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Le droit en débats

Transparence de la vie publique, les institutions ordinales seraient-elles hors la loi ?

Par Dominique Piau le 24 Janvier 2017

La question des conflits d’intérêts1, du point de vue de leur prévention et de leur gestion est d’une actualité brulante qui fait l’objet de plusieurs textes récents. C’est ainsi qu’à la suite de l’article 2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, qui vient définir les conflits d’intérêts comme « toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction »2, cette définition, ainsi que les mécanismes de prévention et de traitement en la matière, est désormais reprise depuis l’année 2016 aux articles 25 bis de la loi du 13 juillet 19833, L. 131-3 et 231-4 du code de justice administrative4, L. 120-5 du code des juridictions financières5 et 7-1 de l’ordonnance du 22 décembre 19586 ainsi qu’en dernier lieu, par la loi du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes7.

La loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique dite Sapin II8 est venue parachever les évolutions en matière de transparence et de préventions de conflits d’intérêts, notamment par la mise en place d’un registre de transparence qui entrera en vigueur le 1er juillet 2017.

Pour autant, les institutions ordinales apparaissent étrangement absentes du mouvement alors même que la question se pose avec acuité, notamment au sein de la profession d’avocat.

En l’état, les élus délégués, experts, représentants, permanents salariés ou non œuvrant pour ces institutions ne se sont pas vus, sauf exception parisienne, appliquer cette saine règlementation.

Cette situation doit-elle – et peut-elle – perdurer ? Rien n’est moins sûr.

En effet, une évolution en la matière a déjà été amorcée, au sein du barreau de Paris, depuis le rapport de Laurent Pettiti en 20059, et l’on pourrait longuement revenir ici sur les longs débats, et la difficile mise en œuvre sous les bâtonnats successifs de Christiane Féral-Schuhl10 et de Pierre-Olivier Sur, du régime des incompatibilités des mandats ordinaux11, qui ont contribué à assainir, quelque peu, la situation qui demeure perfectible.

Il est ainsi parfaitement inconcevable que des élus, anciens élus, délégués, experts, représentants ou permanents salariés ou non, qui œuvrent pour le compte de nos institutions ordinales, y compris nationale, exercent également, directement ou indirectement, une activité de conseil ou d’assistance au profit de confrères devant ces mêmes institutions ordinales ou les juridictions de recours, ou encore utilisent des informations privilégiées obtenues dans le cadre de leurs mandats à des fins qui ne sont pas les leurs.

Ce n’est ici que l’expression la plus élémentaire de l’application des règles applicables en matière de conflits d’intérêts qui sont malheureusement loin d’être pleinement appliquées au sein des institutions de la profession.

La loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique impose pourtant la mise en œuvre d’un mécanisme de prévention des conflits d’intérêts et la transparence dans la vie publique, qui passe non seulement par une obligation de prévention et traitement des situations de conflits d’intérêts12 mais encore par une obligation de déclaration d’intérêts et de situation patrimoniale à charge de certaines personnes13 et, enfin, prévoit des incompatibilités ou limitations d’activité postérieurement à la cessation des fonctions en cause notamment dans le cadre de l’exercice de la profession d’avocat14. Ce qui conduirait logiquement à imposer des incompatibilités similaires tant durant l’exercice du mandat et des fonctions qu’à l’issue de ceux-ci15.

C’est d’ailleurs précisément ce que prévoit expressément le règlement intérieur du barreau de Paris en son article P. 41.10.

Au demeurant, au-delà de la seule application de nos règles professionnelles, il y a matière à s’interroger sur l’application même de la loi du 11 octobre 2013 à nos institutions ordinales.

En effet, et en premier lieu, la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique définit son champ d’application comme visant : « […] les personnes […] chargées d’une mission de service public16 », lesquelles « exercent leurs fonctions avec dignité, probité et intégrité et veillent à prévenir ou à faire cesser immédiatement tout conflit d’intérêts »17.

Or le Conseil d’État, dans son avis du 22 octobre 2015, a considéré que le Conseil national des barreaux, les ordres d’avocats et les CRFPA devaient être regardés comme des organismes chargés de la gestion d’un service public administratif au sens de l’article 1er de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration18 conduisant à l’application du principe « silence vaut acceptation » aux décisions du CNB19, des ordres d’avocats20 et des CRFPA.

Cette analyse n’était, au demeurant, pas nouvelle.

Le Conseil d’État a ainsi considéré, de longue date mais sans, il est vrai, se prononcer expressément quant à leur nature même, que les ordres professionnels concourraient au fonctionnement du service public du fait de l’organisation et du contrôle de la profession règlementée qui leur est confié par l’État21, reconnaissant les ordres d’avocats comme des personnes privées chargées d’une mission de service public22.

Il conviendra, au demeurant, d’en décliner les conséquences pour nos institutions tant au regard des textes existants que des textes à venir et ce, notamment quant à l’ouverture de l’accès aux données dans le cadre de l’open data et la pleine application du code des relations entre le public et l’administration23.

Mais surtout, dès lors que la qualité d’autorité administrative est ainsi reconnue aux institutions ordinales, l’on ne voit pas ce qui justifierait qu’elles soient exclues du champ d’application de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, laquelle leur est en réalité pleinement applicable.

La question s’accompagne, par ailleurs, d’une autre : doit-on assimiler les permanents de ces mêmes institutions à des : « agents contractuels (…) de droit privé d’une autorité administrative indépendante ou d’une autorité publique indépendante […] » au sens de l’article 25 nonies de la loi du 13 juillet 198324, ce qui tendrait à leur voir appliquer, sans préjudice des dispositions spécifiques qui peuvent leur être applicables, les dispositions relatives à la déontologie prévue aux articles 25 à 25 sexies et 25 octies, et notamment le contrôle pénal et déontologique25 en cas de « pantouflage » de l’autre côté du miroir26 qui leur impose, en règle générale, de s’abstenir de tout contact à des fins professionnelles avec leur ancienne administration pendant une durée de trois ans.

À défaut d’assimilation, plus ardue ici, les mêmes règles devraient trouver à s’appliquer par analogie. Car, ici encore, le cas n’est pas d’école.

La pleine application de ces dispositions aux institutions ordinales apparaît aujourd’hui comme une impérieuse nécessité afin de mettre un terme aux dérives, quoique marginales mais inacceptables, que l’on peut constater en la matière.

Il appartient à la profession de s’en saisir, sauf à devoir se voir imposer demain un contrôle par un organisme indépendant, sur le fondement des textes déjà existant ou dans le cadre d’une extension de leur champ d’application.

L’efficience même de la maîtrise de notre déontologie implique, plus que jamais, que l’on s’interroge sur nos règles de bonne gouvernance, y compris et surtout sur le plan éthique, aux fins de conserver la possibilité de décider des modalités d’administration de la profession, de la maîtrise de l’inscription au tableau ou de l’exercice des membres27.

 

 

 

 

1. L. Athlan, T. Baudesson, C.-H. Boeringer, J.-C. Savouré, J.-Y. Trochon, Les conflits d’intérêts dans l’entreprise, LexisNexis, 2016. 
2. L. n° 2013-907, 11 oct. 2013 relative à la transparence de la vie publique, art. 2.
3. L. n° 83-634, 13 juill. 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Loi dite loi Le Pors, art. 25 bis ; créé L. n° 2016-483, 20 avr. 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, art. 2.
4. L. n° 2016-483, 20 avr. 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, art. 2, art. 12 et 13.
5. L. n° 2016-483, art. 2, art. 15.
6. Ord. n° 58-1270, 22 déc. 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, art. 7-1 ; créé L. orga. n° 2016-1090, 8 août 2016 relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature, art. 26. 
7. L. n° 2017-55, 20 janv. 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes, art. 9.
8. L. n° 2016-1691, 9 déc. 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
9. Rapport de L. Pettiti, Conseils de l’Ordre de Paris des 13 et 20 déc. 2005, L’éthique du MCO, Bull. barr. Paris, 9 janv. 2009, n° 01/2009. 
10. Rapport d’A. Weber au sujet des recommandations faites aux MCO, AMCO et aux délégués du bâtonnier relatives à l’assistance d’un confrère devant une commission ordinale ou déontologique ou dans une procédure d’arbitrage, Conseils de l’Ordre des 5 et 19 févr. 2013, Bull. barr. Paris, 26 févr. 2013, n° 07/2013, RIBP, art. P. 41.10.
11. V. H. Ader, A. Damien, Règles de la profession d’avocat, sous la dir. de S. Bortoluzzi, D. Piau et Th. Wickers, 15e éd., Dalloz, 2016, nos 433.211 s.
12. L. n° 2013-907, art. 2 ; ord. n° 58-1270, art. 7-1 ; L. n° 83-634, art. 25 bis.
13. L. n° 2013-907, art. 4 et 11 ; ord. n° 58-1270, art. 7-2 et 7-3 ; L. n° 83-634, art. 25 ter.
14. L. n° 2013-907, art. 23 ; ord. n° 58-1270, art. 8 à 9-2 ; L. n° 83-634, art. 25 septies et 25 octies I et II.
15. V. H. Ader, A. Damien, Règles de la profession d’avocat, préc., nos 433.13 s. (HATVP) et 433.61 s. (CDFP).
16. Sur cette notion, v. Étude du Conseil d’Etat, 19 déc. 2013 relative à la liberté religieuse, et la jur. citée.
17. L. n° 2013-907, art. 1er
18. Avis CE, sec. int., 22 oct. 2015, n° 390397, p. 5.
19. Décr. n° 2015-1451, 10 nov. 2015 relatif aux exceptions à l’application du principe « silence vaut acceptation » sur le fondement du II de l’article 21 de la loi n° 2000-321 du 12 avr. 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations (organismes chargés d’une mission de service public).
20. Décr. n° 2015-1458, 10 nov. 2015 relatif aux exceptions à l’application du principe « silence vaut acceptation » sur le fondement du II de l’article 21 de la loi n° 2000-321 du 12 avr. 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations (ordres professionnels).
21. CE 2 avr. 1943, Bouguen, D. 1944. 52 ; GAJA n° 55 ; 2 févr. 1945, Moineau, D. 1945. 269 ; 29 juill. 1950, Comité de défense des libertés professionnelles des experts comptables brevetés par l’État, RDP 1951. 212.
22. CE 7 févr. 1975, Ordre des avocats de Lille ; 6 juin 1986, Ordre des avocats de Pontoise.
23. Ord. n° 2015-1341, 23 oct. 2015 relative aux dispositions législatives du code des relations entre le public et l’administration.
24. L. n° 83-634, art. 25 nonies ; L. n° 2016-483, art. 11. 
25. L. n° 83-634, art. 25 quinquies ; L. n° 2016-483, art. 5.
26. V. H. Ader, A. Damien, Règles de la profession d’avocat, préc., nos 433.61 s. (CDFP).
27. D. Piau, Rapport sur la réforme des institutions de la profession, UJA de Paris, 2008 ; D. Piau, Déontologie 2.02.0 : le retour des principes essentiels, Dalloz Avocats 2016. 243 .