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Le droit en débats

Les capitaux extérieurs dans les cabinets d’avocats

Nouvelle idée issue des rangs de la profession, les cabinets d’avocats français auraient besoin de capitaux extérieurs pour se développer. La belle idée !

Par Didier Lecomte le 07 Novembre 2021

L’idée a été reprise par le rapport Perben (26 août 2020), un rapport intellectuellement très contestable. En réalité, ce rapport contient des propositions intéressantes sur le court terme, par exemple la force exécutoire de l’acte d’avocat. En revanche, tout ce qui concerne le long terme et donc le devenir de la profession nous promet un avenir noir. Ceci parce ce rapport est sur le fonds particulièrement décevant. Le débat revient au CNB, la Conférence des Bâtonniers a été consultée. Un débat stérile s’est instauré. D’un côté un Non qui n’est pas argumenté alors que les arguments ne manquent pas (II) et de l’autre des arguments qui prêtent à sourire car erronés ou alambiqués (I) et qui nous obligent à nous demander si ceux qui les soutiennent ne poursuivent pas des objectifs inavouables, c’est-à-dire étrangers à l’intérêt collectif de la profession. Pour tenter de répondre à cette dernière question, il suffit de se demander à qui pourrait profiter la possibilité d’investir dans un cabinet d’avocat (III).

Une argumentation juridiquement très contestable

Deux catégories d’arguments : les arguments juridico-financiers faux et les arguments économico-managériaux faux.

Les arguments juridico-financiers faux

Le premier, de loin le plus ridicule, consiste à affirmer que le fait d’autoriser les capitaux extérieurs permettrait aux parents de financer l’installation et le développement des cabinets de leurs enfants.

Ainsi, les parents prendraient des parts dans le capital jusqu’à éventuellement 49 % des titres. Parfait, le cabinet se développe, les titres prennent de la valeur… Et on retrouve les parts dans la succession des parents avec éventuellement des droits à payer pour les héritiers, sans parler des problèmes de rapports et autres en présence d’héritiers multiples.

On a rétorqué que les parents pouvaient prendre une petite part dans le cabinet et prêter via le compte courant d’associé. Là, le conseil n’est pas avisé mais en outre il questionne notre déontologie. Pourquoi un tel montage quand le prêt familial est si simple ? Pour facturer plus ?

On a encore rétorqué qu’un démembrement pouvait être envisagé ou qu’une donation des titres en nue-propriété pouvait être mise en place à plus ou moins long terme. Là encore, pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Le don manuel n’est-il pas plus simple ? Ou encore le prêt familial.

Autre argument, qui prête à sourire, cela permettrait aux avocats de moderniser le cabinet et de financer des investissements informatiques coûteux. Lesquels ? cela n’est pas dit. Mais surtout, dans une entreprise normale, deux types de financement interviennent, interne et externe. Pour le financement externe, c’est le banquier (ou les parents). Mais cela suppose que le cabinet justifie d’une capacité d’autofinancement suffisante pour que le banquier ne prenne pas la fuite.

La capité d’autofinancement (CAF)1 permet au cabinet de financer son développement (remboursement des prêts, paiement des charges et, en principe, versement des dividendes). Mais encore faut-il que le cabinet dégage cette CAF (v. infra).

Enfin, n’oublions pas que nous sommes une profession organisée et que si des investissements doivent être effectués, la dépense peut être mutualisée par les ordres. Et par conséquent, là encore pas besoin de financements extérieurs, même des parents ou des grands-parents.

Surtout il est préférable d’emprunter au banquier et de lui verser un intérêt de 2 ou 3 % sur quatre ou cinq ans que de verser 49 % des dividendes à un associé et ce, à vie.

C’est le choix de nombreuses PME y compris celles dans lesquelles l’intensité capitalistique est forte.

Les arguments économiques et managériaux faux

Le rapport Perben justifie l’introduction des capitaux extérieurs en arguant de la pandémie de covid-19. Évidemment, l’argument est avancé de façon incantatoire. Il est présenté comme une évidence sans qu’il soit nécessaire de le développer, de l’expliciter et encore moins de le justifier.

Pourtant si l’on y regarde d’un peu plus près, la crise a démontré bien autre chose et surtout le fait que ce n’est pas de capitaux extérieurs dont la profession a besoin.

La pandémie a démontré deux choses :

  • le référentiel de caisse est irrationnel et surtout dangereux ;
  • le problème des avocats consiste surtout à financer leur besoin en fonds de roulement (BFR).

Un référentiel irrationnel et dangereux

Irrationnel parce qu’il ne permet pas de situer la création de richesse dans le bon espace temporel. Une prestation terminée en N participe de la création de richesse de cet exercice. Or en comptabilité de caisse, la création de richesse est rattachée à l’exercice du paiement de ladite prestation. Or si celle-ci est payée en N + 1, la création de richesse sera considérée comme créée en N + 1 ce qui est économiquement irrationnel.

Cette irrationalité a été mise en évidence et même caricaturée par la pandémie.

En effet, la crise de la covid a révélé que le référentiel comptable dit « comptabilité de caisse » amplifie les difficultés financières des cabinets. Pourquoi ? Justement du fait de l’irrationalité économique de ce référentiel. Parce que ce qui vaut pour les produits vaut aussi pour les charges. En comptabilité d’engagement, les charges sociales et les loyers, par exemple, sont rattachés à l’exercice du fait générateur, qu’ils soient payés ou non et même si le paiement n’est pas exigible.

Qu’avons-nous pu observer pendant la pandémie et vérifier cette année ? Que l’URSSAF a décalé le paiement des charges et que les avocats les plus touchés par la crise ont aussi décalé leurs loyers.

Conséquences : un résultat imposable supérieur aux exercices 2018 et 2019 (ce que l’ANAAFA ne manquera pas de confirmer). Or, pour les entreprises soumises à la comptabilité d’engagement et avec des difficultés économiques absolument identiques, le résultat imposable sera très inférieur (voire négatif) par rapport aux exercices qui ont précédé la pandémie. Pour autant, les difficultés économiques sont exactement les mêmes.

Certains cabinets, soumis au référentiel de caisse, se sont bien sortis de la crise ? Comment ? Ils avaient compris que s’ils décalaient leurs charges, ils s’endettaient. Par conséquent, ils ont pris les devants et se sont endettés pour payer les charges de 2020 en 2020. Le prêt garanti par l’État (PGE), par exemple, dont on sait aujourd’hui que le taux d’intérêt en cas d’étalement tourne autour de 2 %. Or, ces 2 % coûtent bien moins cher qu’un surprofit anormal imposé aux taux marginaux de 30 ou 41 %. Et par conséquent, un relèvement du montant de l’imposition à régler fin 2021 en plus des charges décalées et des charges courantes2.

Le financement de la trésorerie des cabinets

La seconde difficulté révélée par la pandémie concerne le besoin en fonds de roulement des cabinets. Cette difficulté apparaît de façon particulièrement aiguë à l’occasion de l’exercice 2021.

En effet, il faut payer les charges courantes de l’exercice en même temps que celles de l’exercice précédent mais en outre, l’avocat doit pouvoir prélever pour payer le supplément d’impôt sur le revenu dû à l’augmentation du bénéfice anormalement élevé de 2020.

Mais en 2021, en réalité, le problème du BFR est surtout amplifié car, même en période normale, il existe.

En effet, le secteur des services est celui dans lequel les problèmes de BFR sont les plus aigus.
De fait, dans le secteur des services, les entreprises paient rapidement leurs fournisseurs mais les clients mettent énormément de temps à payer les factures. D’où un besoin de trésorerie plus important que dans les autres secteurs de l’économie.

Ce BFR est normalement financé par des capitaux stables (long terme), c’est-à-dire par le fonds de roulement. Ce fonds de roulement peut se financer autrement que par le capital social (ou le compte de l’exploitant), c’est-à-dire, par la mise en réserve d’une partie des bénéfices annuels ou par un endettement bancaire qui peut s’avérer in fine moins coûteux que la rémunération d’apporteurs de capitaux qui exigeraient entre 10 et 14 points de rentabilité des capitaux propres.

Mais surtout, les investisseurs ne sont pas là pour financer la trésorerie des entreprises. Ils sont là pour obtenir une rentabilité des capitaux propres maximale (v. infra). Une étude de la Commission prospective du CNB de 2018 ou 2019 conclut d’ailleurs que les cabinets d’avocats n’intéressent pas les investisseurs. Ce qui ne veut pas dire que les cabinets n’intéressent pas certains grands acteurs de l’économie comme nous le verrons un peu plus loin.

Par conséquent l’argument qui consiste à dire que la pandémie a démontré la nécessité de l’apport de capitaux extérieurs apparaît réellement comme très ridicule.

Les cabinets français n’ont surtout pas besoin de capitaux extérieurs

Deux raisons fondamentales peuvent être avancées qui justifient que la profession n’a absolument pas besoin de capitaux extérieurs et que cela est même fortement contre-indiqué. Premièrement, l’intensité capitalistique du secteur des services. Deuxièmement, la gouvernance d’entreprise dominante qui est incompatible avec celle que devrait embrasser la profession.

Une intensité capitalistique faible

L’analyse financière distingue quatre grands secteurs dans l’économie. L’industrie, les travaux publics, la grande distribution et les services. Ces quatre secteurs présentent des structures de bilan qui leur sont propres et qui permettent d’ailleurs de les identifier et surtout, de les différencier.

Parmi les critères de distinction, il en est un qui nous intéresse, c’est celui relatif à l’intensité capitalistique. Ce critère permet de définir le besoin en volume de capitaux pour réaliser un certain chiffre d’affaires. Il peut aussi se définir par le besoin de capitaux nécessaires par salarié.

Les formules de calcul sont simples :
(Capital immobilisé + BFR) / chiffre d’affaires
ou
(Capital immobilisé + BFR) / nombre de salariés

Or si l’on compare entre ces quatre secteurs, celui où l’intensité capitalistique est la plus faible est évidemment celui des services.

Mais est-il besoin de formules mathématiques pour le comprendre ? Non le bon sens suffit pour comprendre qu’il faut beaucoup plus de capitaux dans l’industrie lourde (le nucléaire par exemple) que dans les services. Le constat est exactement le même dans le BTP et la grande distribution.

Faut-il beaucoup de capitaux pour créer un cabinet d’avocat ? À l’évidence non.

Faut-il beaucoup de capitaux pour qu’un cabinet d’avocat se développe par croissance externe ? Cela dépend de la taille et du prix de la cible. La question doit alors être reformulée. Faut-il préférer les capitaux des investisseurs ou un financement bancaire ? Un emprunt bancaire coûte toujours moins cher qu’un investisseur. L’emprunt bancaire, c’est sept ans à 2 ou 3 %, l’associé c’est pour la vie à 10 ou 12 % de RCP3. Par conséquent, si la cible peut permettre de rembourser l’emprunt bancaire via un LBO4, le choix est vite fait.

Enfin, on peut ne pas connaître son sujet ; on peut ne pas connaître la finance d’entreprise, mais dans ce cas, on peut se renseigner auprès de ceux qui savent. Ce que n’ont malheureusement pas fait les demis habiles qui portent cette incongruité.

Mais l’on peut, plus simplement, regarder si dans certains secteurs d’activité voisins, ces derniers ont dû recourir à des capitaux extérieurs pour se créer ou pour se développer (les notaires, les huissiers, les conseillers en investissements financiers [CIF], les experts-comptables).
Prenons l’exemple des experts-comptables qui est particulièrement instructif. Les experts-comptables ont-ils recours à des capitaux extérieurs ? Non ! Ont-ils un jour émis cette idée qu’ils auraient besoin de capitaux extérieurs ? Pas plus. En réalité, non seulement ils n’ont pas besoin de capitaux extérieurs mais en plus ils investissent dans les cabinets d’avocats. Une opportunité qui leur a été servie par la profession d’avocat. C’était nouveau et par conséquent, c’était bon pour la profession. À l’époque, le cabinet EY (le cabinet comptable) avait averti dans un rapport ignoré par la profession que cela allait induire un transfert des bénéfices de l’activité du droit vers celle du chiffre. Que constate-t-on aujourd’hui ? Que les experts-comptables s’offrent des cabinets d’avocats, mais en même temps, qu’ils refusent l’entrée de leur capital aux avocats. Eux savent compter !

Visiblement la leçon n’a pas suffi et aujourd’hui certains voudraient élargir la brèche. Et là, ils ne peuvent même plus avancer l’argument de la nouveauté.

Des gouvernances incompatibles

La gouvernance d’entreprise qui prévaut en France et même en occident tient en deux mots, « valeur actionnariale »5. Ceci implique que seul compte l’intérêt des actionnaires.

Un titre de société n’est attrayant pour un investisseur que lorsque la rentabilité des capitaux propres est supérieure à la rentabilité économique de l’entreprise elle-même.

(Résultat courant / capitaux propres) > [(EBE / (capitaux investis + BFR)].

Comment y parvient-on ? Très simple, il suffit de remplacer les capitaux investis les capitaux propres) par de l’endettement.

Cela veut surtout dire que l’intérêt de l’entreprise passe après celui de l’entreprise. Dans ces conditions, que dire de l’intérêt du client de l’entreprise ?

Peut-on appliquer cette gouvernance dans les cabinets d’avocats ? La question doit être posée différemment. Cette gouvernance d’entreprise est-elle compatible avec celle de la profession d’avocat ? A priori, il est difficile de répondre à cette question puisque, officiellement, nous n’avons pas de gouvernance. Pourtant, objectera-t-on, dans nos institutions, nombreux sont les rapports qui traitent de la gouvernance de la profession. Malheureusement, heuristique de disponibilité oblige, la gouvernance est systématiquement traitée comme un objet juridique. Or la gouvernance c’est tout sauf du droit. C’est de l’idéologie pure. C’est une idéologie avec un agenda et des moyens au service de celui-ci.

Néanmoins, en cherchant un peu dans nos règles déontologiques ne peut-on trouver un principe fort, un principe directeur en contradiction totale avec celui de la valeur actionnariale ?

Il existe effectivement un principe qui est incompatible avec cette gouvernance d’entreprise qui prévaut dans les entreprises occidentales, pour peu qu’il soit correctement interprété. C’est le principe du désintéressement. Ce principe aujourd’hui dévoyé avait à l’origine, une signification aussi simple que forte. Ce principe impliquait que l’intérêt du client passait toujours avant celui de l’avocat. Par conséquent, dans ce sens, il est radicalement incompatible avec le principe de la valeur actionnariale qui veut que l’intérêt de l’entreprise passe après celui des actionnaires.

Malheureusement aujourd’hui, ce principe du désintéressement est compris comme la justification d’un appauvrissement de la profession et de ce que c’est elle qui prend en charge le coût budgétaire de l’accès au droit des plus démunis.

Pourtant, la réaffirmation de ce principe dans son sens originel donnerait un pouvoir politique extraordinaire à la profession. C’est aussi un message fort qu’elle enverrait au consommateur de droit. Un jour peut-être ?

Ceci étant dit et puisqu’il apparaît que la profession d’avocat n’a vraiment pas besoin de capitaux extérieurs, la question se pose de savoir pourquoi certains voudraient l’imposer.

À qui pourrait profiter l’ouverture du capital des cabinets ?

Puisqu’il est démontré que les cabinets n’ont pas besoin de capitaux extérieurs. Puisque les investisseurs ne sont visiblement pas intéressés et que de toute façon ils refuseront de financer le BFR des cabinets d’avocats, nous pourrions nous rassurer en pensant qu’il n’y a pas de risque à les autoriser. Certes, mais dans ce cas pourquoi l’autoriser si cela ne sert pas la profession et in fine le consommateur ? Mais enfin, est-on certain que cela n’intéresserait aucune entreprise ?

Quelles entreprises ? Des entreprises qui disposent déjà d’une force de marché suffisante pour imposer des prix bas à des avocats pourtant réputés indépendants. Des entreprises qui confisquent à leur profit la plus grosse part de la marge des cabinets d’avocats. Pas les experts-comptables, on leur a déjà ouvert une brèche dans laquelle ils se sont immédiatement engouffrés. Et déjà des cabinets d’avocats partagent le fruit de leur travail avec des associés experts-comptables6.

Non, si l’on élargit la brèche, ce sont les compagnies d’assurances qui vont s’y engouffrer. En particulier, les assureurs qui exploitent la branche « protection juridique ».

Rappelons que parmi toutes les branches assurancielles, c’est la plus profitable7. Or comment augmenter cette profitabilité ? En créant des cabinets d’avocats. Les compagnies fournissent les dossiers en quantité. Les honoraires versés permettent au cabinet d’être profitable à condition de ne jamais parler de production de qualité. C’est en tout cas ce que le rapport KPMG a parfaitement démontré pour l’aide juridictionnelle. Le raisonnement vaut aussi pour la protection juridique car les données (les barèmes des assureurs) sont les mêmes, sinon pires, que ceux de l’aide juridictionnelle.

Quoi qu’il en soit les assureurs récupèreront la moitié de ce bénéfice, un bénéfice réalisé dans des conditions qui risquent d’envoyer un signal très négatif en direction du public. Si le cabinet n’est pas profitable, parce que la productivité y est trop faible8, pas de problème la compagnie mettra la pression sur les dirigeants du cabinet. On objectera comme l’ont dit et répété ceux qui ont ouvert la brèche aux experts-comptables, que cela est impossible puisque les avocats sont nécessairement majoritaires en capital, on ne peut donc rien leur imposer. Dans le monde de Oui-Oui avocat, certainement, mais pas dans la vraie vie. Que va-t-il se passer ? L’assureur va faiblement investir dans le cabinet en termes de capital social. Premièrement, parce que lui connaît la faible intensité capitalistique du secteur9. Deuxièmement, parce que la sacro-sainte règle de la rentabilité des capitaux propres impose que l’on immobilise le moins de capital possible. Donc un faible capital social puis, ensuite, le besoin en fonds de roulement10 sera financé par le compte courant d’associé de l’assureur dont il convient de rappeler qu’il est remboursable à première demande. Ensuite, ce compte courant d’associé sera remboursé sur les premiers bénéfices, privant par là-même les associés avocats de toute distribution de dividendes. Bien mieux, le BFR pourrait être financé par un emprunt bancaire qui accroitrait alors la rentabilité des capitaux propres par rapport à la rentabilité économique du cabinet. Et si la pression ne fonctionne pas, rien de plus simple, l’assureur ouvre un autre cabinet et le précédent n’est plus référencé.

On objectera que les statuts ou un pacte d’associés pourraient parfaitement comprendre une clause de non-concurrence ou des modalités de blocage des comptes coutant d’associés. Dans le monde de Oui-oui certainement, mais dans la vraie vie c’est celui qui dispose de la force de marché qui impose sa loi. Et si l’avocat disposait d’une telle force de marché cela se saurait et nous n’en serions pas là.

Conclusion

Pourquoi en est-on là ? Qui sont ceux qui défendent cette idée de la nécessité des capitaux extérieurs dans les cabinets d’avocats ? La question est ouverte. Mais déjà, pour ceux qui soutiennent des arguments aussi pauvres, peut-on penser d’eux qu’ils sont à ce point ignares ? Mais alors s’ils sont compétents et informés, ne doivent-ils pas avoir perdu toute indépendance pour accepter de soulever ces arguments qui les ridiculisent ? Nous n’aurons certainement jamais la réponse, mais la question vaut d’être posée et pensée.

 

1. CAF = Résultat net + dotations aux amortissements et aux provisions – les reprises sur amortissements et provisions. Dans les cabinets d’avocats soumis à la comptabilité de caisse, c’est encore plus simple. CAF = Résultat net + dotations aux amortissements – les reprises sur amortissements. Et comme l’activité d’avocat suppose peu d’investissements, la CAF est généralement d’un montant proche du résultat – moins la rémunération de l’avocat.
Sans parler non plus du relèvement du taux de prélèvement. Certes, le contribuable peut le moduler mais il ne faut pas se tromper sur l’estimation.
2. Rentabilité des capitaux propres, c’est-à-dire, les capitaux qui reviendront aux associés et que par conséquent ils investissent dans l’entreprise.
3. Rachat de sociétés par effet de levier. Les dividendes de la cible remontent en quasi-franchise d’impôt pour rembourser le prêt contracté par la mère.
4. R. du Tertre et Y. Guy, Gouvernance d’entreprise et finance, in Capitalisme, le temps des ruptures, M. Aglietta (dir.), Odile Jacob, 2019, p. 268.
5. P. Artus et M.-C. Virard, La dernière chance du capitalisme, Odile Jacob, 2021, 178 p.
6. L’expert-comptable apporte au cabinet une clientèle et partage la marge bénéficiaire. Mais si le cabinet envoie un client chez son associé, expert-comptable, ce dernier conserve toute la marge.
7. Normal une partie de cette marge est faite sur le dos des avocats et in fine des assurés.
8. La productivité peut être augmentée assez facilement, il suffit d’augmenter sensiblement la durée de travail des collaborateurs en maintenant un taux horaire de rémunération faible. Et là, en plus, le cabinet devient plus compétitif que les autres.
9. Et puis surtout, les avocats associés apporteront une somme légèrement supérieure. Si l’apporteur amène 200 000 € au capital, les avocats devront apporter 200 010 € (pour des titres au nominal de 10 €).
10. Or le rapport KPMG rendu en 2015 (p. 27) a calculé que : « Le délai moyen d’encaissement des montants reçus au titre de l’aide juridictionnelle s’élève à 15 mois environ. Le besoin en fonds de roulement d’un avocat, qui réaliserait la moitié de son activité sur des dossiers d’aide juridictionnelle et l’autre moitié sur des dossiers « classiques » s’élèverait ainsi à huit mois environ ». Entendons-nous bien, 8 mois de BFR, c’est 8 mois de chiffre d’affaires mis en réserve. Ce raisonnement s’applique en tous points avec les rétributions versées par les compagnies d’assurance.