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Le droit en débats

Irak, mettre fin à des parodies de procès

Par François Cantier le 14 Juin 2019

Les nouvelles venues d’Irak, où sont jugées et quasi systématiquement condamnées à mort des personnes accusées d’appartenance à l’État islamique, et parmi elles des citoyens français, au terme de procès expédiés en quelques minutes, heurtent la conscience de toute personne attachée aux valeurs universelles que sont la présomption d’innocence et le droit à un procès équitable. Et ce quoique l’on pense des engagements des accusés.

L’avocat que je suis en est tout particulièrement alarmé, voyant que nos confrères irakiens sont dans l’impossibilité d’accomplir leur mission sans parler des avocats étrangers empêchés de prêter leur concours. Plusieurs avocats français ont exprimé dans une récente tribune leur colère et pointé la responsabilité de la France.

Nous partageons leur point de vue mais voulons aller plus avant.

C’est notre expérience à Avocats sans frontières qui nous dicte de le faire.

Nous avons, au cours de notre jeune mais dense histoire, été confrontés à des situations de cette nature, au Rwanda d’abord, dans les procès de l’après-génocide, où des dizaines de milliers de personnes étaient traduites devant des juges sans expérience d’un pays traumatisé, sans avocat et avec la peine de mort.

Ce fut ensuite au Burundi puis au Pérou de Fujimori, au Nigeria des tribunaux Sharia, à ceux de la Libye de Kadhafi ou encore aux tribunaux militaires de la République démocratique du Congo.

La première question que tout un chacun se pose est de savoir à quoi peut servir un avocat devant des juges asservis volontairement ou non. C’est notre expérience qui répond : j’affirme haut et fort que c’est dans ces circonstances extrêmes que nous avons pu mesurer combien notre présence était essentielle. En vingt-deux ans d’expérience, aucun de ceux que nous avons défendus, aucun observateur, ni aucun d’entre nous n’a émis la moindre réserve sur nos interventions.

D’abord, parce que notre arrivée auprès d’un être humain, par hypothèse isolé, se sachant perdu, lui apporte un immense réconfort et lui donne la force de s’expliquer. Dans de telles situations, les responsabilités ne sont pas égales et chaque accusé doit être en mesure de se défendre. Ensuite, parce que nous nous sommes dotés de compétences et d’approches spécifiques adaptées à ces conditions. Enfin, parce que nos toutes premières expériences nous ont appris que, quelles que soient les circonstances, il pouvait exister des juges attentifs à nos arguments.

Le second obstacle que nous devons franchir est l’accès aux accusés et au tribunal qui les juge. Ici, en revanche, aucune règle internationale ne peut être invoquée : c’est au cas par cas et toujours compliqué car nous nous heurtons au sacro-saint principe de la souveraineté des États. Comment l’État rwandais a-t-il permis que des centaines d’avocats étrangers viennent devant des tribunaux et y assurent la défense des accusés ? Même question pour les autres pays et réponses différentes mais en commun : parce que la situation du pays ne lui permettait pas de s’y opposer, avec souvent des négociations discrètes, sinon secrètes, qui nous ont permis d’aboutir à notre injonction de conscience. Aller défendre pour tenter de conjurer l’injustice et la mort.

Ici, l’État irakien ne semble pas en mesure de refuser la tenue de procès équitables et donc la présence, aux côtés d’avocats nationaux, d’avocats étrangers. D’autant que l’Irak a signé et ratifié un traité international garantissant le procès équitable et qu’il est naturel que des États ou des institutions internationales lui demandent de le respecter.

C’est pourquoi la France et, plus largement, la communauté internationale avec en tête l’Union européenne doivent se manifester sans tarder auprès de l’Irak pour exiger de ce pays qu’il respecte ses engagements internationaux, qu’il mette un terme à ces parodies de justice et qu’il permette la tenue de procès équitables avec la présence d’avocats étrangers.

Les avocats français et européens, et notamment le réseau international Avocats sans frontières, fort de son expérience et de sa capacité de mobilisation, doivent se tenir prêts à organiser une telle présence.

C’est l’honneur de la profession d’avocat et, bien au-delà, de nos démocraties que de rappeler et défendre, dans de telles circonstances, les principes qui fondent l’état de droit.