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Le droit en débats

Entre bioterrorisme et crime contre l’humanité, covid-19 : (Fake) news et réalités

Et si la pandémie de covid-19 n’était pas d’origine accidentelle ? Et si elle trouvait sa genèse dans un programme d’armes biologiques chinois ? Fake news1 ou informations pertinentes ? C’est un des thèmes que, dès le mois de janvier 2020, des médias internationaux de premier plan ont eus à traiter2. Le président des États-Unis s’est publiquement interrogé sur le sujet dès le mois d’avril 2020 en dépit de la gravité des possibles conséquences diplomatiques. Sans prendre parti sur le caractère sérieux ou non de cette donnée, proposer une analyse juridique du sujet peut être intéressant.

Par Clément Diakonoff le 22 Mai 2020

Il est indéniable, en l’état des données en notre possession, que la pandémie de covid-19 s’est propagée de manière non maîtrisée et en dehors d’un conflit armé.

La diffusion rapide et massive de fake news relayant des rumeurs selon lesquelles le covid-19 aurait été créé en laboratoire a néanmoins conduit l’auteur de ces lignes à s’interroger sur la notion d’arme chimique et de « bioterrorisme ».

En partant de l’hypothèse que la propagation de l’épidémie est le fruit de l’action volontaire et intentionnelle d’individus, la question qui se pose est la suivante : quels seraient les fondements permettant de réagir sur un plan strictement judiciaire ?

Répondre à cette question suppose de s’interroger avant tout sur le point suivant : quelle qualification juridique proposer contre le fait de « propager un virus » ?

Premier constat : cette maladie a touché sans distinction ethnique, raciale ou religieuse, la quasi- totalité de la planète.

De fait, à supposer que le virus ait une origine humaine non accidentelle, les qualifications de « crime de guerre » et de « crime de génocide » pourraient donc être écartées au profit de celle, plus englobante, de « crime contre l’humanité ».

Autre constat, le covid-19 n’a pas entraîné le décès systématique des personnes contaminées. Il a en revanche lourdement déstabilisé les économies nationales et instillé la peur chez les populations. En cela, la qualification d’acte de terrorisme peut aussi être envisagée comme nous le verrons ci-après.

Chacune de ces qualifications offre des possibilités en matière de réponse pénale.

Le « crime contre l’humanité » comme outil intéressant

L’intérêt de relativiser de cette qualification du point de vue du droit pénal international

En qualité d’État signataire et ratificateur du traité qui a créé la Cour pénale internationale, et parce que le « crime a été commis sur son territoire », l’État français peut saisir cette juridiction en retenant la qualification de « crime contre l’humanité »3. Cela implique en amont que soient identifiés les individus à l’origine de la création et de la propagation du virus.

Néanmoins, en application du principe de complémentarité prévu à l’article 17 du Statut de Rome, la Cour engagera des poursuites à la condition que l’État concerné n’ait ni la capacité ni la volonté de le faire.

La France dispose de juridictions efficaces. Surtout, en opportunité, il est peu concevable que le gouvernement français délègue à un organe extérieur le soin de traiter d’éventuelles poursuites pour des raisons politiques : cette pandémie a fait plusieurs dizaines de milliers de morts sur notre territoire.

Cette épidémie est apparue et s’est propagée à l’étranger. Cependant, une extension du champ d’application de la loi pénale française dans l’espace est possible, à partir du moment où un des faits constitutifs de l’infraction a eu lieu sur le territoire français4. Dès lors, les juridictions françaises peuvent se déclarer compétentes.

Le réel intérêt de cette qualification : flexibilité et imprescriptibilité

De manière pratique, la notion de « crime contre l’humanité » n’est pas un concept juridique lointain. Elle est prévue dans notre droit interne.

Surtout, la France dispose d’un pôle spécialisé au tribunal de grande instance de Paris, qui regroupe des magistrats compétents.

L’intérêt d’aborder la propagation volontaire d’un virus sous l’angle de la qualification juridique de « crime contre l’humanité » est double.

Cette qualification est extrêmement flexible. Il n’en existe pas une définition unique5. Le code pénal consacre un chapitre au génocide et un autre aux « autres crimes contre l’humanité ».

Sous cette dernière appellation, le législateur a prévu de réprimer les actes « commis en exécution d’un plan concerté à l’encontre d’un groupe de population civile dans le cadre d’une attaque généralisée […] », à savoir, entre autres, les « actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou psychique »6.

Il est donc tentant d’appliquer cette définition à l’acte qui consiste à avoir diffusé volontairement le coronavirus Sars-CoV-2, qui provoque chez l’homme la maladie du covid-19 dans l’hypothèse où il s’agit du fruit d’un plan criminel réfléchi.

Surtout, et c’est là le principal intérêt d’une telle qualification, les crimes contre l’humanité sont les seuls qui sont actuellement imprescriptibles en France7. Dans l’hypothèse où la propagation du virus s’est inscrite dans le cadre d’une action organisée à des échelons gouvernementaux, avoir la possibilité d’identifier les responsables dans le temps et de les traduire devant une juridiction dans plusieurs dizaines d’années est une garantie procédurale majeure.

Une des spécificités de la pandémie de covid-19 est son coût économique. Rien que pour la France, un organisme indépendant de recherche évalue la perte d’activité durant les huit semaines de confinement à 120 milliards d’euros8.

Comme l’a parfaitement souligné M. Molins, alors procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris, « l’incrimination terroriste entend protéger, au même titre que la personne humaine, les biens de l’humanité et ceux des États. À l’opposé, l’incrimination de crime contre l’humanité ne protège les biens que de manière très secondaire9. En cela, et au regard de l’observation précédente, la qualification terroriste peut être sérieusement envisagée.

La qualification terroriste comme outil performant

« Constitue également un acte de terrorisme […] le fait d’introduire dans l’atmosphère […] une substance de nature à mettre en péril la santé de l’homme […]. »10

Cette « découpe » de l’article 421-2 du code pénal, bien que d’une concision brutale, permet de mettre évidence que la propagation volontaire dans l’air du covid-19 pourrait s’apparenter à un acte de terrorisme déjà prévu par la loi française : le « bioterrorisme »11.

Cela éviterait de se fonder sur la seule flexibilité de la notion déjà existante de « crime contre l’humanité » qui ne réprime pas explicitement et spécifiquement l’utilisation d’agents infectieux comme arme biologique.

Au-delà de l’acte en lui-même (le fait de propager volontairement un virus), il est une condition « tirée des circonstances particulières devant en accompagner la réalisation. Elle tient à l’exigence que l’acte commis l’ait été “en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur” »12.

Dans le cas de la pandémie de covid-19, il n’est pas difficile d’imaginer rapporter la preuve de l’existence de la finalité propre à cet acte, à savoir « troubler l’ordre public par l’intimidation ou la terreur », inscrire sa commission dans une logique de peur. Rappelons qu’à cause de cette pandémie, le gouvernement français a pris des mesures portant atteinte aux libertés fondamentales : celle de se déplacer en obligeant la rédaction préalable d’une attestation13 ; celle de se rassembler14 ; allongement automatique de la durée de détentions provisoires de personnes pourtant présumées innocentes15 ; mise en place envisagée d’une application numérique de traçage d’individus16, etc.

Des spécialistes soulignaient en 2004 que « l’utilisation d’agents infectieux comme arme biologique a jalonné l’histoire des conflits internationaux et des actes terroristes isolés »17. Néanmoins, aucune attaque bioterroriste au sens de l’article 421-2 du code pénal n’a pour le moment été officiellement recensée en France mais le système juridique français semble être en mesure de faire face si certaines fake news devenaient réalités.

Conclusion

« Comment juger les responsables du terrorisme international ? Convient-il de les déférer devant les juridictions étatiques nationales ou devant une juridiction commune, voire internationale ? Dans cette dernière hypothèse, quelles pourraient alors être les règles procédurales ? Conviendrait-il d’opter pour le droit continental ou la common law, voire pour des normes sui generis ? »18

Ces questions posées par M. Marin, procureur général près la Cour de cassation, dans un discours lors de la commémoration du jugement du Tribunal de Nuremberg, résument toute la portée des problématiques qui viendraient à émerger dans l’hypothèse de l’utilisation par des terroristes d’un virus comme arme chimique.

Au-delà des questions pratiques, comme celle de la possibilité de réunir des preuves à présenter devant la juridiction compétente, il semble que le système juridique français a dans son arsenal des dispositifs efficaces à la disposition des magistrats qui auraient à traiter d’un tel dossier.

 

 

Notes

1. Fake news : ce qui a trait à la diffusion de « fausses informations » (proposition de définition).

2. V. à ce propos : J. Taylor, Bat soup, dodgy cures and ’diseasology’: the spread of coronavirus misinformation, The Guardian, 31 janv. 2020 ; A. Taylor, Experts debunk fringe theory linking China’s coronavirus to weapons research, The Washington Post, 29 janv. 2020.

3. Statut de Rome, CPI.

4. C. pén., art. 113-2.

5. J.-F. Rouflot, Le crime contre l’humanité, L’Harmattan, 2002, p. 14.

6. C. pén., art. 212-1.

7. C. pén., art. 213-5.

8. Département analyse et prévision de l’OFCE, Sciences Po, Évaluation au 20 avril 2020 de l’impact économique de la pandémie de covid-19 et des mesures de confinement en France, p. 2.

9. V. C. cass, 70 ans après Nuremberg - Juger le crime contre l’humanité, discours de J.-C. Marin.

10. C. pén., art. 421-2.

11. T.S. Renoux, Juger le terrorisme, Cah. Cons. const. 2003. 5.

12. Rép. pén., Terrorisme, par Y. Mayaud, n° 144.

13. Décr. n° 2020-293, 23 mars 2020, prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’urgence sanitaire, art. 3.

14. Arr. 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, art. 2.

15. Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, art. 16.

16. V. sur ce sujet M. Untersinger, C. Hecketsweiler, F. Béguin et O. Faye, « L’application StopCovid retracera l’historique des relations sociales » : les pistes du gouvernement pour le traçage numérique des malades, Le Monde, 8 avr. 2020.

17. P. Bossi et F. Bricaire, Service de maladies infectieuses et tropicales, Hôpital Pitié-Salpêtrière de Paris, Bioterrorisme et manifestations respiratoires, Revue des maladies respiratoires, déc. 2004.

18. V. C. cass, 70 ans après Nuremberg - Juger le crime contre l’humanité, discours de J.-C. Marin, préc.