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Le droit en débats

Constitution corse ou la Corse dans la Constitution ?

Par Dominique Rousseau le 19 Février 2018

En 1991, le Conseil rend une décision curieuse. Il censure la phrase de l’article 1er de la loi Joxe énonçant que « La République française garantit à la communauté historique et culturelle vivante que constitue le peuple corse, composante du peuple français, les droits à la préservation de son identité culturelle et à la défense de ses intérêts économiques et sociaux spécifiques. Ces droits liés à l’insularité s’exercent dans le respect de l’unité nationale, dans le cadre de la Constitution, des lois de la République et du présent statut. » Motif : attesté par de nombreux textes constitutionnels depuis deux siècles, le peuple français est un « concept juridique a valeur constitutionnelle et, en conséquence, la mention faite par le législateur du « peuple corse, composante du peuple français » est contraire à la constitution laquelle ne connait que le peuple français composé de tous les citoyens français sans distinction d’origine, de race ou de religion. Mais il valide le statut particulier que la loi accorde à la Corse : organisation institutionnelle quasi-parlementaire puisque l’exécutif est responsable devant l’Assemblée corse ; insertion dans le temps scolaire de l’enseignement de la langue et de la culture corses ; … En d’autres termes, le Conseil admet que la Corse soit une nouvelle catégorie de collectivité territoriale, seule de son espèce et dotée d’un statut propre mais refuse de reconnaître ce qui fonde cette spécificité institutionnelle, « la communauté historique et culturelle vivante que constitue le peuple corse composante du peuple français ».

Vingt-sept ans après cette décision, il convient de lever cette bizarrerie juridique. Sans refaire le match jacobins versus girondins, Robespierre versus Danton. Chaque époque se construit sur un principe et le principe jacobin ne dit plus l’époque d’aujourd’hui. Ce qu’observait François Mitterrand, pourtant jacobin, lorsqu’il déclarait après son élection : « La France a eu besoin d’un pouvoir centralisé pour se faire, elle a besoin d’un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire ». Pour s’opposer à cette perspective, il est souvent dit que la constitution de 1958 définit la République comme étant « une et indivisible ». Erreur ! La constitution de 1793 retenait cette définition comme la constitution de 1848. Mais cette rédaction est supprimée en 1946 et en 1958 au profit d’un simple « la France est une République indivisible ». Au demeurant, le mot « indivisible » est difficile à saisir. Par exemple, dans la première constitution française, celle du 3 septembre 1791, l’article 1er qui affirme que « le Royaume est un et indivisible » se trouve dans le titre II qui s’intitule « De la division du Royaume et de l’état des citoyens » ! De même que l’indivisibilité du Royaume n’interdisait pas que son territoire soit distribué en départements, l’indivisibilité de la République n’interdit pas que son territoire soit distribué en communes, départements, régions ou collectivités territoriales à statut particulier. D’autant que, depuis la révision de 2003, la constitution précise, dès son article 1er, que l’organisation de la République est « décentralisée ».

La « question » corse s’inscrit dans cette logique décentralisatrice. Depuis longtemps, le législateur a reconnu la spécificité de la Corse : loi du 2 mars 1982 portant statut particulier de la région Corse, loi du 13 mai faisant de la Corse une collectivité territoriale à statut particulier, loi du 22 janvier attribuant de nouvelles compétences à la Corse, loi du 7 août 2015 qui ne dénomme plus l’île « collectivité territoriale » mais « collectivité de Corse ». Et ce, toujours dans le cadre de l’article 72 de la constitution. En conséquence, il serait possible d’insérer dans cet article un nouvel alinéa disposant que « la Corse est une collectivité de la République qui exerce son droit à la différenciation législative et réglementaire dans le cadre d’un statut défini par une loi organique ».

À l’intérieur d’une même catégorie de collectivités, le Conseil constitutionnel admet que toutes les collectivités relevant de cette catégorie n’exercent pas les mêmes compétences. Or la Corse est et serait une collectivité seule dans sa catégorie ; elle pourrait donc se voir reconnaître des pouvoirs en matière législative, réglementaire ou fiscale que ne possèdent pas les collectivités relevant d’une autre catégorie ; et cette différenciation ne porterait pas atteinte au principe d’égalité puisque la situation particulière de la Corse par rapport aux autres collectivités serait reconnue par la constitution.

Au demeurant, quels que soient les pouvoirs conférés à la Corse, leur exercice devrait s’accomplir dans le respect des droits et libertés garantis par la constitution et il reviendrait au Conseil constitutionnel pour les décisions relevant du domaine législatif ou au Conseil d’État pour celles relevant du domaine réglementaire d’en assurer l’effectivité. Aussi loin que le transfert de compétences aille, il ne pourra aller jusqu’à permettre à la Corse de prendre des décisions contraires à la constitution. Pour être valides, elles devront non seulement être adoptées par les institutions corses mais encore respectées les principes constitutionnels.

Inscrire la Corse dans la constitution, c’est donc tout à la fois inscrire l’exercice des pouvoirs qui lui seront reconnus dans le respect des principes constitutionnels communs au peuple français et contribuer à ne pas « défaire la France ».