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Le droit en débats

La Ve République, stop ou encore ?

Par Dominique Rousseau le 15 Octobre 2018

La Ve République a soixante ans. Âge de la retraite ? Il faut convenir que, depuis 1958, la Constitution a beaucoup changé : le président était élu par un collège restreint, il est désormais élu par le peuple ; il était élu pour sept ans, il est aujourd’hui élu pour cinq ans renouvelable une seule fois ; l’organisation de la République était centralisée, elle est depuis 2003 décentralisée ; le Parlement se réunissait en deux sessions de trois mois, il siège aujourd’hui en une seule session continue ; la monnaie de la France était le franc, aujourd’hui c’est l’euro. Il faut convenir aussi que, depuis 1958, la Constitution a supporté de nombreuses « turbulences » : la guerre d’Algérie, mai 1968, le départ du général de Gaulle, l’arrivée de la gauche au pouvoir, le retour de la droite, la cohabitation. Il faut convenir enfin que, depuis 1958, le paysage partisan a considérablement évolué : le parti communiste faisait 27 % des voix, il fait aujourd’hui 7 % ; le Front national faisait 2 % des voix, il fait aujourd’hui 28 % ; les écologistes n’avaient pas d’existence électorale, ils font aujourd’hui autour de 12 %.

Au-delà de ces changements qui expliquent sans doute la longévité de la Constitution, il reste une continuité et une surprise. La continuité est celle résultant de la dyarchie au sommet de l’État. L’exécutif a deux têtes, le président et le Premier ministre et la répartition des compétences est suffisamment floue pour provoquer régulièrement des conflits de pouvoir : Pompidou Premier ministre impose au président de renoncer au référendum en 1968 ; Pompidou devenu président « vire » le Premier ministre Chaban-Delmas en 1972 ; Chirac envoie sa démission au président Giscard d’Estaing en 1976 ; Mitterrand remercie Rocard en 1991 ; Valls Premier ministre se pose en concurrent direct de François Hollande en 2015. Cette équivoque tient à l’articulation difficile des deux logiques institutionnelles : la logique parlementaire de 1958 qui fait du Premier ministre celui qui définit la politique du pays sous le contrôle des députés et la logique présidentielle de 1962 qui pousse le président élu par le peuple à revendiquer pour lui la conduite des affaires du pays.

La surprise n’est pas la primauté présidentielle ; Emmanuel Macron n’est pas plus Jupiter que ses prédécesseurs. Elle n’est pas non plus l’affaiblissement du Parlement ; il existe dès 1958. La surprise est dans la montée en puissance des juges et en particulier des juges constitutionnels. Inconnu en 1958, le Conseil constitutionnel est devenu en 2018 une institution clé de la vie politique puisqu’une loi votée par les élus n’exprime désormais la volonté générale que si elle respecte les droits et libertés garantis par la Constitution. La dernière décision du Conseil annulant le délit de solidarité au nom du principe de fraternité a fait grand bruit mais cette évolution est sensible depuis longtemps. À partir de 1971, le Conseil constitutionnel n’examine plus uniquement les lois au vu des articles de la Constitution stricto sensu mais aussi au vu des droits fondamentaux formulés dans la Déclaration de 1789 et le préambule de 1946.

Si la Ve République veut continuer, elle doit chercher à lever l’équivoque président/Premier ministre et à donner enfin aux juges une indépendance de nature à garantir un exercice impartial de leur fonction de gardien des droits fondamentaux.
Le grand défaut structurel de notre Constitution, c’est, président de la République et Premier ministre. Pour rendre la dyarchie de l’exécutif moins conflictuelle, il faudrait que le conseil des ministres ne se tienne plus à l’Élysée et ne soit présidé plus que par le président de la République mais se tienne à Matignon sous la seule présidence du Premier ministre. Ainsi le président regagnerait une position d’arbitre.

Comme il est peu probable que cette proposition soit entendue, il faut chercher à débloquer la situation autrement, en partant d’un constat simple : le grand absent des révisions constitutionnelles, c’est le citoyen. Au lieu de redistribuer encore le pouvoir aux organes qui le détiennent déjà, c’est à lui qu’il convient désormais de donner les moyens d’intervenir, non pas tous les cinq ans par le vote, mais de manière continue, en contribuant à la fabrication des lois.

La chambre de la participation citoyenne, prévue initialement dans la réforme constitutionnelle, allait dans ce sens. Remplaçant le Conseil économique et social, elle pouvait recevoir les pétitions des citoyens et, après examen, les transmettre à l’Assemblée nationale et au Sénat qui avaient alors l’obligation de les mettre à l’ordre du jour. Il était également prévu que cette chambre des citoyens donne son avis sur les projets et propositions de loi avant… le Conseil d’État qui, bizarrement, a fait connaître son opposition à la création de cette chambre !

Alors, une révision supplémentaire ou la rédaction d’une nouvelle Constitution par une assemblée constituante ? Dans l’histoire, les Assemblées constituantes sont intervenues après des guerres (1870), des révolutions (1848) ou des coups d’État (1851, 1958 ?) c’est-à-dire, à des moments où le pays devait se refonder. Même si la France traverse des difficultés, il n’est pas sûr que le pays soit dans une de ces situations. Des révisions constitutionnelles sont donc possibles ; elles pourraient être préparées par des collèges de citoyens, mises sur une plateforme et être amendées par chacun au lieu d’être confiées à des comités d’experts.

La force de notre Constitution, c’est d’avoir été régulièrement révisée, ce qui lui a permis de s’adapter aux événements politiques et à l’évolution des mentalités. D’une certaine manière, c’est grâce à cette « révision continue » qu’elle est encore là, c’est parce qu’elle n’est plus ce qu’elle était qu’elle est encore là !