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Le quotidien du droit en ligne
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Le droit en débats

It’s easy to remember (and so hard to forget)…

Par Gautier Kaufman le 12 Novembre 2018

À propos des Souvenirs d’un chasseur de trésors littéraires de Jean-Claude Zylberstein, Allary éditions, 2018.

Jean-Claude Zylberstein, avocat en droit d’auteur, critique de jazz et de polars, éditeur, publie ses souvenirs en cinquante petits chapitres et 461 pages faciles à descendre. Ne dérogeant pas aux lois du genre, son « coquetel » contient un soupçon de nostalgie, qui n’est plus ce qu’elle était, des aventures pas que littéraires (notre chevalier n’est pas que celui des arts et des lettres), une dose d’anecdotes (du palais et des coulisses de l’édition), une pointe d’orgueil (« Mes décorations et moi »), une once de règlement de comptes (une chargée de cours antisémite d’Assas), mais surtout de précieux témoignages sur son itinéraire. Son père quitte la Pologne des pogroms et arrive en France un treize juillet. Paris est une fête, il renonce à partir pour l’Uruguay et la famille devient définitivement parisienne. Pendant la guerre, son paternel ne devra son salut qu’à l’alphabet – le camion en partance pour l’Allemagne est plein lorsque la liste arrive aux lettres ZYL… Le fils échappe à la Gestapo et, exfiltré, sera recueilli par des justes en Seine et Oise où il passe une enfance heureuse à la ferme en chanson.

De retour à Paris après-guerre, le pigiste Jean-Claude Dargenpierre (traduction littérale de Zylberstein) chronique dans Jazz Mag les nouveautés du be-bop et du Free-Jazz. Passionné par les livres de Paulhan, il déniche ses inédits, finit par rencontrer son mentor qui lui ouvre les portes de quelques salons, il participera à l’édition de ses œuvres complètes. L’éternel étudiant qui fréquente les clubs, recense ensuite les polars, puis laisse progressivement la place à l’éditeur de romans d’auteurs étrangers. Lecteur et mélomane, il brunche avec Duke Ellington, déjeune avec Romain Gary, rigole avec Topor, se promène avec Coltrane, prend l’apéritif chez Sagan, dîne avec Jim Harisson, flâne chez Simenon… mais se défend de toute mondanité. Devenu sur le tard avocat après l’abandon d’études de médecine, l’éditeur défend désormais les auteurs dans le prétoire.

Les portraits esquissés se succèdent dans une partition bien réglée : un homme de l’art, un dossier, retour du refrain. Le chapelet des « Mon ami… », donne une tournure orientale à son récit. Les portraits les plus intéressants sont ceux de ses confrères éditeurs (Bernard de Fallois, Christian Bourgois, Jérôme Lindon, Jean-Marc Roberts, Claude Tchou, et al.). Du commerce de ces esprits – en même temps maquignons des lettres – émane un charme certain. Détective à la recherche du texte perdu, il arpente bibliothèque et archives pour dénicher la pépite. Ces scènes de la vie parisienne, alternent entreprises littéraires et dossiers judiciaires dans un rythme à deux temps. Les affaires évoquées sont autant d’occasions de revisiter les grands arrêts du droit d’auteur. Il poursuit l’adaptation d’une pièce de Beckett féminisée mais défend le droit de publier une suite aux Misérables de Victor Hugo, tout comme la divulgation inédite des notes des cours de Roland Barthes au collège de France. Il milite pour la reconnaissance droit moral du contributeur d’une l’œuvre collective (un dictionnaire), et participe aux premiers développements du droit d’auteur sur internet avec l’affaire Brel.

La petite histoire rencontre parfois la grande, il renonce à une invitation à Bogota la veille de l’enlèvement d’Ingrid Betancourt. Nombreux sont les auteurs exhumés ou révélés par ce chasseur sans fusil (Dashiell Hammett, Robert Van Gulik, Somerset Maughan, John Fante, etc.). À la fin de la partie, le joueur abat ses cartes. Dans sa main, une dame de cœur, son épouse dédicataire du livre et destinataire des pages les plus émouvantes (voir l’incipit : « Ce recueil de petits faits vrais n’a qu’une ambition : témoigner de ce qu’il n’est jamais trop tard pour mieux faire. Mais il faut une motivation. La mienne s’appelait Marie-Christine. ») Notre publisher étant amateur de listes (salvatrices), on est tenté de suivre cette inclinaison.

Liste des mots rares : folliculaire, prurigineuse, peccamineuse, coquetel.
Liste des collections dirigées
 : « 10/18 », « Domaine étranger » « Grands détectives », « Texto ».
Liste des grands juristes
 : Jean Carbonnier, Georges Kiejman, Raymond Lindon, Huguette Le Foyer de Costil, Guy Canivet , le juge TI.
Liste des politiques
 : Winston Churchill, François Mitterrand, Jacques Delors, Jack Lang, Ingrid Betancourt, Hubert Védrine.
Le livre se termine par une ordonnance, son top 100
 : cinquante Jazzmen et cinquante écrivains étrangers. À bon entendeur ! Au grand commandeur des livres, le lecteur reconnaissant.