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Ne bis in idem et le renouveau du cumul des qualifications

L’interdiction de cumuler les qualifications lors de la déclaration de culpabilité doit être réservée aux cas où un fait ou des faits identiques sont en cause et dans certaines hypothèses seulement.

par Margaux Dominatile 6 janvier 2022

Le principe de ne bis in idem, qui s’oppose à la poursuite et à la punition d’un même faits à plusieurs reprises, conduit fréquemment la chambre criminelle à rappeler l’interdiction de cumuler les qualifications lors de la déclaration de culpabilité (v. not., Rép. pén., Concours d’infractions, par P. Bonfils et E. Gallardo, n° 35). C’est ce qu’elle a fait, de nouveau, par deux décisions rendues le 15 décembre 2021.

Dans la première (n° 21-81.864), elle est venue limiter le champ d’application de l’interdiction du cumul des qualifications. Dans un attendu de principe rendu au visa du principe de ne bis in idem, elle considère que cette interdiction « doit être réservée, outre à la situation dans laquelle la caractérisation des éléments constitutifs de l’une des infractions exclut nécessairement la caractérisation des éléments constitutifs de l’autre, aux cas où un fait ou des faits identiques sont en cause et que [soit] l’une des qualifications, telles qu’elles résultent des textes d’incrimination, correspond à un élément constitutifs ou une circonstance aggravante de l’autre, qui seule doit alors être retenue ; [soit lorsque] l’une des qualifications retenues, dite spéciale, incrimine une modalité particulière de l’action répréhensible sanctionnée par l’autre infraction, dite générale » (§§ 28 à 30 de la présente décision).

Par conséquent, elle a confirmé la décision de la cour d’appel qui déclarait un prévenu coupable de faux et usage de faux, celui-ci ayant notamment produit de fausses attestations notariales et un faux certificat de dépôt fiduciaire ; et d’escroquerie, car ces faux avaient été réalisés pour faire croire à la solvabilité d’un acquéreur d’une société, et ainsi déterminer des époux, à leur préjudice, à vendre leurs parts dans cette même société, sans s’acquitter de l’intégralité du prix de vente. En admettant que le cumul de qualifications soit possible car « ces délits sanctionnent la violation d’intérêts distincts et comportent des éléments constitutifs différents » (Crim. 15 déc. 2021, n° 21-81.864, § 31), la Cour de cassation infléchit sa propre jurisprudence.

Dans la seconde (n° 20-85.924), elle a rejeté le pourvoi formé par un plaignant, déclaré coupable de recours à un prêt illicite de main d’œuvre et à du travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié, qui s’appuyait sur le principe de ne bis in idem pour critiquer la double déclaration de culpabilité dont il faisait l’objet. Elle a alors constaté que le moyen qui soulevait la violation du principe de ne bis in idem dans le cadre de poursuites concomitantes est irrecevable. D’une part, parce que ce principe n’est pas d’ordre public, puisqu’alors appliqué dans le cas de poursuites concomitantes, il tend à protéger les intérêts du prévenu. D’autre part, car selon la Cour, le grief ne naissait pas de l’arrêt attaqué.

Le cadre général de l’interdiction de cumul de qualifications

Traditionnellement, la chambre criminelle estime qu’un même fait, qui aurait pu trouver plusieurs qualifications, ne peut donner lieu à plusieurs déclarations de culpabilité, fût-ce au cours de poursuites concomitantes (Crim. 13 janv. 1953, Bull. crim. n° 12). Cette jurisprudence a fait l’objet de plusieurs exceptions, notamment lorsqu’une violation d’intérêts distincts ou plusieurs valeurs sociales protégées étaient en cause (Crim. 8 déc. 2015, n° 14-85.548, Dalloz actualité, 22 déc. 2015, obs. C. Benelli-de Bénazé ; D. 2016. 2424, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, L. Miniato et S. Mirabail ; RDI 2016. 86, obs. G. Roujou de Boubée ; AJ pénal 2016. 149, obs. R. Leost ; Dr. pénal 2016. Comm. 32, note J.-H. Robert ; par ex., en matière d’escroquerie et de faux, Crim. 14 nov. 2013, n° 12-87.991, Dalloz actualité, 11 déc. 2013, obs. D. Le Drevo ; AJ pénal 2014. 296, obs. J. Lasserre Capdeville ).

En 2016, sous l’impulsion européenne, la chambre criminelle a abandonné la référence aux « intérêts distincts » (CEDH 10 févr. 2009, n° 14939/03, Zolotoukhine c/ Russie, AJDA 2009. 872, chron. J.-F. Flauss ; D. 2009. 2014 , note J. Pradel ; RSC 2009. 675, obs. D. Roets ). Depuis, elle considère que « des faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité́ de nature pénale, fussent-elle concomitantes » (Crim. 26 oct. 2016, n° 15-84.552, Dalloz actualité, 7 nov. 2016, obs. S. Fucini ; D. 2016. 2217 ; ibid. 2017. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; AJ pénal 2017. 35, obs. J. Gallois ; RSC 2016. 778, obs. H. Matsopoulou ; JCP 2017. 16, note N. Catelan ; Dr. pénal 2017. Comm. 1, note P. Conte ; Rev. pénit. 2016. 935, obs. O. Décima ; ibid. 941, obs. G. Beaussonie ; pour aller plus loin, v. P. Conte, Non bis in idem : bref exercice d’exégèse d’où il résulte que le droit n’est pas la physique, Dr. pénal, n°...

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