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Le droit en débats

Le décret n° 2020-418 du 10 avril 2020, acte III du dispositif d’adaptation des règles des assemblées générales des personnes morales durant la pandémie

La déclaration de l’état d’urgence sanitaire a généré un train de mesures d’adaptation du droit. Après la loi n° 2020-290 du 23 mars 20201 et l’ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 20202, le décret n° 2020-418 du 10 avril 20203 vient ainsi clarifier certaines dispositions relatives à la tenue des assemblées générales des personnes morales en raison de l’épidémie de covid-19.

Tout d’abord, la loi du 23 mars 2020 a, en son article 11, ouvert la porte à la modification des règles concernant les « assemblées et les organes dirigeants collégiaux des personnes morales de droit privé et autres entités [qui] se réunissent et délibèrent ainsi que les règles relatives aux assemblées générales ».

Ensuite, le gouvernement est venu préciser, deux jours plus tard, par voie d’ordonnance, les modalités de cette adaptation du droit usuel des sociétés.

Concernant plus spécifiquement le cas de la consultation écrite, pratique généralisée, l’article 6 de l’ordonnance a fait l’objet d’une interprétation très stricte par certains auteurs quant à son champ d’application – notamment sur le site officiel de l’administration française sur la vie associative. En effet, il a été déduit de la formulation, « lorsque la loi prévoit que les décisions des assemblées peuvent être prises par voie de consultation écrite », une exclusion des entités pour lesquelles la loi ne le prévoyait pas expressément, ce qui est notamment le cas des SAS et des associations.

Déjà, au regard du champ d’application de l’ordonnance, cette lecture était surprenante : l’ordonnance vise en effet les « personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé ». Il est difficile d’être plus général… ce que renforce l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-321 en indiquant que son champ d’application englobe « notamment : 1° Les sociétés civiles et commerciales ; […] 10° Les associations […] ». Il ne devait donc pas y avoir débat. Il a néanmoins existé.

En effet, si le code de commerce renvoie à la liberté contractuelle avec l’article L. 227-9 quant aux modalités de prise des décisions collectives des associés de SAS, et que la jurisprudence reconnaît la consultation écrite comme constituant une modalité effective de vote au sein des associations (Civ. 1re, 25 janv. 2017, n° 15-25.561, AJDA 2017. 1059 , note R. Rambaud ; D. 2017. 302 ; JA 2017, n° 557, p. 13, obs. X. Delpech ; ibid. 2018, n° 572, p. 32, étude S. Damarey ), il n’y a aucune disposition légale, encore moins expresse, le précisant. Mais devait-on pour autant se borner à une lecture littérale d’un texte rédigé dans la hâte, pour faire face à une situation d’urgence, avec comme seul objectif de permettre le fonctionnement des sociétés et autre groupement ? Des auteurs5 ont, en tout bon sens, préconisé à cet égard une lecture téléologique et pragmatique, nécessaire en cette période particulière et pour le moins inédite.

Le décret du 10 avril 2020 vient clarifier cette position en son article 3 en précisant :

« Lorsque les dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l’assemblée, les statuts ou le contrat d’émission, permettent aux membres de l’assemblée de voter par correspondance, l’organe compétent pour convoquer l’assemblée ou le représentant légal agissant sur délégation de cet organe peut décider que les membres de l’assemblée peuvent adresser leurs instructions de vote, le cas échéant sous la forme prévue par les dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l’assemblée, les statuts ou le contrat d’émission, par message électronique à l’adresse électronique indiquée à cet effet dans la convocation.

Lorsque les dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l’assemblée, les statuts ou le contrat d’émission, permettent aux membres de l’assemblée de se faire représenter, l’organe compétent pour convoquer l’assemblée ou le représentant légal agissant sur délégation de cet organe peut décider que les membres de l’assemblée peuvent adresser leurs mandats par message électronique à l’adresse électronique indiquée à cet effet dans la convocation. »

En retenant qu’il est possible d’avoir recours à une consultation « par correspondance » dès lors que « les dispositions législatives ou réglementaires […] [le] permettent », il suffit que la loi ne s’y oppose pas pour que l’on puisse recourir à cette modalité. Précisément, pour les associations et la SAS, la loi renvoyant à libre volonté des parties, elle le permet !

Ce décret aura le mérite de convaincre les sceptiques de la liberté contractuelle que l’association, tout comme la SAS, repose sur un contrat dont les modalités sont librement définies par les parties et qu’à ce titre, il n’est nul besoin d’une mention expresse des textes légaux pour entériner des pratiques contractualisées. Dit différemment, en disposant que leur organisation est, légalement, régie par le contrat, qui forme la loi des parties, avant comme après la réforme du droit des obligations, le « législateur » y a bien vu une situation suivant laquelle la loi autorise bien le recours à la consultation écrite dans ces cas.

 

Notes

1. L. n° 2020-290, 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19.
2. Ord. n° 2020-321, 25 mars 2020, portant adaptation des règles de réunion et de délibération des assemblées et organes dirigeants des personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé en raison de l’épidémie de covid-19.
3. Décr. n° 2020-418, 10 avr. 2020, portant adaptation des règles de réunion et de délibération des assemblées et organes dirigeants des personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé en raison de l’épidémie de covid-19.
4. A. Couret, J.-J. Daigre et C. Barrillon, Les assemblées et les conseils dans la crise. Les mesures provisoires d’exception adoptées par ordonnance, D. 2020. 723 .