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Interview

Présidentielle 2022 - Les candidats et la justice : les réponses d’Anne Hidalgo

Dalloz actualité a interrogé les principaux candidats et leurs porte-parole sur leurs propositions pour la justice et les professions judiciaires, à travers un questionnaire. Aujourd’hui, les réponses d’Anne Hidalgo, maire de Paris et candidate du Parti socialiste.

le 8 avril 2022

La rédaction : Les personnels judiciaires manifestent depuis plusieurs mois un ras-le-bol autour de la question des moyens. Quels seront vos objectifs chiffrés pour le prochain quinquennat concernant les moyens et effectifs alloués à la justice ?

Anne Hidalgo : Je souhaite porter le budget du ministère de la Justice à 10 milliards d’euros afin de procéder à des recrutements, mettre en œuvre un plan technologique majeur, repenser notre système d’incarcération et procéder aux revalorisations statutaires rendues indispensables. Ce chiffre tient compte à la fois des besoins repérés et d’une comparaison internationale que l’on retrouve dans le dernier rapport de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice.

Dans le détail, nous recruterons 3 000 magistrats pour atteindre un premier palier de 12 000. Entre-temps, le rapport sur la charge de travail des magistrats permettra une planification plus détaillée. J’œuvrerai également à l’attractivité du recrutement en procédant à la juste rémunération des magistrats. Cela supposera évidemment d’adapter l’outil de formation en créant un grand campus du droit à Bordeaux et dans sa région afin de supporter cet effort.

De même, il est indispensable de rendre plus attractive la filière des greffes et de réduire les vacances de poste mais également accroître le nombre de personnels de greffe.

Je souhaite également améliorer l’environnement de travail des magistrats, notamment numérique. Comment comprendre que la justice ait dû s’arrêter lors du premier confinement ? Aurait-on accepté cela d’autres services publics ? Un plan d’urgence est nécessaire comme le rappelle la Cour des comptes dans son très récent avis !

La rédaction : La déjudiciarisation des contentieux a été une voie choisie par plusieurs gardes des Sceaux pour alléger le travail de la justice. Faut-il déjudiciariser de nouveaux contentieux ?

Anne Hidalgo : Il faut recentrer le juge sur son office primordial : trancher les litiges. Quelle est sa plus-value lorsqu’il traite des dizaines d’injonctions de payer pour lesquelles un comptable serait plus qualifié ? Le mouvement de déjudiciarisation, comme pour le divorce sans juge ou une partie du contentieux routier, doit s’amplifier après une concertation avec l’ensemble des magistrats. Mais il n’y aurait rien de pire qu’une justice sans magistrat. Ce mouvement doit donc s’effectuer non pour diminuer à tout prix une charge mais pour retrouver la fonction sociale des magistrats.

La rédaction : Les réformes sur le droit du travail ont été nombreuses ces dix dernières années, aboutissant à une baisse des saisines prud’homales. Faut-il une nouvelle réforme ?

Anne Hidalgo : La justice du quotidien, c’est notamment celle des prud’hommes. Beaucoup de responsables politiques ont estimé avoir la martingale pour réformer cette justice. Je considère qu’Emmanuel Macron a contribué à l’abîmer. Il nous faut donc lancer une évaluation de la justice prud’homale par ses acteurs mais aussi par ses usagers actuels et passés. La démarche est ambitieuse et méritera d’y consacrer des moyens. Mais un contentieux de masse ne justifie pas une massification de l’approche.

La rédaction : Face au grand nombre de recours et au sentiment d’inutilité, le Conseil d’État plaide pour une simplification du droit des étrangers. Faut-il suivre ses préconisations ?

Anne Hidalgo : Je suis en faveur de la simplification du droit des étrangers telle que préconisée par le Conseil d’État. Il faut en finir avec la sédimentation de règles qui relèvent parfois plus de la communication que du droit par ailleurs, pour rendre ces règles plus lisibles et donc permettre leur meilleure application, dans toutes leurs composantes.

La rédaction : En fin d’année 2022, le moratoire sur l’encellulement individuel en maison d’arrêt prendra fin. Or, vu la population actuellement incarcérée, cet encellulement individuel ne pourra pas être respecté. Que faut-il faire pour réduire la surpopulation carcérale ?

Anne Hidalgo : J’ai eu l’occasion de signaler ma volonté que le systématisme carcéral cède le pas à des peines efficaces et effectives. La prison ne résout rien si elle n’est pas justifiée par une situation personnelle, un parcours pénal, une menace pour la société. J’ai ainsi plaidé pour des peines d’amende, de travail d’intérêt général ou encore de sursis probatoire conçues non pas comme alternatives mais comme principales ! Notre modèle pénal doit profondément évoluer. Il démontre aujourd’hui son inefficacité au regard du taux de récidive ou de réitération mais également des dommages sociaux durables qu’il engendre sans que les victimes y trouvent un quelconque apaisement. Mais cela suppose de donner de véritables moyens humains et technologiques de prononcer ces peines, de les exécuter et d’accompagner cette exécution. Nous devons également avancer plus loin encore sur la justice restaurative.

Je crois en outre que le système actuel de maison d’arrêt, centre de détention et maison centrale est caduc. Il nous faut orienter les personnes détenues, non pas en fonction d’un quantum de peine, mais de leur profil (personnel, pénal, social, économique, etc.). Cela suppose de systématiser l’évaluation (aujourd’hui réservée aux peines de plus de dix ans et aux terroristes) et de diversifier les modes de détention : de nuit, structurée autour d’une activité économique de réinsertion, en module de respect, etc. Cela suppose également une autre prise en charge de la précarité, de la maladie et des troubles psychiatriques notamment. C’est donc un big bang que j’appelle de mes vœux.

Naturellement, ces orientations ne peuvent voir le jour à effectifs constants. Il nous faut accroître le recrutement de personnels d’insertion et de probation mais également favoriser les approches pluridisciplinaires grâce à des éducateurs, psychologues, assistants sociaux, etc.

La rédaction : Après #Metoo, faut-il adapter la justice pour mieux prendre en charge la question des violences et crimes sexuels ?

Anne Hidalgo : Il faut intégrer les enjeux liés à la particularité des violences et crimes sexuels au fonctionnement de la justice, ceci dès la première étape du processus, c’est-à-dire le contact avec les forces de l’ordre. La prise en charge des victimes au commissariat peut être douloureuse, longue et complexe. Pour faciliter leur dépôt de plainte et améliorer l’accueil des victimes, je souhaite mettre en place un système de référent unique : chaque victime sera accompagnée pendant tout le processus par un officier de police judiciaire de liaison, qui la tiendra au courant de l’avancée de sa plainte, pourra l’aider à accomplir les formalités administratives, et l’informera avant la libération du condamné le cas échéant.

Je pense qu’il est également primordial d’améliorer le partage d’informations entre la justice, les forces de l’ordre, les services pénitentiaires et les associations spécialisées dans l’accompagnement des femmes victimes de violences, au niveau local.

La rédaction : La création d’un statut d’avocat en entreprise est un serpent de mer. Est-elle dans vos projets ?

Anne Hidalgo : La création de pareil statut ne figure pas dans mon projet. Je ne vois pas la nécessité d’une telle innovation pour la vie économique. Je la sais défendue par certaines organisations. Je constate toutefois que les organisations représentatives de la profession d’avocat estiment que ce statut introduirait plus de trouble qu’il n’apporterait d’avantages.

La rédaction : Des arrêts récents de la CJUE sur les données de connexion ou le temps de travail des militaires ont été très mal reçus en France, au point que certains ont demandé au Conseil d’État d’entrer en résistance face au droit européen. Faut-il modifier l’articulation entre droit français et droit européen ?

Anne Hidalgo : Les jurisprudences du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État ont, il me semble, posé un cadre clair et effectif. Lorsque certains principes constitutionnels sont en jeu, il appartient aux États de les défendre souverainement. Au demeurant, la Cour de justice de l’Union européenne a reconnu que des dispositions de directives ne pouvaient contrevenir par exemple à la préservation de l’intégrité territoriale et de la sauvegarde de la sécurité nationale des États membres. Un équilibre a donc été trouvé, il convient de le préserver malgré les vicissitudes.

La rédaction : Plus de dix ans après l’introduction de la question prioritaire de constitutionnalité, vous semble-t-il nécessaire de réformer le Conseil constitutionnel ?

Anne Hidalgo : Il paraît temps de parachever la mutation du Conseil en véritable « Cour constitutionnelle » française afin de la rendre aussi imperméable que possible aux critiques.

Il faut en premier lieu supprimer tous les membres de droit que sont les anciens présidents de la République. La création de la QPC a rendu leur présence absolument contraire au droit à un procès équitable. De même, il devrait être possible d’accroître le nombre de ses membres, passant de neuf à douze et permettant une division du Conseil en deux chambres pour absorber cet accroissement fulgurant du contentieux.

En outre, les nominations au Conseil constitutionnel pourraient désormais être soumises à l’avis conforme des commissions permanentes compétentes des assemblées parlementaires émis à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Ainsi, ces nominations ne prêteraient-elles plus le flanc à cette critique d’être purement partisanes.

Suivant le même esprit, la Constitution préciserait que les membres nommés doivent être « choisis parmi les personnes qui se distinguent par leur connaissance du droit » afin de garantir leur compétence juridique sans pour autant poser de contraintes trop formelles au regard de l’expérience requise pour devenir membre du Conseil constitutionnel.

Enfin, l’exigence constitutionnelle de parité devra évidemment être prise en compte par les autorités de nomination.

La rédaction : Plusieurs fois proposée dans les deux derniers quinquennats, la réforme constitutionnelle sur un avis conforme du conseil supérieur de la magistrature (CSM) sur les nominations du parquet n’a pas abouti. Quels seront vos projets pour la réforme du CSM ?

Anne Hidalgo : Je crois aujourd’hui qu’un statu quo n’est pas acceptable quand il s’agit d’affirmer des principes démocratiques fondamentaux. Je présenterai ainsi un projet de révision constitutionnelle visant à réécrire les deux premiers alinéas de l’article 64 de la Constitution. L’actuelle formulation répond mal aux exigences de la séparation des pouvoirs. Le président de la République n’a pas d’attribution spécifique en la matière et le CSM ne saurait constituer son supplétif.

Il conviendrait dès lors de reconnaître le CSM comme « garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire » et d’en renouveler la composition afin d’assurer la parité entre magistrats et non-magistrats et d’autoriser l’élection comme président d’un membre issu indistinctement de ces deux collèges.

Conséquence logique de cette évolution, les entités chargées de la gestion du corps au sein de la Direction des services judiciaires (DSJ) seraient transférées au CSM afin que l’instance ait les moyens d’effectuer la pleine gestion administrative du corps. De même, l’École nationale de la magistrature pourrait, elle aussi, être rattachée au CSM. Enfin, une partie des inspecteurs de la justice devraient aussi être rattachés au CSM. Par ce biais, le CSM aurait les moyens d’exercer la plénitude de ses compétences.

La présidente de la République conserverait toutefois une obligation constitutionnelle majeure, qui découle de l’article 5 de la Constitution, lequel lui confie le soin d’assurer le fonctionnement régulier des pouvoirs publics.

La rédaction : De nombreuses voix se plaignent du trop de lois et trop de nouvelles normes. Faut-il combattre cette inflation législative, et quelle méthode proposez-vous ? Faut-il en finir avec les lois faits divers ?

Anne Hidalgo : Il devient impérieux de stabiliser le cadre juridique face à l’incontinence législative qui ne répond qu’à l’émotion médiatique mais qui déstabilise les magistrats dans leur travail quotidien. À titre d’exemple, nous n’avons plus besoin de lois pénales, nous avons besoin de les voir appliquées. Mon quinquennat sera celui de la sobriété législative. Cela supposera de mettre en place des dispositifs d’évaluation de notre législation afin de proposer les évolutions indispensables mais aussi de supprimer l’inutile ou le paralysant. Naturellement, il nous faudra revoir les études d’impact des lois pour les instituer un réel instrument législatif (et non un passage obligé trop souvent bâclé). 

Propos recueillis par Pierre Januel, Journaliste

 

Les réponses déjà publiées :
Jean-Luc Mélenchon
Marine Le Pen
Yannick Jadot
Valérie Pécresse
Fabien Roussel

À noter, ni Éric Zemmour ni Emmanuel Macron n’ont souhaité nous répondre. L’équipe de ce dernier nous a indiqué que les questions étaient « trop détaillées ».

Anne Hidalgo

Anne Hidalgo est maire de Paris et candidate du Parti socialiste