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Le droit en débats

La difficile compétence du nouveau procureur de la République financier en matière d’abus de marché, acte II

Par Rémi Lorrain le 28 Janvier 2014

La langue française est conçue de telle manière que le mot « parquet » désigne à la fois le « groupe de magistrats exerçant les fonctions du ministère public » et également le « lieu de la Bourse où est publiée la cote officielle » (V. G. Cornu, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, p. 659-660). Si un seul mot regroupe à la fois l’autorité de poursuite et l’ancien lieu de négociation, les textes de loi, quant à eux, éprouvent des difficultés pour englober tous les délits boursiers dans le champ de compétence du nouveau parquet financier.

Le 1er février 2014, le procureur de la République financier aura, en effet, théoriquement, une compétence exclusive en matière de poursuite d’infractions boursières. Le nouvel article 705-1 du code de procédure pénale, issu de la loi du 5 décembre 2013, transfère la poursuite de ces délits au nouveau procureur de la République financier.

En pratique, outre le délit de manipulation d’indice qui échappe déjà à sa compétence (cf. article précédent du même auteur), il est probable que le nouveau procureur de la République financier ait, également, des difficultés de compétence à l’égard d’un autre délit boursier un peu particulier.

A la suite des attentats du 11 septembre 2001, la loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne avait introduit – à l’origine de manière temporaire mais finalement de manière définitive – dans la liste des infractions pouvant être qualifiées d’« actes de terrorisme » les « délits d’initié de l’article L 465-1 du code monétaire et financier » (C. mon. fin., art. L. 421-1). Ainsi, lorsque les délits d’initiés sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, ils constituent des actes de terrorisme et la peine d’emprisonnement encourue par les personnes physiques est alors augmentée (C. pén., art. 421-3, 7°).

Disons-le de suite, ce cas particulier de délit d’initié n’a, semble-t-il, pour l’heure jamais été retenu. Néanmoins, s’il venait à être commis, plusieurs autorités de poursuite pourraient se disputer la compétence au grand dam du nouveau procureur de la République financier.

En effet, la qualification de délit d’initié en tant qu’acte de terrorisme rend applicable un régime procédural particulier en ce qui concerne la poursuite, l’instruction et le jugement de l’affaire concernée (régime dérogatoire prévu aux art. 706-16 s. c. pr. pén.).

Ainsi, s’agissant de la poursuite des actes de terrorisme prévus à l’article 421-1 du code pénal, conformément à l’article 706-17 du code de procédure pénale, le procureur de la République de Paris dispose, par principe, d’une compétence nationale concurrente. Concurrente à qui ? Concurrente à la compétence du procureur de la République du lieu de l’infraction, concurrente à la compétence du procureur de la République du lieu de résidence, concurrente à la compétence du procureur de la République du lieu d’arrestation, concurrente à la compétence du procureur de la République du lieu de détention de la personne concernée mais pas concurrente à la compétence du nouveau procureur de la République financier.

S’agissant de la poursuite du délit d’initié (prévu à l’art. L. 465-1 c. mon. fin.), à partir du 1er février 2014, conformément au nouvel article 705-1 du code de procédure pénale, le nouveau procureur de la République financier disposera, quant à lui, d’une compétence nationale exclusive.

Deux textes distincts prévoient donc deux compétences différentes : le procureur de la République financier est compétent pour les délits d’initié, le procureur de la République de Paris est compétent pour les actes de terrorisme. Comment choisir ?

De prime abord, il est tentant d’affirmer que l’exclusivité en matière boursière de la compétence du procureur de la République financier empêche, par nature, au procureur de la République de Paris d’être compétent. Mais la difficulté réside dans le caractère hybride du délit d’initié étudié : à la fois délit d’initié (mais pas que cela) et à la fois acte de terrorisme.

Du côté des textes, une disposition prévoit-elle une solution à ce conflit de compétence ?

Pour trouver une issue à d’éventuels conflits de compétence dans des affaires précises entre le procureur financier et le procureur de Paris (ou les procureurs des autres ressorts), la loi du 6 décembre 2013 a donné au procureur général de Paris – auquel il est confié l’animation et la coordination en concertation avec les autres procureurs généraux, de la conduite d’action publique (C. pr. pén., art. 705-4 nouv.) – le pouvoir d’orienter le débat et d’apporter une solution au conflit.

Cependant, ce pouvoir ne vise, malheureusement, que les matières où le procureur financier est compétent par application de l’article 705 du code de procédure pénale (c’est-à-dire lorsqu’il dispose d’une compétence concurrente avec d’autres procureurs) et non par application de l’article 705-1 du code de procédure pénale (c’est-à-dire lorsqu’il dispose, comme en matière de délit d’initié, d’une compétence exclusive).

En effet, les textes ne prévoient pas ce cas de conflit. Car, si les textes sont bien rédigés, par définition, lorsqu’une personne dispose d’une compétence exclusive, d’autres personnes n’ont pas compétence en cette matière (!)

Du côté de l’analyse des textes visés, un élément permet-il de trancher ?

Certains arguments sont favorables à la compétence du procureur de la République financier comme la nature de l’infraction en cause :

  • l’acte terroriste défini par le code pénal recouvre deux catégories d’infractions. D’une part, il y a des infractions existantes commises en relation avec une entreprise à caractère terroriste. Il s’agit donc d’infractions de droit commun commises dans des circonstances particulières qui leur confèrent un caractère spécifique. D’autre part, il y a d’autres infractions définies de manière autonome, sans référence à une infraction existante ;
  • le délit d’initié en relation avec une entreprise à caractère terroriste entre dans la première catégorie et ne constitue donc pas une infraction autonome. Autrement dit, n’étant pas une infraction autonome, il constitue avant tout un délit d’initié. C’est donc le procureur de la République financier qui serait alors compétent.

Mais d’autres arguments sont favorables à la compétence du procureur de la République de Paris comme par exemple une lecture stricte des textes :

  • la compétence exclusive du procureur financier n’est applicable qu’aux articles L 465-1 et L 465-2 du code monétaire et financier. Autrement dit, sa compétence pourrait ne pas s’étendre au cas particulier de délit d’initié en relation avec une entreprise à caractère terroriste (prévu par l’art. L. 421-1 c. pén.) ;
  • par ailleurs, le procureur de la République de Paris est compétent en matière de « poursuite des actes de terrorisme » (Titre XV du Livre IV c. pr. pén.) et il est compétent de manière concurrente avec d’autres procureurs (mais pas avec le procureur de la République financier).

En conclusion, la compétence du procureur de la République financier n’est pas aisée et la question demeure de savoir quelle serait l’autorité de poursuite compétente en cas de commission d’un délit d’initié en relation avec une entreprise à caractère terroriste. Ainsi, avec le délit de manipulation d’indices, voilà deux infractions boursières – toutes deux créées dans la précipitation d’une actualité – qui pourraient échapper à la compétence du parquet financier.