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Le droit en débats

Brexit et contrôle judiciaire européen : goodbye my lover, goodbye my friend ?

L’espace judiciaire européen, bâti sur les principes de confiance et de reconnaissance mutuelles, permet une coopération pénale renforcée entre ses États membres. Terreau du mandat d’arrêt et du contrôle judiciaire européens, inspirera-t-il des mécanismes similaires au lendemain du Brexit ?

Ayant observé que les ressortissants de l’Union européenne ne résidant pas habituellement dans l’État membre où ils sont arrêtés étaient plus souvent placés en détention provisoire que les ressortissants nationaux, par manque de garanties de représentations1, l’Union a offert les outils juridiques afin de mettre en place des mesures transfrontières alternatives à la détention provisoire. Il s’agissait donc d’étendre le principe de reconnaissance mutuelle aux décisions présentencielles, afin de « renforcer le droit à la liberté et à la présomption d’innocence »2. La décision-cadre relative au contrôle judiciaire européen permet ainsi à une personne mise en examen dans un État membre de retourner dans son État de résidence dans l’attente du jugement.

Suscitant les réticences des États membres, peu habitués à permettre à une personne de nationalité étrangère mise en cause dans une procédure pénale de quitter leur territoire, cette décision-cadre n’a été transposée qu’en 2014 au Royaume-Uni, où elle est applicable depuis le 1er décembre 20143 et en 2015 en France4, en dépit d’une date limite de transposition au 1er décembre 2012.

Aux termes de cette décision-cadre, un État membre qui reconnaît une décision de placement sous contrôle judiciaire prononcée par un autre État membre peut en assurer le suivi sur son propre territoire et remettre la personne concernée à l’État d’émission en cas de non-respect de cette mesure5. La mise en place de ce contrôle judiciaire nécessite le consentement de l’intéressé6. Après la mise en place du mandat d’arrêt européen7, le contrôle judiciaire européen s’inscrit dans la même volonté de confier à la seule autorité judiciaire la reconnaissance des décisions de justice, sans intervention de l’exécutif et sans passage par la voie diplomatique (la circulaire relative à la loi de transposition évoque une « judiciarisation décentralisée »)8.

Conformément à l’Accord de retrait entre le Royaume-Uni et l’Union européenne s’est ouverte une période de transition du 1er février 2020 jusqu’au 31 décembre 20209, possiblement prolongeable jusqu’au 31 décembre 202210. Durant celle-ci, et sauf exceptions prévues par ledit accord, « le droit de l’Union est applicable au Royaume-Uni et sur son territoire »11.

Qu’adviendra-t-il des contrôles judiciaires européens en cours pendant cette période de transition ? L’article 62 de l’accord prévoit que la décision-cadre sur le contrôle judiciaire européen s’appliquera « en ce qui concerne les décisions relatives à des mesures de contrôle reçues avant la fin de la période de transition » par l’État d’exécution12. Par conséquent, ni les contrôles judiciaires en cours ni les demandes de contrôles judiciaires reçues par le Royaume-Uni avant la fin de la période de transition ne seront impactés par le Brexit.

Quels accords se substitueront aux contrôles judiciaires européens au lendemain du Brexit ? Dans sa déclaration politique consécutive à l’Accord de retrait, l’Union envisageait déjà la mise en place d’« un partenariat ambitieux, large, approfondi et souple […] en matière de services répressifs et de justice pénale » avec le Royaume-Uni et d’une « coopération pratique entre services répressifs et entre autorités judiciaires en matière pénale […] en vue de mettre en place des capacités qui, dans la mesure où cela est possible du point de vue technique et juridique, et jugé nécessaire et dans l’intérêt des deux parties, soient semblables à celles que permettent les mécanismes pertinents de l’Union »13. Cependant, le projet de partenariat émis le 18 mars 2020 par la Commission européenne14 ne propose pas au Royaume-Uni de mécanisme similaire au contrôle judiciaire européen. Cette absence a de quoi surprendre dès lors que les parties à la négociation semblaient vouloir détériorer le moins possible la coopération judiciaire existante. À ce titre, ce projet de partenariat envisageait par exemple une procédure d’extradition simplifiée très proche du mandat d’arrêt européen15.

Comment expliquer l’absence d’alternatives post-Brexit au contrôle judiciaire européen ? En 2014, le Royaume-Uni avait expressément notifié son souhait à l’Union de bénéficier du contrôle judiciaire européen, mécanisme qui ne lui était pas automatiquement applicable16. Dès lors, faut-il interpréter l’absence de proposition d’un instrument similaire par la Commission européenne comme un levier de pression face au Royaume-Uni, ayant vocation à trouver une solution négociée, ou comme une répercussion durable de la crise de confiance causée par le Brexit ? En effet, le contrôle judiciaire européen suppose une confiance mutuelle particulièrement élevée, l’exécution des mesures prononcées par un État étant régi par le droit d’un autre17.

Cette exigence renforcée de confiance explique qu’à ce jour, aucune convention internationale ne permette la mise en place de contrôles judiciaires transfrontaliers en dehors de l’Union18, ce qui tranche avec la situation du mandat d’arrêt européen, qui a déjà inspiré des mécanismes semblables entre l’Union et des États tiers19. Elle explique peut-être également le fait qu’aucune statistique ne soit disponible à l’échelle de l’Union sur l’usage du contrôle judiciaire européen, ce qui pourrait traduire une réticence des autorités judiciaires nationales à mettre en œuvre cette procédure.

Pourtant, cette méfiance devrait justement inciter l’Union et le Royaume-Uni à mettre en place un mécanisme proche du contrôle judiciaire européen afin de ne pas laisser leurs ressortissants respectifs en détention provisoire à l’étranger, sans contrôle des conditions d’incarcération et sans alternative mutuellement acceptée. Au regard de l’analyse d’impact effectuée par la Commission européenne avant l’adoption du contrôle judiciaire européen, pas moins de 8 000 détenus provisoires dans un pays de l’Union autre que leur pays de résidence habituelle auraient pu faire l’objet d’un contrôle judiciaire20. Le Royaume-Uni supportera-t-il un tel recul dans la protection de ses ressortissants à l’étranger, qui sont d’ores et déjà parmi les premiers critiques du Brexit ? Et l’Union, pour sa part, acceptera-t-elle de faire courir un tel risque aux nombreux citoyens européens qui demeureront au Royaume-Uni ? Seul l’épilogue de ces négociations nous enseignera si le respect des droits fondamentaux des citoyens incarne réellement le fondement de la coopération à venir, comme les deux parties aiment à l’affirmer21.

 

 

Notes

1. Examen de la proposition de décision-cadre du Conseil relative à la décision européenne de contrôle judiciaire dans le cadre des procédures présentielles entre les États membres de l’Union européenne par la Commission des affaires européennes du Sénat en date du 3 juin 2009.

2. Décision-cadre 2009/829/JAI du Conseil du 23 octobre 2009 concernant l’application, entre les États membres de l’Union européenne, du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions relatives à des mesures de contrôle en tant qu’alternative à la détention provisoire (ci-après la « décision-cadre »).

3. The Criminal Justice and Data Protection (Protocol n° 36) Regulations 2014, partie 7.

4. Art. 2, L n° 2015-993, 17 août 2015, portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, créant le chapitre VI du titre X du livre IV du code de procédure pénale, intitulé « De l’exécution des décisions de contrôle judiciaire au sein des États membres de l’Union européenne en application de la décision-cadre du Conseil de l’Union européenne du 23 octobre 2009 », et contenant les art. 696-48 à 696-89 C. pr. pén.

5. Décis.-cadre, art. 1.

6. Décis.-cadre, art. 9.

7. V. Dalloz actualité, Brexit et mandat d’arrêt européen : will we believe in yesterday ?, Le droit en débats, 4 avr. 2020, par David Apelbaum, Margaux Durand-Poincloux, Jane Peissel et Flora Drapp.

8. Circ. 11 août 2016, p. 2.

9. Art. 126, Accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique du 31 janvier 2002 (JO L 29/66, 31 janv. 2020) (ci-après l’« Accord de retrait »).

10. L’art. 132 de l’Accord de retrait prévoit que « le comité mixte peut, avant le 1er juillet 2020, adopter une seule décision prolongeant la période de transition d’une période maximale d’un ou deux ans ».

11. Accord de retrait, art. 127.

12. Accord de retrait, art. 62.

13. Déclaration politique fixant le cadre des relations futures entre l’Union européenne et le Royaume-Uni du 31 janvier 2020 (2020/C 34/01).

14. Titre 1 « law enforcement and judicial cooperation in criminal matters » de la partie 3 « Security Partnership » du « Draft text of the Agreement on the New Partnership with the United Kingdom », 18 mars 2020.

15. V. Dalloz actualité, Brexit et mandat d’arrêt européen : will we believe in yesterday ?, Le droit en débats, 4 avr. 2020, par David Apelbaum, Margaux Durand-Poincloux, Jane Peissel et Flora Drapp.

16. Décis. de la Commission du 1er déc. 2014 relative à la notification par le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de son souhait de participer à des actes de l’Union dans le domaine de la coopération policière et judiciaire en matière pénale qui ont été adoptés avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne et qui ne font pas partie de l’acquis de Schengen (2014/858/UE).

17. Décis.-cadre, art. 16.

18. Accord entre l’Union européenne et la République d’Islande et le Royaume de Norvège relatif à la procédure de remise entre les États membres de l’Union européenne et l’Islande et la Norvège (JO L 292, 21 oct. 2006).

19. Circ. du 11 août 2016, préc.

20. Dans son examen du 3 juin 2009 de la proposition de décision-cadre précité, la Commission des affaires européennes du Sénat expliquait que, « dans une analyse d’impact accompagnant sa proposition de décision-cadre, la Commission européenne a indiqué que près de 10 000 ressortissants de l’Union européenne seraient placés chaque année en détention provisoire dans un pays de l’Union européenne autre que leur pays de résidence habituelle. 80 % de ces ressortissants (soit 8 000 détenus placés en détention provisoire), ne résidant pas habituellement dans l’État membre dans lequel ils sont incarcérés, pourraient faire l’objet d’une mesure de contrôle présentencielle ».

21. Pt 6 de la Déclaration politique fixant le cadre des relations futures entre l’Union européenne et le Royaume-Uni préc.