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Le droit en débats

L’irréductibilité du secret professionnel de l’avocat à la seule défense pénale

Par Jean-Marie Garinot le 21 Septembre 2015

Dans une tribune parue le 17 septembre 2015, Monsieur Yann Czernik, commissaire de police, s’est interrogé sur l’ambiguïté caractérisant le secret professionnel de l’avocat, selon que ce dernier est considéré en qualité de « conseil » ou de « mis en cause » (V. Dalloz actualité, 17 sept. 2015, Le secret professionnel de l’avocat : vers une ambiguïté entretenue ?). Se fondant sur son expérience d’enquêteur, l’auteur relève notamment que « Confronté à des dossiers où le positionnement de l’avocat en tant que « simple conseil » ou en tant que probable « futur mis en cause » n’est pas clairement établi, l’OPJ se retrouve dans une posture ô combien indélicate et, en fonction des situations, est confronté à une opposabilité quasi stalinienne du secret professionnel de l’avocat. » Reconnaissant que « comme toute personne entendue, l’avocat est libre de faire des déclarations, de mentir ou de se taire », l’auteur paraît déplorer que « Dans un dossier, il est arrivé qu’un avocat placé en garde à vue, car complice d’une infraction pénale, refuse systématiquement de répondre aux questions de l’enquêteur arguant du fait de son obligation du secret professionnel ». Monsieur Czernik conclut sa tribune en proposant la distinction suivante : « soit la conversation, le courriel ou le document participe à la défense au pénal de son client », « soit il s’agit du ressort d’un autre type de contentieux ou du simple conseil juridique. Dans cette seconde acception, nous retrouvons la liberté de la preuve et nous n’avons alors aucune raison valable de priver la procédure judiciaire de cette parcelle de vérité ».

Sans nous appesantir sur le lien consubstantiel unissant le secret professionnel aux droits de la défense - lesquels participent d’une bonne administration de la justice et d’une indispensable garantie des droits et libertés fondamentaux - nous souhaitons souligner que la défense pénale ne constitue pas l’unique mission de l’avocat. Les autres activités contentieuses, tout comme le conseil, méritent autant de considération et doivent également être couvertes par le secret professionnel.

Il suffit, pour s’en convaincre, de songer à la fiscalité. La complexité des textes impose de s’interroger constamment sur la licéité de l’opération envisagée par le client. Parce qu’on soupçonne ce dernier d’avoir fraudé, faudra-t-il perquisitionner le cabinet de son avocat pour établir la fraude ? L’existence de l’acte - supposé illicite - ne peut-elle pas être établie autrement qu’en violant la confidentialité ? Par ailleurs, une certaine insécurité juridique règne en droit fiscal, puisqu’à des textes versatiles s’ajoute l’interprétation mouvante et parfois abusive de l’administration. C’est donc aux tribunaux qu’il reviendra, en dernier ressort, de dire le droit. L’illicéité de l’acte sera ainsi décrétée a posteriori, par décision judiciaire. Reprochera-t-on au conseil d’avoir participé à la fraude parce que son client, dûment averti, a pris le risque de retenir telle ou telle lecture de la loi, in fine condamnée par le juge ? L’avocat auquel son client expose une situation frauduleuse devra-t-il se ménager la preuve d’avoir incité ce dernier à régulariser cette situation ?

Comme l’écrit Monsieur Czernik, « pour savoir ce qui peut être objectivement intéressant pour l’enquête pénale, et ce qui ne l’est pas, il faudrait justement pouvoir consulter ces documents. » Or, la violation du secret est définitive : l’information révélée à l’enquêteur ne peut être intellectuellement restituée. Comment, dès lors, ne protéger la confidentialité qu’en matière pénale alors qu’il est impossible de connaître la nature d’un document avant de l’avoir consulté ? Enfin, qu’il nous soit permis de douter qu’une information ressortant d’une activité de conseil - ou de contentieux non répressif - présente un intérêt pour une procédure pénale en cours, sans se rapporter à la défense du mis en cause.

Force est donc de constater que le secret professionnel de l’avocat, s’il ne doit pas être le paravent de l’illicite, n’est pas réductible à la seule défense pénale.