tranche avec la solution qui prévalait autrefois (avant le décret du 3 juill. 1972), a été parfois l’objet de vives critiques.

Certains auteurs estimaient qu’il y avait lieu distinguer à tout le moins entre les clauses essentielles et les clauses accessoires. Ainsi le professeur Louis Rozès écrivait-il : « Le principe demeure bien que le renouvellement s’applique à toutes les clauses essentielles du bail initial, alors que les clauses susceptibles d’être considérées comme divisibles du contrat, non déterminantes du consentement donné à l’origine, devraient être distraites du contrat renouvelé (P. Garbit, Lamy Droit commercial, n° 2701) » (D. 1992. 364 ).

En 1991, en présence d’un congé avec offre de renouvellement qui mentionnait que le locataire devrait prendre en charge « tous les travaux nécessaires y compris ceux énumérés à l’article 606 du code civil, toiture et gros murs », la Cour de cassation censurait l’arrêt d’une cour d’appel qui avait fixé le prix du bail renouvelé en tenant compte de cette modification « non négligeable », cassation prononcée au motif « qu’aucune juridiction n’a le pouvoir de modifier les clauses même accessoires du bail commercial à renouveler » (Civ. 3e, 6 mars 1991, n° 89-20.452, D. 1992. 364 , obs. L. Rozès ; AJDI 1991. 834 et les obs. ; RDI 1991. 395, obs. G. Brière de l’Isle et J. Derruppé ; RTD civ. 1992. 137, obs. P.-Y. Gautier ).

Commentant cette décision (P.-Y. Gautier, Limites trop strictes de l’intervention judiciaire dans les baux forcés, RTD civ. 1992. 137 ), le professeur Pierre-Yves Gautier exprimait avec verve un raisonnement qui mérite d’être reproduit : « Remarquons que cette décision s’inscrit dans un courant, en train de se former (Civ. 3e, 12 oct. 1982, RTD com. 1983. 222, obs. M. Pédamon ; JCP 1984. II. 20125, obs. crit. B. Boccara ; 30 mai 1984, Bull. civ. III, n° 108 ; 14 oct. 1987, Bull. civ. III, n° 169, tous arrêts de cassation). N’est-ce point trop de rigueur à l’endroit du propriétaire ? En effet, que le contrat soit imposé est une chose, mais que le juge, qui a pourtant reçu mission de le diriger (V. Marty et Raynaud, Obligations, t. I, 2e éd., n° 49), soit lui-même aussi « ligoté » que le cocontractant qui subit le forçage, en est une autre » (…). « Nous ne rentrerons pas dans les savantes exégèses des versions successives des dispositions applicables (sur lesquelles, v. M. Pédamon et B. Boccara, obs. préc. le second, très hostile et avec de bons arguments, à la jurisprudence ici analysée), sur le point de savoir si le décret autorise ou non la modification des clauses accessoires du contrat et par quelle formation du tribunal civil, mais voudrions simplement et de façon plus générale revenir à un temps où la Cour de cassation manifestait l’esprit d’équilibre dans lequel elle excelle en temps normal ; à cet effet, nous évoquerons un arrêt de la chambre des requêtes, du 21 mai 1935 (DH 1935. 379) : il était également demandé au juge de modifier une des modalités du bail renouvelé ; la décision admet ce pourvoi (sous l’empire de textes, certes moins rigides), après avoir relevé que le système légal de renouvellement « a pour but la protection des fonds de commerce et ne porte atteinte au droit du propriétaire que dans la mesure indispensable pour assurer l’exploitation du fonds ; que dans cette limite, les juges du fond ont plein pouvoir pour insérer de nouvelles clauses dans le bail ou pour modifier les anciennes, dans l’intérêt légitime des deux parties » ; or, la clause litigieuse (retrait d’un local accessoire) ne remet pas substantiellement en cause la jouissance des locaux. »

Mais ces positions doctrinales n’ont jamais fait fléchir la Cour de cassation.

D’ailleurs, le principe selon lequel « le renouvellement donne naissance à un nouveau contrat dont le contenu est identique au précédent » est désormais inscrit dans la loi (C. civ., art. 1214, al. 2 issue de la réforme du droit des contrats opérée par l’ord. n° 2016-131 du 10 févr. 2016).

Un choix discutable : la requalification

5. Dans l’espèce tranchée par l’arrêt présentement commenté, la collectivité bailleresse avait, entre autres, souhaité exclure de la désignation des locaux loués des « lieux publics » (plage, poste de secours) qui y figuraient certainement à tort : la bailleresse aurait même pu invoquer la nullité du bail commercial comme portant en partie sur le domaine public communal ! (jurisprudence constante, v. par ex., Civ. 3e, 13 sept. 2018, n° 16-19.187, AJDA 2019. 342 , note C. Regourd ; AJDI 2019. 361 , obs. P. Haas ). Elle plaidait qu’il s’agissait là d’une modification « insignifiante » parmi d’autres, mais ni le Tribunal d’Angoulême, ni la Cour d’appel de Bordeaux ne l’avaient suivie sur ce point. Et il est indiscutable que, quelque justifiées qu’elles fussent au moins pour partie, les modifications demandées dans le congé ne pouvaient être, au total, tenues pour négligeables.

Fallait-il pour autant requalifier le congé ?

C’est ce que le tribunal d’Angoulême avait décidé, par un jugement qui était peut-être pour partie dicté par un esprit d’équité, dès lors que les locataires, de bonne foi semble-t-il, avaient pu interpréter le silence de la collectivité bailleresse comme un refus de reconsidérer les conditions annoncées et en avaient conclu qu’ils n’avaient plus qu’à cesser leur exploitation et demander une indemnité.

La solution du litige eût-elle été différente si les locataires étaient restés dans les lieux. ?

Il existe peu de précédents similaires en jurisprudence. En 2000, la Cour d’appel de Versailles avait eu à connaître d’un congé qui avait « pour objet de subordonner (!) le renouvellement du bail actuellement en vigueur à l’acceptation par le signifié des nouvelles conditions suivantes » : outre la fixation d’un nouveau loyer annuel, le bailleur entendait supprimer du bail certaines parties des locaux et réduire la destination contractuelle. N’ayant pas accepté ces modifications, le preneur s’était, selon son expression, senti « acculé » à renoncer au renouvellement et avait donc pris le (gros) risque de quitter les lieux avant d’assigner le bailleur afin de voir « constater la résiliation du bail » (sic) aux torts de ce dernier et de condamnation au paiement d’une indemnité d’éviction.

La cour, peut-être animée là encore d’une volonté de protéger le locataire, en avait tiré la conséquence « que ce congé qualifié de congé avec offre de renouvellement s’analyse comme l’ont exactement relevé les premiers juges, en un congé avec refus de renouvellement, l’offre de renouvellement n’étant que d’un renouvellement partiel et différent », et avait reconnu au preneur le droit à une indemnité d’éviction (Versailles, 12e ch. - 2e sect., 6 janv. 2000, n° 3015/97). Le pourvoi du bailleur contre cet arrêt a été rejeté en ces termes par la troisième chambre civile de la Cour de cassation : « Attendu qu’ayant, par motifs propres et adoptés, constaté que le congé du 25 juin 1994 contenait l’offre du bail de locaux de superficie réduite par rapport à ceux du bail de 1986, pour des activités elles aussi réduites, donc faite en vue d’un renouvellement partiel et différent, sans qu’à aucun moment la société Guéry, dont elle a relevé qu’elle n’avait rendu les clés que le 22 décembre 1995, eût donné son accord sur ces modifications, la cour d’appel, sans dénaturation de l’acte de congé ni violation du principe de la prohibition des baux perpétuels, a pu déduire de ses énonciations et constatations que l’offre équivalait à un refus de renouvellement » (Civ. 3e, 5 déc. 2001, n° 00-12.350).

Ainsi, la Haute juridiction, dans le cadre d’un contrôle léger, approuvait en l’occurrence les juges versaillais d’avoir requalifié l’offre litigieuse en refus.

Un basculement du contrôle léger au contrôle lourd

6. Il fallait un pas supplémentaire, et un grand pas, pour énoncer « qu’un congé avec offre de renouvellement du bail à des clauses et conditions différentes du bail expiré, hors le prix, doit s’analyser comme un congé avec refus de renouvellement ouvrant droit à indemnité d’éviction ».

C’est le pas que la Cour de cassation vient de franchir, passant d’un simple contrôle de qualification (la cour d’appel « a pu déduire ») à une injonction faite aux juges du fond (« doit s’analyser »), en forme de règle générale.

Le moins étonnant n’est pas que les hauts magistrats « déduisent » cette règle d’une jurisprudence de leur chambre… qui n’exprimait rien de tel : « La Cour de cassation retient qu’un congé est un acte unilatéral qui met fin au bail par la seule manifestation de volonté de celui qui l’a délivré (Civ. 3e, 6 mars 1973, n° 71-14.747 P ; 12 juin 1996, n° 94-16.701 P, D. 1997. 273 , obs. CRDP Nancy II ). ».

Tirer ainsi du caractère unilatéral du congé la conséquence qu’il doit toujours être requalifié en refus lorsque l’offre de renouvellement est assortie de conditions, relève d’un exercice d’acrobatie !

L’impasse de la nullité

7. Dans l’espèce commentée, la question de la nullité du congé était au cœur du débat.

Les preneurs soutenaient que le congé était nul pour « absence de motifs ».

Cet argument n’avait aucune consistance au regard d’une jurisprudence bien établie.

Certes l’article L. 145-9 du code de commerce prévoit-il que le congé « doit, à peine de nullité, préciser les motifs pour lesquels il est donné ». Cette exigence de motivation a cependant été comprise de longue date par la jurisprudence comme limitée à la finalité du congé : avec offre de renouvellement, ou refus de renouvellement avec offre de principe d’une indemnité, ou refus de renouvellement avec refus d’indemnité : c’est ce dernier refus qui doit seul comporter un motif précis (motif grave et légitime, dénégation du droit au statut), à défaut duquel l’indemnité d’éviction sera due.

L’offre de renouvellement se suffit donc à elle-même et n’a pas être plus précisément motivée.

Mais en toute hypothèse, il est généralement admis que l’absence ou l’insuffisance de motifs d’un congé ne l’empêche pas de produire ses effets, à savoir mettre fin au bail et ouvrir droit pour le preneur à indemnité d’éviction, s’il en remplit les conditions (il existe des avis contraires : v. par ex., J.-L. Fraudin, J.-Cl. Procédures Formulaire, Bail commercial – contentieux – Fasc. 30, n° 166). Dans un arrêt du 28 juin 2018, la Cour de cassation a justifié cette solution par le motif que le bailleur est en toujours en droit de refuser le renouvellement du bail à la condition de payer une indemnité d’éviction (Civ. 3e, 28 juin 2018, n° 17-18.756, D. 2018. 1381 ; AJDI 2019. 121 , obs. J.-P. Blatter ). À cette occasion, la Haute juridiction rappelait que la nullité édictée par l’article L. 145-9 du code de commerce est une nullité relative qui ne peut être soulevée que par le preneur et précisait que celui-ci peut, soit renoncer à la nullité du congé en sollicitant une indemnité d’éviction et en se maintenant dans les lieux dans l’attente de son paiement en application de l’article L. 145-28 du même code, soit s’en prévaloir en optant pour la poursuite du bail, de sorte que le maintien du preneur dans les lieux ou son départ est sans incidence sur les effets du congé irrégulier.

De son côté, la Cour d’appel d’Orléans, dans l’espèce commentée, avait considéré que les modifications demandées par la bailleresse dans le congé constituaient des « irrégularités » qui selon elle justifiaient l’annulation de celui-ci. Mais elle n’en tirait pas la conséquence logique, qui aurait été de juger que le bail était toujours en cours…

La Cour de cassation a donc choisi, sans doute à juste titre, d’écarter la voie de la nullité.

Une jurisprudence peu cohérente

8. Il est néanmoins permis de s’interroger sur la cohérence de cette jurisprudence avec une décision rendue par la même troisième chambre le 12 septembre 2019. Il s’agissait non d’un congé avec offre de renouvellement mais de la notification par un bailleur de son droit de repentir assortie d’une proposition de substitution d’un loyer fixe à la clause-recettes. La Cour d’appel de Rennes avait jugé à bon droit qu’il n’entre pas dans les pouvoirs du juge de modifier une telle clause et qu’il y avait donc lieu de la reconduire dans le bail renouvelé, cette proposition de modification d’une condition du renouvellement du bail n’étant cependant pas, selon elle, de nature à entacher la validité du repentir. Mais la Cour de cassation ne l’a pas entendu ainsi et a cassé l’arrêt au motif que l’exercice par le bailleur de son droit de repentir emporte renouvellement du bail et ne peut comporter la proposition d’un nouveau bail incluant une modification substantielle des modalités de fixation du loyer (Civ. 3e, 12 sept. 2019, n° 18-18.218, D. 2020. 1541, obs. M.-P. Dumont ; AJDI 2019. 899 , obs. J.-P. Blatter ). Le message était clair : le droit de repentir devait être annulé et non pas requalifié.

Cet arrêt avait été rendu notamment au visa de l’article L. 145-58 du code de commerce, selon lequel (lorsque le propriétaire exerce son droit de repentir) les conditions du renouvellement du bail, « en cas de désaccord, sont fixées conformément aux dispositions réglementaires prises à cet effet ». En clair, en matière d’exercice du droit de repentir comme en matière d’offre de renouvellement, seul le loyer peut être modifié par le juge en l’absence d’accord des parties sur d’autres modifications au bail précédent.

Et la solution était d’autant plus sévère qu’en l’occurrence, le bailleur s’était limité à « proposer » l’abandon de la clause-recettes pour un loyer fixe, proposition qui au demeurant, eu égard à l’impossibilité (en l’absence de clause spécifique de recours au juge) de faire fixer par le juge le loyer d’un bail comportant une part variable, pouvait être avantageuse pour le preneur.

L’intention de l’auteur du congé ne mérite-t-elle pas plus d’égards ?

9. Dès lors que, dans l’espèce commentée, la nullité n’était encourue sur aucun fondement, existait-il une autre solution que la requalification en congé-refus du congé comportant des conditions nouvelles ?

Cette requalification peut apparaître de prime abord comme choquante en ce qu’elle méconnaît l’intention de la collectivité bailleresse.

Celle-ci entendait en effet assurément renouveler le bail des époux restaurateurs, et ces derniers eux-mêmes avaient dans un premier temps exprimé la même volonté.

La Cour de cassation a montré par le passé qu’elle hésite à prendre en compte l’intention de l’auteur d’un acte destiné à mettre fin au bail.

À titre d’exemple, dans une affaire où l’huissier missionné par le preneur avait par erreur notifié un congé au lieu d’une demande de renouvellement (!) et avait ensuite délivré un acte annulant et remplaçant le premier, la Haute juridiction a censuré une cour d’appel qui avait jugé « que l’intention de cette société n’a jamais été de donner congé à son bailleur mais au contraire de solliciter le renouvellement du bail commercial » (…) « et que le congé du 3 juin 2003, contraire à l’intention de la société Mac Donald’s et délivré par la SCP en dehors de tout mandat pour ce faire, est un acte inexistant qui n’a pas engagé le locataire », alors que « seuls affectent la validité d’un acte de procédure, soit les vices de forme faisant grief, soit les irrégularités de fond limitativement énumérées à l’article 117 du code de procédure civile » (Civ. 3e, 30 sept. 2009, n° 08-13.756, D. 2009. 2424, obs. Y. Rouquet ; AJDI 2010. 217 , obs. J.-P. Blatter ; RTD com. 2009. 691, obs. J. Monéger ; 5 juin 2013, n° 12-12.065, D. 2013. 1473, obs. Y. Rouquet ; RTD civ. 2013. 665, obs. R. Perrot ).

À l’inverse, par un arrêt du 3 juillet 2013, elle a approuvé une cour d’appel d’avoir jugé qu’alors qu’un congé, dont la régularité formelle n’était pas contestée, avait été délivré pour une date différente de l’échéance prévue au bail et pour le dernier jour du trimestre civil, il « traduisait néanmoins la volonté non équivoque du preneur de mettre fin au bail à l’expiration de la première période triennale » (Civ. 3e, 3 juill. 2013, n° 12-17.914, D. 2013. 1742 ; ibid. 2014. 1659, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; AJDI 2014. 34 , obs. J.-P. Blatter ).

La sincérité de l’intention du bailleur est d’ailleurs prise en compte dans d’autres situations : ainsi, dans l’appréciation de la validité d’un congé délivré sur le fondement de l’article L. 145-18 du code de commerce pour démolir l’immeuble. La loi elle-même a égard à l’intention de l’auteur de l’acte (C. com., art. L. 145-12 et L. 145-58).

Mais par l’arrêt commenté, la Cour de cassation ne laisse pas la moindre place à la recherche de l’intention du bailleur.

La condamnation sans nuance d’une pratique souvent justifiée

10. Plus grave encore, par sa généralité, le motif de cassation tel que formulé paraît condamner une pratique qui, notamment depuis l’entrée en vigueur de la loi Pinel, consistait à préciser, dans le congé, que le renouvellement aura lieu « moyennant », « sous réserve » ou « à condition » d’adaptation du bail à de nouvelles dispositions légales ou réglementaires impératives édictées au cours du bail précédent !

L’on songe par exemple à un bail qui prévoyait des charges forfaitaires ou un loyer « triple net » : l’offre de renouvellement tombera-t-elle sous le coup d’une requalification si elle est assortie d’une proposition de nouvelle clause conforme à l’article L. 145-40-2 du code de commerce, dont dépendra la refacturation des charges au preneur, sous peine d’effacement de la clause ?

La solution adoptée en termes aussi généraux peut encore produire des effets délétères chaque fois qu’une offre de renouvellement s’accompagne de propositions de nouvelles stipulations seulement destinées à purger le contrat de clauses illicites que contenait le bail expiré (clause d’indexation, clause de solidarité, etc).

Il arrive même que le bailleur propose des modifications qui peuvent être favorables au preneur : par exemple, lorsqu’il offre à son locataire de substituer à l’avenir, dans une clause d’indexation assise sur l’indice du coût de la construction, l’indice des loyers commerciaux ou l’indice des loyers d’activités tertiaires…

Dans toutes ces hypothèses, le congé sera-t-il systématiquement analysé comme un refus de renouvellement ?
L’arrêt du 11 janvier 2024 n’autorise malheureusement pas, en l’état, de distinguer selon l’intensité ou la finalité des propositions de modifications dont l’offre de renouvellement est assortie.

Des conséquences potentiellement redoutables pour les deux parties

11. On le voit, en privant ainsi le bailleur de toute possibilité de demander dans son congé une adaptation de la relation locative quand il manifeste pourtant clairement l’intention de la renouveler, l’arrêt commenté risque de créer en pratique des situations pour le moins dangereuses voire explosives.

Le bailleur se trouve ainsi pris entre le marteau de l’interdiction d’assortir le congé de propositions autres que le prix, et l’enclume de l’interdiction faite au juge d’adapter les clauses contrat même lorsqu’il s’agit de les rendre conformes à l’ordre public : deux interdictions qui ne reposent que sur… des décisions de la Cour de cassation – et aussi sur la carence du législateur qui, en adoptant la loi Pinel, a négligé d’offrir un outil permettant d’adapter judiciairement les baux en renouvellement aux nouvelles dispositions impératives.

Mais le risque pourrait aussi peser sur le preneur dans l’hypothèse où, après s’être vu signifier un congé avec offre de renouvellement visant l’article L. 145-9 du code de commerce (comme ce fut le cas dans l’espèce commentée), ni lui, ni le bailleur ne prendrait d’initiative (pour faire fixer judiciairement le loyer ou contester le congé) dans le délai de deux ans à compter de sa date d’effet : en principe, par l’effet de la prescription, le bail sera renouvelé de plein droit aux mêmes clauses et conditions. Mais si le même congé a comporté une demande ou une proposition de nouvelles conditions, deux situations pourraient se produire :

  • d’un côté, comme dans l’affaire commentée, le preneur pourrait sans attendre quitter les locaux, demander la requalification du congé en congé-refus, et revendiquer opportunément une indemnité d’éviction ;
  • de l’autre côté, le bailleur lui-même, une fois acquise la prescription biennale, pourrait être tenté de faire juger, en se prévalant de cette nouvelle jurisprudence, que son acte doit s’analyser en un congé-refus, dans l’espoir de priver le preneur de tout droit à maintien dans les lieux et à indemnité d’éviction…

Faut-il redouter qu’un bailleur instrumentalise ainsi la solution de l’arrêt du 11 janvier 2024 en délivrant une offre de renouvellement soumise à des conditions nouvelles puis s’ingénie à faire « traîner » les négociations jusqu’à la prescription, le preneur se croyant sécurisé par l’offre de renouvellement ? Dès lors que le congé aura été valable en la forme et aura notamment reproduit le dernier alinéa de l’article L. 145-9 du code de commerce (qui prévoit le délai de contestation du congé et de saisine du tribunal), le preneur ne pourra en cette hypothèse invoquer la nullité du congé (même par voie d’exception) : il devra donc quitter les lieux loués sans espoir d’indemnité. L’on peine donc à voir ce qui pourrait alors empêcher une situation aussi aberrante de se produire, sauf à imaginer d’opposer la prescription de l’article L. 145-60 du code de commerce à la demande de requalification du congé qui serait également formée plus de deux ans après sa date d’effet…

12. Dans la même « logique » de raisonnement, comment apprécier une demande de renouvellement par laquelle le preneur solliciterait une modification de certaines conditions du bail autres que le loyer ?

Si une telle demande assortie de nouvelles conditions n’est pas tenue pour nulle, sera-t-elle requalifiée en… congé du preneur ? La question peut sembler baroque, mais puisque la demande de renouvellement a pour effet, comme le congé, de mettre fin au bail en cours, le doute est permis si l’on s’en tient à la formulation sans nuance de l’arrêt commenté…

Ou encore, le bailleur pourrait-il soutenir qu’en présence d’une telle demande, le délai de trois mois pour y répondre, prévu par l’article L. 145-10 du code de commerce, n’a pu commencer à courir ?

13. En tout cas, le message envoyé par la Cour suprême est clair : le congé doit être « pur et simple ».

Qu’il nous soit donc permis de penser que la Cour de cassation n’a pas mesuré toutes les conséquences de sa décision.

Des issues de secours ?

14. Désormais, si un bailleur, ou un preneur lorsqu’il demande le renouvellement, entend modifier des clauses et conditions autres que le loyer, il aura tout intérêt à le faire savoir autrement que dans l’acte destiné à renouveler le bail : en proposant à son cocontractant d’ouvrir des discussions sur de nouvelles conditions, et en réservant sa décision sur la suite à donner aux négociations en fonction de leur issue.

N’aurait-il pas été plus efficient, et plus respectueux de l’intention de l’auteur de l’acte, de considérer que les modifications demandées par le bailleur seront seulement tenues pour inefficaces et inopposables au preneur en l’absence d’acceptation par ce dernier, et de ne retenir que l’offre de renouvellement en son principe, puisqu’encore une fois le renouvellement a lieu aux mêmes clauses et conditions sauf meilleur accord des parties ?

Le moment est peut-être venu, aussi, de poser de nouveau, comme l’avaient fait autrefois Bruno Boccara et Pierre-Yves Gautier (v. supra, 4), la question de la pertinence du maintien de la jurisprudence qui cantonne strictement le pouvoir du juge à la fixation du loyer.

Certains magistrats semblent d’ailleurs prêts à franchir le pas. Ainsi, la Cour d’appel de Pau a pu rendre le 19 octobre 2021 (Pau, 19 oct. 2021, n° 21/00274, JCP E 2022. 1062, obs. P.-H. Brault.) un arrêt assez audacieux par lequel elle a relevé que « le principe selon lequel le bail se renouvelle aux clauses et conditions du bail expiré, sauf désaccord concernant le loyer, est remis en cause par l’application de l’article L. 145-40-2 du code de commerce, issu de la loi Pinel, et de l’article R. 145-35 issu du décret pris pour son application », et que « dès lors, il appartient au juge du fond d’interpréter le contrat et la commune intention des parties, pour dire si, en l’absence d’inventaire précis et limitatif des catégories de charges, impôts, taxes et redevances notifié au preneur à la date d’effet du congé avec offre de renouvellement, les parties ont entendu renouveler le bail aux conditions antérieures, s’agissant des charges récupérables sur le preneur et de préciser ce que recouvrent ces charges et ce qu’elles ne peuvent inclure au regard des nouvelles dispositions de l’article R. 145-35 précité ».

Il ne s’agit évidemment pas d’ouvrir la boîte de Pandore de l’immixtion du juge dans le contrat. Mais seulement de lui permettre, dans le strict respect des prévisions des parties, d’adapter certaines clauses initialement licites mais mises à mal par un ordre public nouveau.

Le législateur lui-même n’a-t-il pas ouvert une voie encore plus large, et même périlleuse diraient certains, en conférant au juge le pouvoir d’adapter ou d’anéantir le contrat dans les cas relevant de l’article 1195 du code civil ?