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Le droit en débats

Les aménagements de peine dans l’œil du cyclone présidentiel

Dans un discours remarqué1 à l’École nationale d’administration pénitentiaire, le président de la République a présenté un plan destiné à retrouver le sens et l’efficacité des peines. Ce plan repose sur deux piliers annoncés : l’effectivité de la peine, et la dignité de la personne détenue2.

Par Julien Goldszlagier le 13 Mars 2018

Sans négliger l’importance que peut revêtir cette seconde question dans une société contemporaine où la sensibilité pour les atteintes à la dignité individuelle est douloureusement heurtée par l’effet même de la répression pénale3, l’enjeu de l’effectivité des peines, en ce qu’il suscite un débat public animé et structurant , mais repose in fine sur une organisation légale, administrative et humaine complexe, mais mal connue du grand public, gagne peut-être davantage à l’éclairage technique.

C’est à un exercice ambitieux que s’est livré le président de la République, en inscrivant une critique du système actuel et des propositions visant à le réformer dans la perspective plus vaste d’un examen collectif sur le sens de la peine.

S’agissant, plus précisément, de l’effectivité, il affirme ainsi que : « L’effectivité c’est de s’assurer qu’une peine telle qu’elle est prononcée a vocation à être exécutée, que les délais sont réalistes et que les modalités correspondent aux fonctions de la peine que je rappelais il y a un instant ».

Une explication qui marque, en creux, un jugement sévère sur le dispositif issu des lois de 2004, 2009 et 2014 qu’il juge « à bout de souffle, en tout cas en impasse », estimant ainsi : « Il faut rompre avec le caractère systématique et hermétique des règles d’exécution des peines qui ne doivent pas n’être qu’un corpus pour ultraspécialistes. La peine prononcée par le juge, elle l’est au nom du peuple français, elle doit réparer un mal causé à la communauté et pour cela être lisible précisément pour que la communauté estime que le mal est réparé. Je n’adhère pas la vision qui voudrait que le juge correctionnel soit le juge de la culpabilité et du quantum de la peine tandis qu’on laisserait pour plus tard, en un temps non public, la question de la nature et des modalités de la peine. Je n’accepte pas non plus que cet aménagement des peines soit la variable d’un calcul complexe que personne ne maîtrise.

En transformant trop souvent une peine d’emprisonnement prononcée par un juge en audience publique en une autre par un autre juge dans son cabinet, on déresponsabilise quelque part toute la chaîne judiciaire. On prononce une peine de prison ferme parce qu’elle est nécessaire tout en sachant qu’elle va être aménagée, comme si l’on voulait symboliquement marquer une gravité – je vous condamne à la prison – en sachant toutefois que cette peine ne sera pas appliquée parce qu’inutile ou disproportionnée. C’est ce système qui a fait fleurir le prononcé de courtes peines d’emprisonnement devenu par excellence la décision qui n’engage à rien. Et lorsque tout le monde est déresponsabilisé, plus personne ne tient le système ».

À la vigueur des termes près, c’est une analyse que de nombreux professionnels peuvent partager : hermétisme du système répressif, et dilution de la responsabilité décisionnelle. Ce ne sont pas tant les principes qui défaillent, non plus que les acteurs, mais la mécanique elle-même, finement, mais profondément inscrite dans le complexe légal et réglementaire destiné à donner aux principes leur expression.

Pour l’essentiel, l’architecture du dispositif actuel repose sur le principe selon lequel les peines d’emprisonnement d’une durée inférieure à deux ans (un an pour une condamnation en récidive légale) sont susceptibles de faire l’objet d’un aménagement sous forme de semi-liberté (hébergement nocturne en établissement pénitentiaire), de placement sous surveillance électronique (bracelet électronique), de placement extérieur (hébergement hors établissement pénitentiaire), voire pour les peines les plus légères (inférieures à six mois), une conversion en jours amende ou en sursis assorti d’un travail d’intérêt général. L’aménagement peut être décidé par le tribunal correctionnel au jour de la condamnation s’il est en mesure de le faire5, ou à défaut, par le juge de l’application des peines, saisi par le seul effet de la condamnation.

De fait, une telle procédure, largement mystérieuse pour le grand public et le condamné lui-même, conduit le juge correctionnel à prononcer publiquement une peine d’emprisonnement, tout en confiant au juge de l’application des peines, par l’effet de la loi6, le soin d’organiser un autre régime que celui de l’incarcération. Un tel fonctionnement est propice à la suspicion collective, pour ne rien dire du sens du procès pénal et de la peine qui en est issue pour le condamné7.

Qu’en est-il du plan annoncé à cet égard ?

De ce qu’on peut déduire de propos nécessairement empreints de généralité, le dispositif nouveau semble s’articuler autour des principes suivants.

1. Au delà d’une année d’emprisonnement prononcé, aucun aménagement ne sera possible.

2. Entre un mois d’emprisonnement et un an, les peines pourront faire l’objet d’un aménagement, lequel sera décidé par le tribunal correctionnel :

Pour les peines inférieures à un an, nous mettrons un terme à l’automaticité. C’est le tribunal qui devra décider expressément d’un aménagement au vu du profil de la personne et non plus en se soumettant à un système automatique.

Le régime proposé, notamment quant à l’économie des pouvoirs entre le juge correctionnel et le juge de l’application des peines, est éclairé par les résultats des chantiers de la justice initiés par le Gouvernement : ainsi, le tribunal correctionnel devra décider seul du principe d’un aménagement et en confiera l’exécution au juge de l’application des peines s’il ne s’estime pas suffisamment informé8.

De fait, la procédure d’aménagement apparaît perdre le caractère automatique qu’elle avait pu acquérir du fait de l’application de l’article 723-15, étant rappelé toutefois que « l’automaticité » de la procédure d’aménagement ne garantit nullement son succès, et que de nombreuses peines aménageables conduisent à l’incarcération du condamné à raison, notamment, de sa défaillance.

3. En deçà de six mois, l’emprisonnement pourrait être prononcé, mais à titre exceptionnel.

« La décision de placer en détention peut s’avérer nécessaire même en deçà de six mois mais elle ne restera ouverte au juge correctionnel que si celui-ci assume cette décision et que si elle s’explique au regard de la personnalité du condamné et non en déléguant un possible aménagement à un autre juge. Je souhaite donc que pour les peines prison de moins de six mois, elles soient dûment motivées, pleinement assumées par le juge et considérées comme exceptionnelles ».

Encore une fois, la restitution des travaux sur le chantier de la justice relatif à la peine éclaire le propos présidentiel9 : il s’agit de limiter la possibilité pour le juge de recourir à la mise à exécution de la peine d’emprisonnement sous forme d’incarcération pour une peine inférieure à six mois, et de lui imposer une motivation particulière en ce sens.

4. Enfin, aucune peine de moins de moins d’un mois d’emprisonnement ne pourrait être prononcée.

L’architecture nouvelle, telle qu’on peut la deviner, repose ainsi sur un recours plus ou moins aisé à l’aménagement selon la gravité de la peine prononcée par le juge correctionnel, celui-ci se trouvant seul investi de la charge de déterminer au stade du jugement si la peine prononcée s’exercera sous la forme d’une incarcération, ou pourra faire l’objet d’un aménagement.

 

Durée de l’emprisonnement prononcé

Exécution

Inférieur à un mois Impossible
Entre un mois et six mois Sous forme d’aménagement par principe, sauf décision dûment motivée par le tribunal
Entre six mois et un an

Sous forme d’incarcération ou d’aménagement sur le tribunal le décide. Les modalités de l’aménagement peuvent être confiées au juge de l’application des peines

Au-delà d’un an Exécution sous forme d’incarcération

 

C’est de cette façon que sont combattus les griefs principaux d’hermétisme de la procédure et de déresponsabilisation de ses acteurs que le président de la République prête au système actuel. L’alternative qu’il entend lui substituer repose en effet sur le principe d’un aménagement décidé par le juge correctionnel à l’audience, pour, d’une part, restituer un caractère public à l’exécution de la peine prononcée, y compris sous la forme de l’aménagement, et d’autre part, pour inciter le juge correctionnel à mesurer le recours au prononcé de peines d’emprisonnement ferme, faute de pouvoir en remettre le destin au collègue juge de l’application des peines.

Il est toujours malaisé de se prononcer, en l’absence de texte à scruter, sur l’équilibre ou la cohérence fine du dispositif annoncé. Cependant, sur la seule foi des grandes lignes évoquées, il est possible de faire valoir quelques observations.

Sur la publicité de la peine

Pour obvier les suspicions d’une procédure occulte, le nouveau dispositif doit remettre au juge correctionnel, en audience publique, le choix d’aménager ou d’exécuter la peine d’emprisonnement.

Décider d’un aménagement, cependant, suppose de pouvoir raisonnablement parier sur son succès. Car en cas d’échec, et à quelque horizon que ce soit, se profile l’emprisonnement10. Octroyer un aménagement impossible n’est qu’une autre façon de tromper le public, et le condamné.

Une mesure d’aménagement qui repose sur la sujétion volontaire de celui qui y est soumis (comme le placement sous surveillance électronique ou la semi-liberté), se doit d’imposer des contraintes cohérentes avec les conditions de vie objectives de l’intéressé : octroyer un bracelet électronique à domicile au condamné pris dans un conflit familial ou conjugal intense compromet les chances du respect de l’obligation d’assignation à résidence, et de fait, le succès de l’exécution de la mesure d’aménagement.

Aussi, pour envisager un aménagement lors de l’audience correctionnelle11, le juge doit bénéficier d’informations utiles sur la personnalité du condamné au jour du jugement. Certes, l’enquête ou l’instruction ont pu permettre de recueillir certains éléments, mais ils sont souvent lacunaires, et soumis aux aléas de la vie des justiciables, qui ont pu trouver un emploi ou le perdre, changer de logement ou le perdre, initier une relation de couple ou y mettre fin, souffrir d’une affection médicale subite.

C’est de fait au justiciable qu’il revient12, le plus souvent, de porter à la connaissance du juge les informations sur sa personnalité au jour du prononcé de la peine.

Encore faut-il qu’il soit présent, et qu’il se prête à l’exercice, ce qui aujourd’hui, nonobstant les avertissements donnés lors de la convocation devant le tribunal, et le concours des avocats de la défense, est loin d’être le plus fréquent. En sorte que l’on voit mal comment le tribunal correctionnel pourrait, en pratique, décider utilement d’un aménagement13.

Le dispositif nouveau prévoit ainsi que le tribunal peut décider du principe d’un aménagement mais en remettre les modalités au juge de l’application des peines.

La procédure devant le tribunal correctionnel cependant, est publique, tandis que la procédure devant le juge de l’application des peines se déroule en chambre du conseil, autrement dit, hors la présence du public.

Et il apparaît dès lors que le mécanisme prévu de renvoi au juge de l’application des peines des conditions de l’aménagement, contrarie l’exigence de publicité et de lisibilité de la sanction pénale appelée par le président de la République, et n’est pas de nature à apaiser la méfiance qu’il exprime pour la relégation « dans un temps non public, la question de la nature et des modalités de la peine ».

En réalité, de ce point de vue, le nouveau dispositif ne change pas grand-chose, sinon, que le juge correctionnel, au lieu de taire l’existence de la procédure d’aménagement14, la rendra publique par sa décision.

C’est un pas vers la clarification, mais qui n’épuise pas le problème.

Sur la persistance de l’ambiguïté du système

Le projet, en effet conserve l’une des ambiguïtés inhérente au système actuel, portée par la notion même « d’aménagement ». Lorsque l’on prononce une peine d’emprisonnement, mais qu’elle est aménagée en bracelet électronique, c’est largement tordre le sens des mots que de prétendre que la peine d’emprisonnement est exécutée « sous la forme » d’un placement sous surveillance électronique. La loi peut fléchir beaucoup la sémantique, mais pas la renverser. C’est au reste ce qui s’évince des propos tenus par le président de la République : « Cette effectivité c’est de s’assurer qu’une peine telle qu’elle est prononcée a vocation à être exécutée », et plus loin : « le juge de l’application des peines est systématiquement saisi pour les peines d’emprisonnement correctionnel allant jusqu’à deux ans. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que quand la peine est prononcée, (…) elle a vocation à être immédiatement réformée ».

L’identification de l’aménagement de la peine et de sa réformation, traduit bien l’idée que le processus, en réalité, modifie la nature de la peine, et non point ses seules modalités d’exécution, comme en atteste encore le verbe présidentiel : « Le système actuel dysfonctionne parce que la différence entre les peines prononcées et les peines réelles est devenue incompréhensible pour nos concitoyens et au premier chef pour les victimes. »

On s’explique à cet égard assez mal la coexistence d’une future peine autonome de « détention domiciliaire sous surveillance électronique », par hypothèse différente par nature de la peine d’emprisonnement délictuel, et d’une mesure d’aménagement de l’emprisonnement appelé « placement sous surveillance électronique ». Soit le placement sous surveillance électronique est une peine autonome, soit il constitue une modalité d’exécution de la peine d’emprisonnement, mais la coexistence est aporétique.

Une perspective clarificatrice pourrait consister à renoncer à la notion même « d’aménagement », pour lui préférer une extension du portefeuille des peines à la disposition du juge correctionnel15. Plutôt que de prononcer une peine d’emprisonnement qu’il assortirait d’une décision d’aménagement, celui-ci ordonnerait la nouvelle peine autonome de « détention domiciliaire sous surveillance électronique », par exemple, ou une peine de semi-liberté, ou encore, déterminerait une durée de contrainte dont le juge de l’application des peines préciserait les conditions d’exécution.

En revanche, dès lors qu’une peine d’emprisonnement aurait été prononcée, elle s’exécuterait sous la seule forme de l’incarcération du condamné.

La différence avec le régime proposé par le président de la République est ténue, mais aurait l’avantage de servir mieux l’objectif d’intelligibilité de la peine qu’il défend.

Et de prévenir également une difficulté technique qui est au cœur de processus d’aménagement et de ses impérities.

Sur la question du quantum aménageable

Dans le système actuel, le juge correctionnel peut procéder à l’aménagement de la peine qu’il prononce dans une limite de deux ans d’emprisonnement16, alors que le juge de l’application des peines est limité par le total des condamnations dont il a été saisi17.

En pratique les aménagements prononcés par le tribunal correctionnel sont rares, car les éléments de personnalité en sa possession au jour du jugement le permettent rarement, et que les juges préfèrent remettre cette décision au juge de l’application des peines, à qui ils prêtent le temps et les moyens nécessaires à l’instruction de telles mesures18.

Nuance subtile, mais décisive : le juge de l’application des peines doit examiner la situation pénale du condamné au regard de la totalité de ses condamnations. Si ce dernier a fait l’objet de trois condamnations pour des durées d’emprisonnement respectives inférieures à deux ans, mais que le total des condamnations excède cette limite, il ne peut, en principe, procéder à un aménagement. Une telle limite n’est pas absurde (on voit mal le sens d’un aménagement sous forme de placement sous surveillance électronique de quatre peines de deux ans d’emprisonnement), mais elle pose des problèmes pratiques considérables.

Ainsi, un tribunal correctionnel qui prononce une peine de six mois fermes, l’estimant susceptible d’être convertie en sursis assorti d’un travail d’intérêt général, peut en réalité envoyer le condamné en détention, du fait de plusieurs condamnations antérieures qu’il ignore, et qui élèvent le total de son quantum d’emprisonnement à plus de vingt-quatre mois19.

Qu’adviendra-t-il dans le futur dispositif ?

À notre connaissance, le problème n’a pas été soulevé à ce stade. Il conditionne pourtant largement les effets de la réforme.

Si, comme aujourd’hui, le juge de l’application des peines est saisi de l’ensemble de la situation pénale du condamné, et qu’il se trouve limité par un quantum total d’une année, contre deux années auparavant20, il se heurtera aux mêmes difficultés, mais de façon plus intense et rigide21.

Il est ainsi raisonnablement envisageable, au regard de la quantité de peines d’emprisonnement inférieures à un an prononcées par les juges français, que le nombre d’incarcérations croîtra de façon mécanique, parce que le quantum total de peine non exécutée par le condamné est plus rapide à atteindre, que la marge du juge correctionnel sera plus faible, et, last but not least22, à raison de l’impossibilité de prononcer des peines inférieures à un mois, ce qui a pour effet de fixer un seuil minimal23.

En forme de bilan provisoire, donc, on doit constater que le dispositif qui s’évince du plan annoncé n’apparaît pas devoir modifier en profondeur les tendances structurelles de la réponse pénale. Sans doute le diagnostic n’est-il pas dépourvu de mérites, mais les réponses qu’il apporte n’apparaissent pas, en première lecture, de nature à altérer significativement les équilibres actuels24.

Peut-être n’est-ce d’ailleurs pas l’objectif qu’il convient de viser. Peut-être la quête du sens de la peine pourrait trouver un premier pas dans la compréhension collective de la réponse pénale ; ce qui suppose que la démarche de choix de la peine et de ses contraintes soit connue. Cela passe sans doute par une simplification du système, mais, comme toute simplification trouve une limite, par la mise au jour du cœur de la machine : la publicité, même limitée25, de la procédure d’application des peines n’est certainement pas aisée à organiser26, et plus difficile encore à financer, mais elle permettrait peut-être de lever quelques suspicions, ainsi que de faire œuvre pédagogique pour la communauté, et pour le condamné devant elle. Une perspective modeste pour un changement bien lourd, il est vrai.

On pourrait à cet égard se permettre une forme de regret : que le président de la République ait cédé à l’affirmation d’une ambition trop immense27  à l’endroit du système judiciaire, de ses acteurs, et des justiciables.

C’est une tentation politique à laquelle on s’abandonne facilement en terre de France, mais elle n’est pas le meilleur horizon à donner à la Justice, qui doit s’accommoder, le plus souvent, des failles et fragilités de l’âme humaine, parfois de ses béances. Les prisons ne débordent pas de boulangers pères de famille surpris par le sort dans une récidive de conduite en état alcoolique. On y trouve en revanche de nombreuses personnes atteintes de psychoses mal soignées, difficilement aptes au travail et aux relations sociales, rétifs à la frustration, et mal armés pour supporter la charge contraignante qu’exige l’exécution d’une peine de probation. Le parcours pénal des personnes détenues, souvent, est un journal de l’échec des mesures alternatives à l’emprisonnement, échec que l’incarcération, finalement, constate. Sans doute le système pénal peut-il mieux faire, resserrer davantage les mailles du filet social, mais pas au point que nul n’y échappe.

Présenter, comme une réponse à un diagnostic si sévère de simples ajustements techniques, à l’effectivité incertaine au demeurant, c’est sans doute promettre trop, et risquer de décevoir beaucoup, y compris soi-même.

 

 

L’auteur précise que les propos tenus n’apartiennent qu’à lui et n’engagent pas le parquet de Paris, non plus que ses collègues magistrats

 

 

1.  Mais pas encore publié au jour de l’écriture de ces lignes.
2. Et non pas « condamnée », ce qui, malgré tout, constitue une concession au moins sémantique au tropisme carcéral du système pénal que l’on dénonce parfois.
3.  Et a fortiori par les sujétions qu’impose le principe même d’une sanction pénale telle que l’emprisonnement.
4.  Ainsi que l’a rappelé le président de la République, mais également comme en attestent les réactions plutôt vives de ses adversaires politiques, comme des organisations représentatives de magistrats.
5.  Ce à quoi l’invite fortement l’art. 132-19 c. pén. La chambre criminelle, au reste, censure la cour d’appel qui refuse de se prononcer sur un aménagement : « Attendu qu’il résulte de ce texte que le juge qui prononce une peine d’emprisonnement sans sursis doit en justifier la nécessité au regard des faits de l’espèce, de la gravité de l’infraction, de la personnalité de son auteur, de sa situation matérielle, familiale et sociale ainsi que du caractère inadéquat de toute autre sanction ; que, dans le cas où la peine n’est pas supérieure à deux ans, ou à un an pour une personne en état de récidive légale, le juge, s’il décide de ne pas l’aménager, doit en outre motiver spécialement cette décision, soit en établissant que la personnalité et la situation du condamné ne permettent pas un tel aménagement, soit en constatant une impossibilité matérielle », Crim. 29 juin 2016, n° 15-82.114, AJ pénal 2016. 551, obs. M. H.-Evans .
6.  En l’occurrence, l’art. 723-15 c. pr. pén., qui en constitue le pivot : « Les personnes non incarcérées (…) condamnées à une peine inférieure ou égale à deux ans d’emprisonnement (…) bénéficient, dans la mesure du possible et si leur personnalité et leur situation le permettent, (…), d’une semi-liberté, d’un placement à l’extérieur, d’un placement sous surveillance électronique, d’un fractionnement ou d’une suspension de peines, d’une libération conditionnelle ou de la conversion prévue à l’art. 132-57 c. pén. Les durées de deux ans prévues par le présent alinéa sont réduites à un an si le condamné est en état de récidive légale ».
7. Pour des développements sur ce point, v. Dalloz actualité, 20 avr. 2017, obs. J. Goldszlagier.
8. Chantiers de la Justice : les axes de la réforme : « Le tribunal décide effectivement soit de placer le condamné en détention à domicile sous surveillance électronique, soit en détention, soit, s’il ne s’estime pas suffisamment informé, il pourra saisir le juge d’application des peines pour que la peine soit aménagée. »
9. Chantiers de la Justice : les axes de la réforme : « Cette mesure représente environ 80 000 peines prononcées par an. L’exécution de ces peines se fera par principe en dehors d’un établissement de détention, soit dans le cadre d’une détention à domicile sous surveillance électronique, d’une semi-liberté ou d’un placement extérieur. Mais si le juge estime que l’incarcération est nécessaire, il pourra la prononcer ; Environ 60 % des personnes exécutant leur peine pourront bénéficier de ce nouveau régime, tandis que 40 % continueront d’exécuter la peine en établissement, notamment à la suite d’une comparution immédiate suivie d’une condamnation avec mandat de dépôt. »
10. Qu’on le regrette ou s’en rassure, l’emprisonnement demeure la sanction de l’échec de tout aménagement et peine destinée à s’y substituer. À la façon de feu l’art. 1142 c. civ., on pourrait dire que toute obligation pénale de faire ou ne pas faire se résout en emprisonnement.
11. Comme il est du reste possible aujourd’hui aux termes des art. 132-25 et 132-26-1 c. pén.
12. Et qu’il reviendra, en pratique, nonobstant toute institution administrative nouvelle, laquelle ne peut, par hypothèse disposer de la connaissance en temps réel de tous les justiciables. Aussi utile que soit le projet annoncé par le président de la République d’un dossier unique de personnalité, sur le modèle de celui qui accompagne le mineur devant le juge des enfants, et à supposer même que les moyens annoncés le permettent, il est à craindre que l’état du dossier au jour de l’audience ne suffise pas à la connaissance du juge, ne serait-ce que parce que les conditions de vie de la personne adulte – et en particulier la personne adulte qui rencontre la justice pénale – sont plus variables que celle de l’enfant connu par les acteurs de la justice des mineurs dans une période de temps restreinte. Et ce, sans même considérer le coût que pourrait représenter le traitement et le coût de l’actualisation utile d’un tel dossier. En réalité, il faut admettre que le dossier ne sera pertinemment renseigné qu’après la décision, pendant l’exécution d’une mesure, et non pas au jour du jugement, ce qui exigerait des ressources humaines infinies.
13. Sauf à procéder à un renvoi d’audience en vue d’obtenir les éléments utiles. Une telle mesure revient à instituer une césure du procès, laquelle est déjà possible aujourd’hui, mais il est à craindre qu’elle soit peu utilisée, car rien ne garantit que les informations pertinentes pourront être obtenues au jour de l’audience de renvoi, et la possibilité de s’en remettre au juge de l’application des peines offre une voix plus aisée pour l’ensemble de la chaîne pénale.
14. Et encore, il n’est pas rare que le juge lorsqu’il rend son délibéré ou le parquet lors de ses réquisitions s’expriment sur le principe de l’aménagement pour appuyer le choix de la peine.
15. Une perspective du reste annoncée par le président de la République. La création de peines autonomes, notamment de « détention domiciliaire » permettra au juge de choisir parmi un arsenal répressif plus varié, plutôt que de devoir s’en remettre au processus d’aménagement. Mais alors, est-on tenté de s’interroger, pourquoi en maintenir le principe ?
16. Les art. 132-25 et 132-26-1 c. pén. prévoient que le tribunal correctionnel peut aménager ab initio « une peine inférieure ou égale à deux ans d’emprisonnement ».
17. Les art. 723-1 et 723-7 c. pr. pén. prévoient que le juge de l’application des peines peut aménager « une ou plusieurs peines privatives de liberté dont la durée totale n’excède pas deux ans ».
18. En tous cas, un temps et des moyens plus important que ceux qu’ils peuvent consacrer à cette question dans le temps de l’audience correctionnelle ordinaire.
19. Cette difficulté liée à l’information du tribunal, au reste, soulève de façon plus générale le problème du traitement par la chaine pénale des condamnations prononcées. À cet égard, le président de la République note justement la congestion des services de l’application des peines, qui retarde la mise en œuvre des aménagements, et favorise l’accumulation des condamnations jusqu’au dépassement du quantum aménageable. Ce constat peut être étendu à l’ensemble des services qui ont en charge l’exécution des peines (de la mise en forme et la signature des jugements, à leurs signification au condamnés lorsqu’ils sont absents, leur inscription au casier judiciaire, leur transmission au juge de l’application des peines compétent). Il est probablement peu de professionnels intéressés qui jureraient que cette partie de la chaîne pénale a fait l’objet d’allocations de moyens à la mesure des préoccupations du président de la République, telles qu’il les exprime.
20. Hors récidive légale.
21. Si, à l’inverse, la question du quantum aménageable ne devait plus constituer un obstacle au cumul des mesures, il ne serait pas rare de rencontrer des situations dans lesquelles un condamné exécuterait sous forme d’aménagement une durée largement plus élevée que le quantum d’un an, posé comme limite intangible. Ce qui pourrait apparaître comme rendre la rançon discrètement permissive d’une fermeté prétendue, et, au regard de la réflexion à laquelle invite le président de la République sur le sens de la peine, quelque peu absurde.
22. Mais marginalement, il est vrai.
23. Le président de la République a annoncé que les très courtes peines d’emprisonnement, inférieures à un mois, seraient proscrites, en raison de l’atteinte portée à la situation professionnelle et familiale de l’intéressé et de l’absence de bénéfice en matière de réinsertion. Exposée ainsi, la mesure apparaît favorable au condamné. En réalité, une telle disposition aurait pour effet d’imposer une peine minimum d’emprisonnement pour l’ensemble des délits. Si on peut penser que la jurisprudence du Conseil constitutionnel ne ferait pas obstacle à un tel minimum (Cons. const. 9 août 2007, n° 2007-554 DC, AJDA 2008. 594 , note A. Jennequin ; D. 2008. 2025, obs. V. Bernaud et L. Gay ; RSC 2008. 133, obs. B. de Lamy ; ibid. 136, obs. B. de Lamy ; ibid. 2012. 897, obs. X. Salvat ; J. Pradel, Enfin des lignes directrices pour sanctionner les délinquants récidivistes, D. 2007. 2247 ), il faut avoir égard à la réaction du juge. Il est des magistrats pour prêter une vertu au seul choc carcéral, et dans cette perspective, une peine d’emprisonnement de quelques jours constitue une option envisageable. Sans doute une peine de quelques jours d’emprisonnement n’a guère de vertu d’amendement, mais, dès lors que ce n’est pas l’effet recherché par le juge, on peut douter de l’efficacité de la mesure envisagée pour réorienter son choix, en sorte que l’on peut craindre une augmentation mécanique de la durée moyenne des courtes peines. Ainsi en va-t-il des seuils, qui en matière pénale opèrent comme des attracteurs étranges, autour desquels s’ordonnent dans une régularité indiscernable, les difficultés et paradoxes.
24. Sinon, paradoxalement, par une hausse mécanique des incarcérations.
25. Au soutien de la discrétion actuelle du système, on peut avancer que l’aménagement de la peine procède d’une forme d’ingénierie sociale et humaine, qui ne trouve guère d’intérêt à souffrir l’exposition publique. Si l’on ajoute à cela des investigations parfois nécessaires sur les recoins de la vie intime du condamné, et la pudeur que, malgré tout, la justice lui doit un peu, on comprend l’intérêt de procéder de la sorte. Très prosaïquement, l’organisation de la publicité de la procédure d’aménagement de la peine n’apparaît pas de nature à réduire la congestion du service de l’application des peines constatée par le président de la République.
26. Notamment s’agissant des condamnés détenus.
27. Peut-être trop prométhéenne. Mais c’est un grief qu’il est facile de pardonner à un dirigeant politique.