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Le droit en débats

Les migrants de Calais : un devoir d’humanité

Par François Cantier le 18 Mars 2016

L’afflux massif de réfugiés en Europe constitue une circonstance exceptionnelle auquel notre continent n’avait plus été confronté depuis la Seconde Guerre mondiale.

Ce phénomène met à l’épreuve nos démocraties et les valeurs sur lesquelles elles sont fondées, celles de respect de la dignité de tout être humain, de liberté et de solidarité.

Il appartient à chacun de prendre sa part dans l’accueil de ces réfugiés, l’Union européenne et ses États, mais aussi la société civile et ses organisations, telle Avocats sans frontières France.

Si l’Europe, dont l’un des deux piliers est la Charte des droits fondamentaux, et singulièrement la France, qui porte historiquement le flambeau des droits de l’homme, sont incapables de les faire respecter, alors leur existence même sera en péril, au profit des nouveaux nationalismes, ethnocentrismes ou fanatismes religieux.

Cette confrontation est un marqueur civilisationnel : entre une société où triomphe l’humanité et une société ou l’emporte la barbarie.

L’accès au droit dans notre pays est imparfait. S’il existe un système d’aide judiciaire, c’est uniquement pour permettre aux plus démunis d’être défendus dans un processus contentieux. Mais il n’existe pas de système similaire concernant l’accès au droit, c’est-à-dire au conseil juridique.

Avec le concours de l’État et des collectivités locales, la profession d’avocat a pu combler partiellement ce manque grâce aux comités départementaux d’accès au droit, qui, l’expérience nous le montre, ne sont pas en mesure de répondre à la situation actuelle, notamment dans les grandes concentrations de réfugiés comme, en France, à Calais ou à Grande-Synthe.

De même, les avocats, grâce à leur indépendance vis-à-vis de la politique des États et conformément à leur éthique, sont, en toutes circonstances, les défenseurs des personnes et les garants de leurs droits.

Dans notre tradition, nous avons toujours voulu que tout être humain, quelle que soit sa situation de fortune et a fortiori ses origines, ait accès à un avocat.

Comment, dès lors, accepterions-nous que ces cohortes de malheureux fuyant la violence et la guerre, gagnant les rivages de l’Europe au péril de leur vie, voient leurs droits ignorés, sinon délibérément violés ?

C’est pourquoi Avocats sans frontières France s’est mobilisée depuis plusieurs mois pour convaincre la profession d’avocat de l’urgente nécessité d’organiser, avec son concours, cet accès au droit (V. Dalloz actualité, 14 janv. 2016, art. C. Fleuriot isset(node/176660) ? node/176660 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>176660).

Nous nous sommes rendus à Calais dès septembre, nous avons pris contact avec tous les intervenants humanitaires, qui, unanimement, soulignent ce besoin de conseils juridiques. Sur ces bases-là, nous avons bâti un projet consistant à dépêcher sur place une mission composée de trois personnes dont deux avocats afin de délivrer les premiers conseils, soit directement aux migrants, soit par l’entremise du secteur associatif présent sur le site.

Parallèlement, et dans l’attente du financement de ce projet, nous avons mis en place dès la fin septembre une permanence téléphonique appuyée sur une équipe de six bénévoles.

Mais elle s’est vite avérée insuffisante et une présence sur le terrain est indispensable.

C’est un collectif issu de « l’appel des 800 », lancé par le quotidien Libération qui, début janvier, a finalement ouvert une cabane juridique installée dans la jungle de Calais, autour de laquelle vont se mobiliser des avocats et juristes en dehors de tout soutien de la profession d’avocat, grâce à l’argent de la générosité publique.

De notre côté, nous avons multiplié les rencontres avec les représentants de la profession et la magistrature (qui est consciente de ses obligations en matière d’accès au droit), le Haut commissariat pour les réfugiés (HCR) et l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Nous avons déposé des demandes de financement, mais aucune n’a abouti à ce jour.

Or l’expérience de la cabane juridique touche à sa fin, les fonds récoltés ayant été consommés. La poignée de volontaires qui y travaille nous appelle au secours. Les barreaux de Boulogne et de Dunkerque sont d’accord pour qu’un tel projet se réalise avec leur concours et celui de la Conférence des bâtonniers du Nord-Pas-de-Calais.

C’est l’honneur de notre profession qui est en jeu mais aussi son rôle dans une société moderne. Largement supplantée par les cabinets anglo-américains dans le domaine du droit des affaires, elle resterait absente dans la défense des personnes les plus vulnérables, alors même qu’elle revendique le monopole de l’exercice du droit ?

Un sursaut s’impose. Avocats sans frontières France a l’expérience du montage et de la gestion de projets qu’elle mène à l’étranger depuis dix-huit ans. Elle a en son sein des avocats, des magistrats et des juristes prêts à s’engager dans ce travail. Mais de telles actions exigent une organisation, un encadrement, une logistique et donc des moyens financiers.

Nous demandons expressément aux Ordres, au Conseil national des barreaux, à la Conférence des bâtonniers et à l’ensemble des confrères, chacun selon ses capacités, de participer à cette œuvre d’intérêt supérieur et ainsi d’accomplir son devoir d’humanité. 

Site d’Avocats sans frontières France