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Alors que le quinquennat de l’actuel président de la République française se termine, Dalloz actualité a souhaité retracer, à travers une série d’entretiens, les grandes évolutions juridiques à l’œuvre durant ces cinq dernières années sous l’effet conjugué de l’action des pouvoirs exécutif et parlementaire, voire des décisions de justice, et réfléchir aux évolutions à venir. Focus sur le droit civil économique.
le 25 mars 2022
Le droit des procédures collectives ne fera pas l’objet de développement particulier dans le cadre de cet entretien, l’évolution de la matière étant abordée dans un entretien dédié à paraître dans les prochains jours.
Le droit civil économique (sur cette dénomination, v. par ex. J.-L. Aubert et E. Savaux, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, 18e éd., Sirey, 2020, p. 326 et 334), entendu comme englobant les biens, les obligations ainsi que les sûretés, n’aura pas été en reste du côté des réformes opérées tout au long du quinquennat qui s’achève : loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations ; ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés ; ordonnance n° 2021-1247 du 29 septembre 2021 relative à la garantie légale de conformité pour les biens, les contenus numériques et les services numériques ; ordonnance n° 2021-1734 du 22 décembre 2021 transposant la directive 2019/2161 du Parlement européen et du Conseil du 27 novembre 2019 et relative à une meilleure application et une modernisation des règles de l’Union en matière de protection des consommateurs ; loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante ; sans négliger leurs décrets d’application, ou encore, notamment, des décrets n° 2020-395 du 3 avril 2020 et n° 2020-1422 du 20 novembre 2020, lesquels ont instauré l’acte notarié à distance puis la procuration notariée à distance, ni même les multiples textes dérogatoires intervenus à l’occasion de l’état d’urgence sanitaire.
La plupart de ces réformes sont du reste relativement récentes, voire très récentes. L’appréciation de l’essentiel de leur portée restant encore à évaluer, alors que notamment certains dispositifs issus de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, principal bouleversement en droit civil économique du précédent quinquennat, continuent de faire naître certaines innovations dans les pratiques contractuelles.
Par ailleurs, certaines réformes étaient attendues et n’ont pu aboutir sous ce quinquennat : la réforme du droit de la responsabilité civile (la dernière proposition en date étant celle enregistrée à la présidence du Sénat le 29 juillet 2020), celle du droit des contrats spéciaux (sur laquelle l’Association Henri Capitant a réalisé une offre de loi, une autre réflexion, dans le cadre d’un groupe de travail présidé par le professeur Philippe Stoffel-Munck étant en cours) ou encore celle du droit des biens (le dernier projet datant de 2009, sous l’égide de l’Association Henri Capitant et l’autorité du professeur Hugues Périnet-Marquet).
Après cinq années de réforme, le droit civil économique est-il devenu plus lisible, accessible, efficace et, au final, plus attractif ? Analyse par Louis Deverre, notaire associé à Rouen, Frédéric Kieffer, avocat à la Cour, président d’honneur de l’AAPPE, chargé d’enseignement à l’université Côte d’Azur, et Jean-Denis Pellier, professeur à l’Université de Rouen, directeur du Master 2 Droit privé général.
La rédaction : La lisibilité des matières du droit civil économique est-elle améliorée ?
Jean-Denis Pellier : La lisibilité est la « qualité de ce qui est lisible, aisé à lire » (Le nouveau Littré, Garnier, 2006). À cet égard, des efforts considérables ont été réalisés dans le domaine du droit des sûretés, la lisibilité de celui-ci sortant indéniablement améliorée de la réforme opérée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 (entrée en vigueur le 1er janv. 2022, pour la plupart de ses dispositions) : d’une part, le code civil redevient le siège du droit commun, tant en matière de cautionnement (v. P. Simler, Réforme du cautionnement, JCP 2021, suppl. au n° 43-44, p. 9) que de gage (v. C. Séjean-Chazal, Le gage du code civil retrouve ses lettres de noblesse, JCP 2021, suppl. au n° 43-44, p. 40). D’autre part, les privilèges immobiliers spéciaux ont été transformés en hypothèques légales spéciales, ce qui correspond à leur nature profonde et permet en définitive de rendre le droit des sûretés réelles immobilières plus cohérent (v. C. Hélaine, Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Épisode final) : les sûretés réelles immobilières, Dalloz actualité, 24 sept. 2021 ; M. Grimaldi et C. Gijsbers, Les sûretés sur les immeubles, D. 2022. 294 , n° 5 ; J.-D. Pellier, Réforme du droit des sûretés par l’ordonnance du 15 septembre 2021 : les sûretés réelles immobilières, Lexbase Hebdo éd. affaires n° 691, 7 oct. 2021, n° 3 ; C. Séjean-Chazal, Cure de jouvence pour l’hypothèque, JCP, suppl. au n° 43-44, 25 oct. 2021, p. 60, n° 8).
En revanche, on ne peut pas en dire autant dans le domaine du droit de la consommation : l’ordonnance n° 2021-1247 du 29 septembre 2021 relative à la garantie légale de conformité pour les biens, les contenus numériques et les services numériques (applicable depuis le 1er janvier 2022) a certes fidèlement transposé les directives du 20 mai 2019 relatives à certains aspects concernant les contrats de vente de biens et les contrats de fourniture de contenus numériques et de services numériques, mais au prix d’une dénaturation de certains textes, en particulier de l’article liminaire du code de la consommation, qui est devenu, à la faveur de cette transposition, un article « fourre-tout » (v. à ce sujet J.-D. Pellier, La dénaturation de l’article liminaire du code de la consommation. À propos de l’ordonnance n° 2021-1247 du 29 septembre 2021 relative à la garantie légale de conformité pour les biens, les contenus numériques et les services numériques, D. 2021. 1873 ).
Le phénomène est d’ailleurs aggravé par l’ordonnance n° 2021-1734 du 22 décembre 2021 transposant la directive 2019/2161 du Parlement européen et du Conseil du 27 novembre 2019 et relative à une meilleure application et une modernisation des règles de l’Union en matière de protection des consommateurs, qui entrera en vigueur le 28 mai 2022 (v. J.-D. Pellier, Regard sur la transposition de la directive Omnibus, RDC n° 2022-2, à paraître).
Les dispositions relatives à l’entreprise individuelle souffrent également d’un manque de lisibilité, la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante ayant généralisé la séparation des patrimoines de l’entrepreneur individuel (C. com., art. L. 526-22 s.) tout en maintenant les dispositions relatives à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL), dont le statut est toutefois appelé à s’éteindre progressivement (v. J.-D. Pellier, Le nouveau statut de l’entrepreneur individuel, JCP 2022. 345 ; T. Revet, La désubjectivation du patrimoine, D. 2022. 469 ; J.-N. Stoffel, Vers l’extinction du statut d’EIRL, Lexbase Hebdo éd. affaires, n° 709, 17 mars 2022).
Louis Deverre : Il faut souligner effectivement les efforts réalisés par le législateur dans le cadre de la réforme du droit des sûretés, la lisibilité de la matière en sortant indiscutablement gagnante : regroupement au sein du code civil des règles applicables au cautionnement ; suppression de certains gages spéciaux devenus désuets (gage commercial, gage de stock, warrant hôtelier, etc.) ; centralisation des inscriptions mobilières en un registre unifié (à l’exception du gage de véhicule automobile).
Plus spécifiquement, l’activité notariale restant principalement liée à l’immobilier, la transition entre les privilèges immobiliers spéciaux et les hypothèques légales spéciales s’est effectuée de manière parfaitement limpide, en plus de répondre à une logique évidente.
Concernant en revanche la récente loi en faveur de l’activité professionnelle indépendante, il est regrettable qu’elle ne soit pas plus lisible. Il est en effet à prévoir de futures difficultés pour appréhender certaines situations – tant pour le praticien que pour la personne concernée – à l’aube de la cohabitation entre le nouveau statut de l’entrepreneur individuel, et le maintien des entreprises individuelles à responsabilité limitée, cohabitation à laquelle s’ajoutent les multiples exceptions que les lois nouvelles et anciennes offrent.
Frédéric Kieffer : Globalement, les réformes opérées pendant le quinquennat en matière de droit civil économique répondent à l’objectif recherché d’une plus grande lisibilité. C’est le cas pour la réforme des sûretés puisqu’elle met fin à l’éparpillement devenu insensé des textes régissant le cautionnement ou le gage et les régimes spéciaux du gage ou qui s’y apparentaient (gage commercial, warrants, nantissement sur le matériel et l’outillage, etc.), ajuste et précise le régime de certaines sûretés déjà réformées avec l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 (le nantissement de créance qui se voit doté d’un droit de rétention et d’un droit exclusif, etc.), entérine pour les sûretés réelles immobilières (hors privilèges généraux) la corrélation entre l’inscription de la sûreté et le rang.
Cependant, certains regrets subsistent pour la lisibilité, ainsi le régime du gage sur immeuble par destination et sa concurrence avec celui de l’hypothèque ne répond pas à cet objectif ; de même, le maintien du caractère occulte de l’hypothèque légale spéciale de la copropriété, surtout qu’elle couvre depuis le 1er juin 2020, les créances de toute nature (ord. n° 2019-1101 du 30 oct. 2019 portant réforme du droit de la copropriété des immeubles bâtis), voire la détermination de la nature commerciale du cautionnement, qui aurait pu être intégrée dans le code civil plutôt que dans le code de commerce (C. com., art. L. 110-1, 11°).
En outre, la volonté de rendre trop lisible s’accompagne souvent d’un appauvrissement du vocabulaire ce qui pourrait s’avérer contre-productif (antichrèse, cofidéjusseur, caution réelle, etc.).
Pour une autre illustration des regrets, les dispositions relatives à l’entreprise individuelle issues de la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante succédant au régime de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) coexistent avec les effets de l’insaisissabilité conventionnelle ou légale qui rendent la détermination du patrimoine professionnel bien délicate (D. Sahel, Les biens qui échappent à la procédure collective, LGDJ, coll. « Thèses », t. 27), frein s’il en était à la lisibilité.
La rédaction : L’accessibilité des matières du droit civil économique est-elle assurée ?
Jean-Denis Pellier : L’accessibilité est proche de la lisibilité, mais s’en distingue : il s’agit de la « qualité de ce qui est accessible », c’est-à-dire, au sens premier du terme, « où l’on peut arriver, pénétrer » (Le nouveau Littré, Garnier, 2006). En matière juridique, l’accessibilité renvoie naturellement à l’intelligibilité de la règle pour le justiciable.
À cet égard, là encore, des efforts certains ont été accomplis en matière de sûretés, le rapport au président de la République accompagnant l’ordonnance du 15 septembre 2021 soulignant à juste titre que « les dispositions non modifiées depuis 1804 ne reflètent plus la réalité du droit positif. Par ailleurs, le style rédactionnel des auteurs du code civil n’est plus accessible ni aux citoyens ni aux acteurs de la vie économique, en particulier ceux venant de l’étranger. La réforme rend ces dispositions plus simples et plus explicites par une reformulation de certains articles et l’utilisation d’un vocabulaire plus adapté. La réécriture des règles sur le droit de préférence, le droit de suite et la purge en matière hypothécaire en témoigne ».
Il est vrai que les dispositions du code de 1804 (tout particulièrement en matière hypothécaire) étaient devenues difficiles d’accès. Il n’est pas certain, pour autant, que la règle soit plus accessible pour les citoyens. La volonté de rendre les règles plus accessibles est parfois même contre-productive, ainsi qu’en témoigne, toujours dans le domaine des sûretés, la suppression du terme « antichrèse » au profit de celui du gage immobilier, qui avait été réalisée par la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures (v. à ce sujet L. Andreu, Faut-il renommer l’antichrèse ?, LPA 2009, n° 45 ; P. Crocq, Des chrysanthèmes pour l’antichrèse ? À propos de la mort annoncée de l’antichrèse, RLDC 2008/55, n° 3240) et qui n’a pas été remise en cause par la nouvelle réforme, contrairement aux vœux de la Commission présidée par le professeur Michel Grimaldi. L’antichrèse, en effet, n’a rien d’un gage puisqu’elle entraîne nécessairement la dépossession du constituant (v. à ce sujet J.-D. Pellier, Retour sur le gage immobilier à la lumière de la nouvelle réforme du droit des sûretés, JCP E 2021. 712).
En droit de la consommation, il n’est pas certain, une fois de plus, que les textes soient plus accessibles pour les justiciables : peu avant le début du quinquennat de M. Macron, le gouvernement avait déjà entrepris, à la faveur de la recodification du code de la consommation, de séparer les règles de leurs sanctions, celles-ci figurant dans un titre à part (v. J.-D. Pellier, Code de la consommation, saison 2, CCC, août-sept. 2017, focus 52), gonflant ainsi considérablement le volume du code de la consommation. La transposition des directives précitées ne fait qu’accroître le phénomène.
Il en va d’ailleurs de même en matière d’entreprise individuelle, les dispositions relatives à l’EIRL (C. com., art. L. 526-6 s.) étant appelées à coexister pendant un certain temps encore avec les nouvelles règles relatives à l’entrepreneur individuel (C. com., art. L. 526-22 s.).
Louis Deverre : Une illustration parfaite de cette volonté d’améliorer l’accessibilité du droit civil économique est la mise en place du registre des sûretés mobilières. Une aubaine et une facilité pour le praticien, dont les recherches antérieures d’informations sur ces sûretés n’étaient parfois pas aisées. L’accessibilité s’en trouve d’autant améliorée que le décret d’application n° 2021-1887 du 29 décembre 2021 a prévu la mise en place d’un portail national par les greffiers des tribunaux de commerce, dont la consultation sera électronique et gratuite (v. F. Kieffer, Réforme des sûretés : registre des sûretés mobilières et autres opérations connexes, Dalloz actualité, 7 janv. 2022). Il s’agit d’une très bonne initiative, dont la réalisation effective doit intervenir au plus tard le 31 décembre 2022… à suivre donc.
L’accessibilité prend également forme au travers de l’ordonnance portant réforme du droit des sûretés en ce qui concerne spécifiquement le cautionnement. Confinement oblige, le cautionnement n’a pas été épargné par l’élan de dématérialisation, et la signature électronique a été généralisée à tous les contrats de cautionnement là où elle constituait encore il y a peu l’exception.
Il est en revanche à craindre que la réforme du statut de l’entrepreneur individuel, issue de la loi du 14 février 2022, rende la matière moins accessible, pour les raisons déjà évoquées. En voulant rendre attrayant le statut, en écartant cette fois-ci bien davantage la brèche ouverte dans la théorie de l’unicité du patrimoine, le législateur va faire naître de probables complexités. D’une part, la coexistence – du moins à court et moyen terme – du nouveau et de l’ancien statut va rendre la matière difficilement lisible et complexe pour les praticiens. D’autre part, certaines problématiques liées à l’identification des patrimoines privés et professionnels sont à craindre. Bien qu’un décret précisant l’étendue de chacun de ces patrimoines soit attendu, il sera probablement des situations dans lesquelles des complexités naîtront au moment de classer des éléments d’actif ou de passif. En somme, le souhait du législateur de pallier l’échec de l’EIRL semble avoir pris le pas sur la nécessité de rendre la matière accessible, au détriment du particulier concerné et du praticien.
Frédéric Kieffer : Seul l’avenir permettra de répondre à cette question, mais d’ores et déjà, parmi les textes évoqués relatifs au droit civil économique, certains nécessiteront une interprétation pour n’être pas assez précis (C. civ., art. 2464, al. 2, sur la notion de valeur déclarée, l’absence de renvoi à l’article 2298 dans les textes énumérés à l’article 2325 du code civil relatif à la sûreté réelle pour autrui…).
La rédaction : L’efficacité des matières du droit civil économique est-elle renforcée ?
Jean-Denis Pellier : L’efficacité est la « qualité de ce qui est efficace », c’est-à-dire « qui produit son effet » (Le nouveau Littré, Garnier, 2006). À cet égard, le souhait du législateur était de renforcer l’efficacité du droit des sûretés « tout en assurant un équilibre entre les intérêts des créanciers, titulaires ou non de sûretés, et ceux des débiteurs et des garants » (L. n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, art. 60, I). Il n’est pas certain, toutefois, que l’objectif soit atteint, spécialement dans le domaine du cautionnement. En effet, le propre d’une sûreté est de prémunir le créancier qui en bénéficie contre la défaillance de son débiteur. Celui-ci doit donc être à même de pouvoir réaliser sa sûreté lorsque ce risque se produit. Or, d’une part, l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 renforce la protection des cautions de manière générale en leur permettant d’« opposer au créancier toutes les exceptions, personnelles ou inhérentes à la dette, qui appartiennent au débiteur », réserve faite des dispositions du deuxième alinéa de l’article 2293 (relatif à l’incapacité des personnes physiques) ainsi que « des mesures légales ou judiciaires dont bénéficie le débiteur en conséquence de sa défaillance, sauf disposition spéciale contraire » (C. civ., art. 2298). D’autre part, l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce étend au redressement judiciaire les dispositions protectrices des garants personnes physiques, qui étaient réservées jusque-là à la sauvegarde (sur les difficultés susceptibles d’en découler, v. L. Andreu, Le cautionnement et le droit des entreprises en difficulté après les ordonnances de réforme du 15 septembre 2021, RDBF, janv.-févr. 2022, 10).
L’efficacité du droit de la consommation, en revanche, sort grandie à la suite de l’adoption des ordonnances n° 2021-1247 du 29 septembre 2021 et n° 2021-1734 du 22 décembre 2021. La finalité première de ce droit, en effet, réside dans la protection du consommateur (comp. P. Stoffel-Munck, L’autonomie du droit contractuel de la consommation : d’une logique civiliste à une logique de régulation, RTD com. 2012. 705 ). Or celle-ci a été considérablement renforcée, en prenant en considération la spécificité de l’économie numérique : d’une part, l’ordonnance n° 2021-1247 étend le champ de la garantie légale de conformité aux contenus et services numériques (v. S. Bernheim-Desvaux, Réflexion autour de l’ordonnance n° 2021-1247 du 29 septembre 2021 relative à la garantie légale de conformité pour les biens, les contenus numériques et les services numériques, CCC nov. 2021, comm. 174 ; C. Hélaine, Adaptation de la garantie légale de conformité pour les biens et les contenus et services numériques, Dalloz actualité, 5 oct. 2021 ; D. Houtcieff, L’ordonnance relative à la garantie légale de conformité pour les biens, les contenus numériques et les services numériques : entre nouvel ordre et désordre, La lettre juridique n° 889, 6 janv. 2022 ; V. Lasbordes de Virville, Nouveautés en matière de garantie légale de conformité dans les ventes de biens de consommation. À propos de la transposition des directives UE 2019/770 et 2019/771 du 20 mai 2019 par l’ordonnance n° 2021-1247 du 29 septembre 2021, CCC nov. 2021, étude 11 ; G. Loiseau, L’ordonnance du 29 septembre 2021 : un texte fondateur d’un droit des contrats portant sur les biens et services numériques, CCE n° 12, déc. 2021, étude 21 ; J.-D. Pellier, La nouvelle garantie légale de conformité est arrivée ! RDC n° 2022-1, RDC mars 2022, n° RDC200o8). D’autre part, l’ordonnance n° 2021-1734 adapte notamment les règles relatives aux pratiques commerciales trompeuses et celle relatives aux contrats conclus à distance et hors établissement à l’univers du numérique. On peut également observer un renforcement considérable des sanctions à l’encontre des professionnels, lesdites ordonnances ayant institué des amendes administratives et (plus remarquablement) des amendes civiles ! Ces dernières vont d’ailleurs à rebours de la tendance du droit commun, consistant à refouler de telles sanctions (on sait en effet que la proposition de loi portant réforme de la responsabilité civile en date du 29 juillet 2020 a abandonné l’idée de la consécration d’une amende civile en droit commun de la responsabilité extracontractuelle ; v. à ce sujet M. Bacache, Responsabilité civile : une réforme a minima ? JCP 2020. 1007).
Enfin, l’efficacité de l’entreprise individuelle est également accrue prima facie, si du moins on l’examine à l’aune de la volonté de protéger le patrimoine personnel de l’entrepreneur : à la suite de l’adoption de la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante, la séparation des patrimoines sera en effet automatique à compter du 14 mai 2022 (et non du 15 mai, la loi prévoyant, en son article 19, I, une entrée en vigueur « à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi »), alors qu’elle nécessitait une déclaration sous l’empire du statut de l’EIRL institué par la loi n° 2010-658 du 15 juin 2010 relative à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée. Toutefois, à la réflexion, l’on peut douter de l’efficacité de cette protection : d’une part, il est prévu que l’entrepreneur individuel puisse consentir des sûretés (réelles mais non personnelles) sur son patrimoine personnel (C. com., art. L. 526-22, al. 3 et 4) et, d’autre part, l’entrepreneur individuel pourra, sur demande écrite d’un créancier, renoncer à cette séparation pour un engagement spécifique (C. com., art. L. 526-25).
Louis Deverre : En raison du caractère particulièrement récent des diverses nouveautés liées au droit civil économique, il est peu aisé d’en imaginer l’impact futur sur le plan pratique en matière d’efficacité.
En matière de droit des sûretés, il sera notamment intéressant d’observer si les nouvelles sûretés consacrées, à savoir la cession de créance à titre de garantie et la cession de somme d’argent à titre de garantie, trouveront leur public et produiront l’efficacité souhaitée du côté des créanciers en bénéficiant.
L’efficacité est en revanche à n’en pas douter l’un des objectifs, recherchés et assumés, de la réforme du statut de l’entrepreneur individuel issue de la loi en faveur de l’activité professionnelle indépendante. Cette efficacité pourrait ici s’appréhender de deux manières.
Premièrement, l’efficacité recherchée peut-être celle de l’attrait du statut d’entrepreneur individuel. Son principal écueil, avant la réforme, était bien entendu d’exposer tous les biens privés du professionnel à la merci de ses créanciers. Force est de constater que la souplesse offerte par ce régime paraissait s’imposer aisément face à ce risque puisque le statut d’entrepreneur individuel était déjà privilégié par une large majorité de créateurs d’entreprises. En 2020, sur 848 200 créations d’entreprises, 630 100 l’ont été sous forme d’entreprises individuelles (source : INSEE, répertoire Sirene paru dans Insee première n° 1837, févr. 2021). Peut-être la proportion d’entrepreneurs individuels continuera-t-elle de s’accroitre parmi les créations d’entreprises, comme elle le fait depuis 2015 (même source).
Deuxièmement, l’efficacité peut s’appréhender ici comme le souhait de renforcer la protection de l’entrepreneur individuel. Inéluctablement, c’est ici la principale motivation du législateur, qui avait déjà fait un premier pas sous le dernier quinquennat en rendant insaisissable de plein droit la résidence principale de l’entrepreneur individuel (L. n° 2015-990 du 6 août 2015).
Si en théorie, l’efficacité est bien réelle, il y a fort à parier que celle-ci soit moindre d’un point de vue pratique. Effectivement, les diverses exceptions offertes aux créanciers pour réunifier ce patrimoine fictivement séparé ne manqueront probablement pas d’être usitées.
Enfin, et bien que cette matière se rattache davantage au droit civil plutôt qu’au droit civil économique stricto sensu, peuvent être également mentionnés les divers apports de la loi dite ELAN (L. n° 2018-1021 du 23 nov. 2018) en matière de fonctionnement des copropriétés, spécifiquement les plus petites d’entre elles (ndlr : sur cette question, v. l’entretien Quinquennat Macron : quelles évolutions en droit immobilier (logement social, environnement, énergie, gestion d’actifs, baux et copropriété), Dalloz actualité, 24 mars 2022).
Frédéric Kieffer : En ce qui concerne le droit des sûretés, peut-on affirmer par exemple que l’accroissement de la protection de la caution personne physique (extension de l’opposabilité des exceptions, codification du devoir de mise en garde, évolution de la notion d’engagement disproportionnée ou du tiers constituant une sûreté réelle pour autrui), notamment dans les procédures collectives, va participer à une plus grande efficacité du droit civil économique ? La réponse à cette question est étroitement liée à la qualité occupée, créancier ou garant.
Pour le droit de la consommation, les réformes opérées renforcent indéniablement la protection du consommateur et ces évolutions s’inscrivent dans le contexte de l’intégration en droit interne des règles du droit européen et de l’influence de la Cour de justice de l’Union européenne.
Enfin, pour l’efficacité de l’entreprise individuelle, les outils de protection croissent et encourageront de ce fait les vocations entrepreneuriales. Pourtant, comment l’entreprise individuelle obtiendra-t-elle du crédit si à la fois le garant personne physique (caution ou constituant) bénéficie d’une protection plus importante alors que le créancier verra dans le même temps le patrimoine de son débiteur sur lequel il pourrait exercer ses poursuites se réduire comme une peau de chagrin ? Le risque est de voir se développer l’utilisation de sûretés bien plus efficaces et moins protectrices, notamment celles relatives à la propriété cédée à titre de garantie.
La rédaction : L’attractivité des matières du droit civil économique est-elle accrue ?
Jean-Denis Pellier : L’attractivité du droit français est une valeur chère au législateur contemporain, même si l’on peut très sérieusement s’interroger quant à la signification profonde de cette notion, qui au demeurant ne figure pas dans le Littré (v. P. Delebecque, « “L’attractivité” du droit français : un mot d’ordre dépourvu de sens ? », in Mélanges en l’honneur du professeur Laurent Aynès, LGDJ, 2019, p. 185 ; v. égal. C. Larroumet, « Le mythe de l’attractivité du droit civil français », ibid., p. 365). On croit comprendre, néanmoins, qu’il s’agit de promouvoir l’intérêt pour la loi française sur la scène internationale (v. Larousse, v° Attractivité, 2e sens : « Qui plaît, séduit, attire par son charme ; attrayant, captivant »). À cet égard, la réforme opérée par l’ordonnance n° 2021-1192 en matière de sûretés tend indéniablement à atteindre cet objectif, notamment en consacrant la cession de créance de droit commun à titre de garantie (C. civ., art. 2373 s.), et ce au prix d’une concurrence avec le nantissement de créance, que la jurisprudence avait justement cherché à éviter en requalifiant les cessions de créances conclues en dehors des cas prévus par la loi en nantissements (Com. 19 déc. 2006, n° 05-16.395, Dalloz actualité, 7 janv. 2007, obs. X. Delpech ; D. 2007. 344 , note C. Larroumet ; ibid. 76, obs. X. Delpech ; ibid. 319, point de vue R. Dammann et G. Podeur ; ibid. 961, chron. L. Aynès ; AJDI 2007. 757 , obs. F. Cohet-Cordey ; RTD civ. 2007. 160, obs. P. Crocq ; RTD com. 2007. 217, obs. D. Legeais ; ibid. 591, obs. B. Bouloc ; rappr. Com. 26 mai 2010, n° 09-13.388, Dalloz actualité, 2 juin 2010, bs. A. Lienhard ; D. 2010. 2201, obs. A. Lienhard , note N. Borga ; ibid. 2011. 406, obs. P. Crocq ; RTD civ. 2010. 597, obs. P. Crocq ; RTD com. 2010. 595, obs. D. Legeais ; ibid. 601, obs. B. Bouloc ; comp. Com. 17 juin 2020, n° 19-13.153, D. 2020. 1357 ; ibid. 1857, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli ; ibid. 1917, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers ; Rev. prat. rec. 2021. 25, chron. P. Roussel Galle et F. Reille ; RTD civ. 2020. 671, obs. C. Gijsbers ; RTD com. 2020. 951, obs. A. Martin-Serf , qui semble admettre la possibilité d’une telle cession ; v. à ce sujet M. Mignot, Vers la validation de la cession de créance à titre de garantie ?, JCP 2020. 1037). C’est le même souci de renforcement de l’attractivité du droit français qui a conduit les auteurs de l’ordonnance à consacrer la cession de somme d’argent à titre de garantie, improprement dénommée « gage-espèces » (C. civ., art. 2374 s.). Là encore, cependant, il en résulte un risque de concurrence avec le gage de choses fongibles (C. civ., art. 2341, al. 2), que d’aucuns considéraient comme le siège du gage-espèces (P. Simler et P. Delebecque, Droit civil. Les sûretés, la publicité foncière, 7e éd., Dalloz, 2016, n° 664).
Il n’est pas certain, en revanche, que le droit français soit plus attractif en ce qui concerne le nouveau statut de l’entrepreneur individuel, dans la mesure où la séparation des patrimoines, généralisée par la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante, risque de dissuader les établissements bancaires d’accorder un crédit à l’entrepreneur faute de pouvoir compter sur les biens composant leur patrimoine personnel en cas de défaillance. Il est vrai, cependant, que ce risque est réduit du fait de la possibilité, pour l’entrepreneur individuel, de consentir des sûretés (réelles) sur son patrimoine personnel, voire de renoncer à la séparation des patrimoines, comme nous l’avons vu précédemment.
En droit de la consommation, la notion d’attractivité ne revêt pas la même importance, dans la mesure où c’est le droit de l’Union européenne qui est maître, dans une large mesure, des dispositions relatives à la protection des consommateurs.
Louis Deverre : À n’en pas douter, l’ordonnance portant réforme sur les sûretés est, parmi celles touchant le droit civil économique, la plus encline à améliorer l’attractivité du droit français. L’objectif est par ailleurs revendiqué dans le rapport de présentation au président de la République où il est clairement précisé que « le renforcement de l’attractivité du droit français, notamment économique, constitue le troisième objectif poursuivi par la réforme ». Cette attractivité doit en principe être atteinte par la suppression de sûretés mobilières désuètes, par la simplification et la modernisation des règles relatives au cautionnement, et par la consécration de nouvelles garanties comme la cession de créance de droit commun (à l’instar de nombreuses législations étrangères). L’avenir nous indiquera si la pratique future marquera – ou non – la réussite de cet objectif.
Du point de vue de la pratique notariale, on ne peut pas évoquer l’accessibilité du droit civil économique sous le dernier quinquennat sans rappeler les décrets n° 2020-395 du 3 avril 2020 et n° 2020-1422 du 20 novembre 2020, qui le touche au moins indirectement. Le double mouvement, issu, d’une part, de la volonté du notariat de se moderniser et de s’adapter aux dernières évolutions économiques et sociétales (v. le rapport du Congrès des notaires 2021 sur le thème « Le numérique, l’homme et le droit ») et, d’autre part, des exigences pratiques liées à la période d’état d’urgence sanitaire et aux confinements successifs ont poussé le législateur à être particulièrement novateur dans la manière de comparaître et de signer un acte notarié.
Il a en effet été rendu possible successivement la signature d’un acte notarié électronique à distance, de manière temporaire, avant qu’il soit consacré, de manière pérenne, le recours possible à la procuration notariée électronique à distance.
Malgré les complexités pratiques auxquelles sont parfois confrontées les parties aux actes, et les questions que ce procédé a pu faire naître au regard de la mission du notaire et de l’authenticité de ces actes, ce procédé a connu en pratique un grand succès et continue de le rencontrer. Il a en effet pu répondre à des particularités ponctuelles liées à la situation sanitaire, mais a également pu résoudre des problématiques récurrentes, en particulier pour la signature d’actes notariés pour des personnes – françaises ou non – résidant à l’étranger. Nul doute, donc, que cette réforme a rempli cet objectif d’attractivité, si cher au législateur français.
Frédéric Kieffer : Il est permis de penser que certaines des réformes intervenues participent à l’accroissement de l’attractivité du droit civil français et que d’autres réformes pourraient avoir un effet plus négatif. Cependant, cette apparente attractivité ne doit pas masquer la réalité économique et la finalité d’une sûreté réside dans son efficacité. Or l’accroissement des règles protectrices du garant personne physique, du constituant d’une sûreté réelle pour autrui, du tiers acquéreur dans l’exercice du droit de suite, s’il se comprend, ne tend pas à rendre le droit français plus attractif.
Louis Deverre, Frédéric Kieffer et Jean-Denis Pellier
Louis Deverre est notaire associé à Rouen.
Frédéric Kieffer est avocat à la Cour, Président d’honneur de l’AAPPE, Chargé d’enseignement à l’université Côte d’Azur.
Jean-Denis Pellier est professeur à l’Université de Rouen – Directeur du Master 2 Droit privé général.