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Le droit en débats

Le droit de surplomb est-il une servitude légale ?

Un débat s’est formé, depuis la parution des textes (CCH, art. L. 113-5-1 s. ; CCH, art. R. 113-19 s.), sur la nature du « droit de surplomb » que le législateur s’est malheureusement gardé de qualifier. Des doutes ont pu ainsi se former sur sa nature, quoi que certains aient retenu très explicitement celle de « servitude »1. Il nous semble toutefois que cette qualification n’est pas évidente2. En effet, si certains éléments saillants sont manifestement compatibles avec la qualification de servitude, d’autres paraissent difficilement conciliables avec les dispositions de droit commun.

Par Pierre-Édouard Lagraulet le 23 Mars 2023

Les éléments compatibles avec la qualification de servitude

• Le droit de surplomb est attaché à un « bâtiment existant » et non pas à fonds. Cela peut poser de prime abord question, mais c’est tout à fait possible au regard de l’article 687 du code civil prévoyant que les servitudes sont établies « ou pour l’usage des bâtiments, ou pour celui des fonds de terre ».

• Le fait que le droit de surplomb disparaisse avec le bâtiment est également compatible avec l’article 703 du code civil prévoyant la fin de la servitude lorsque la chose se trouve « en tel état qu’on ne peut plus en user ».

• Le droit de surplomb est institué à l’utilité d’un bâtiment, mais se trouve être « statique » ; l’isolation thermique par l’extérieur ne permettra aucun passage, aucun fonctionnement, etc. Or, même si l’article 688 du code civil ne dresse pas une liste exhaustive des servitudes on retrouve toujours l’idée d’une l’utilité « physique » et « dynamique » de la servitude : conduite d’eau, égouts, vues, passage, puisage, pacage, etc. Néanmoins, là encore, on peut considérer les dispositions de l’article 689 du code civil qui énonce qu’une servitude apparente s’annonce « par des ouvrages extérieurs, tels qu’une porte, une fenêtre, un aqueduc ». Par ailleurs, il existe des servitudes d’interdiction qui sont par nature « statique » : la servitude non aedificandi en est un exemple. On peut donc se rattacher à ces deux dispositions pour ne pas écarter la qualification de servitude.

Les éléments difficilement compatibles avec la qualification de servitude

• Le droit de surplomb emporte indéniablement un empiètement lorsqu’il suppose l’édification d’un ouvrage. Comme un auteur l’avait souligné, il « réalise une immixtion dans une partie de la chose d’autrui – une fraction du dessus »3. De ce fait, il ne peut par principe s’agir d’une servitude. La position de la Cour de cassation est d’ailleurs très claire sur ce sujet : une servitude ne peut conférer le droit d’empiéter sur la propriété d’autrui4 !

Si certaines décisions de la Cour de cassation ont pu paraître retenir la qualification de « servitude » pour de tels empiètements5, il faut souligner que ce n’était que pour les régulariser, et non les instituer ab initio. Cette régularisation n’était en outre que le fruit du mécanisme de la prescription acquisitive, permis sur le fondement des dispositions de l’article 708 du code civil. Il nous semble en conséquence que s’appuyer sur ces arrêts pour justifier de la possibilité de qualifier ab initio de servitude un empiètement, et non in fine, par prescription acquisitive, n’est pas satisfaisant. Cela l’est d’autant moins qu’une partie importante de la doctrine considérait alors que la qualification donnée était erronée et qu’il s’agissait davantage d’une forme d’usucapion en volume que d’une véritable prescription de servitude6.

De plus, cette « servitude de surplomb », ainsi que qualifiée par la Cour de cassation, était établie par le fait de l’homme puisqu’acquise par prescription (v. sur cette classification, F. Terré et P. Simler, Les biens, 10e éd., Dalloz, p. 784). Il ne s’agissait donc en aucun cas d’une servitude légale ainsi qu’est qualifié le droit de surplomb pour isoler le bâtiment résultant de la loi Climat. Comparer les deux ne nous semblent ainsi guère pertinent.

Il faut en outre souligner un autre élément qui nous paraît disqualifier la comparaison entre le dispositif légal et la jurisprudence précitée  : en effet, si le mécanisme légal ne confère au propriétaire du bâtiment à isoler que le droit d’y procéder à partir de 2 mètres de hauteur du sol, il est possible, en cas d’accord avec le propriétaire du fonds voisin, que l’isolant soit posé à une « hauteur inférieure ». Il nous paraît donc possible, dans cette hypothèse, d’envisager une isolation jusqu’au sol, et même en sous-sol7, ce qui sera parfois nécessaire si l’on souhaite que la rénovation thermique soit optimale. Il n’y aura alors qu’un seul et même acte authentique, et une seule et même indemnité, le dispositif ne distinguant pas entre les deux fractions de volumes. Il nous semble qu’il en résulte une qualification et un régime unique. Or, le cas échéant, on voit mal comment se référer à une jurisprudence rendue sur le cas d’un surplomb « aérien », puisque l’emprise de l’isolant se matérialisera au sol. Dans ce cas, la réponse de la Cour de cassation est invariable : il s’agit d’un empiètement.

Il est parfois ajouté, comme pour renforcer l’argument dont nous venons de démontrer la faiblesse, que l’empiètement serait minime, pour le comparer au débordement d’une simple corniche ou d’une toiture (objet des litiges que la Cour de cassation a eu à connaître dans les arrêts précités). Il nous semble que cette approche est encore trompeuse car l’édification d’un ouvrage d’isolation, sur 35 cm d’épaisseur et plusieurs mètres de hauteur et de longueur, représente un volume pouvant atteindre plusieurs mètres cubes. En ce sens, l’empiètement que réalise le surplomb, aérien ou au sol, pour isolation du bâtiment est sans commune mesure avec le simple débordement d’un chéneau, d’une corniche ou d’un câble.

C’est d’ailleurs pourquoi le législateur a prévu un régime très particulier devant permettre d’encadrer la construction, d’une part, et de mettre fin, unilatéralement, à l’empiètement d’autre part ; ce régime conduit d’ailleurs, selon nous, à douter davantage de la qualification de servitude et non qu’à renforcer cette thèse (v. infra).

Aussi, en raison de l’empiètement que le droit de surplomb emporte, il nous semble difficile d’écarter l’objection relative à la qualification de servitude, nonobstant les deux arrêts de la Cour de cassation précités.

• Le droit de surplomb peut prendre fin du fait de la seule volonté du propriétaire de ce qui serait un fonds servant, dès lors qu’il décide d’édifier sur son fonds en limite de propriété (CCH, art. L. 113-5-1, IV). Or, l’article 701 du code civil interdit explicitement au fonds servant ne serait-ce que de diminuer l’usage de la servitude ou de le rendre plus incommode : « il ne peut changer l’état des lieux ».

Certes, l’alinéa 3 de l’article 701 du code civil permet au propriétaire du fonds servant d’envisager une modification de la servitude. Néanmoins, le mécanisme tient en une substitution, un remplacement ou un déplacement de celle-ci et non en sa suppression pure et simple. Or, précisément, en matière de surplomb, aucune substitution n’est prévue par la loi en faveur du propriétaire du bâtiment isolé. Il a pu être objecté à cet argument que le propriétaire du prétendu fonds servant ne pouvait que supprimer l’isolation pour les besoins d’une construction en limite séparative (CCH, art. L. 113-5-1, IV), et qu’en conséquence cette construction jouerait le rôle de l’isolant déposé. Un tel rattachement revient toutefois à présumer que la construction du propriétaire du prétendu fonds servant assurera le même rôle que l’isolation thermique déposée. C’est une erreur : un tel encadrement n’est pas du tout prévu par le texte. L’isolant thermique par l’extérieur sera déposé pour les besoins de la construction édifiée en limite de propriété, peu importe que cette construction nouvelle isole totalement ou partiellement le bâtiment voisin. Le texte n’impose pas une telle qualité à la construction envisagée, qui n’aurait d’ailleurs pas besoin d’être aussi haute que l’immeuble voisin pour emporter la dépose de l’isolant thermique.

La qualification de servitude, du fait de cette faculté de suppression unilatérale sans équivalent imposé, nous semble donc, ici aussi, douteuse.

• Enfin, si le droit de surplomb est légalement institué, il apparaît à la lecture du décret d’application, que sa mise en œuvre – les travaux – ne pourront l’être que conventionnellement. En effet, les travaux ne pourront débuter qu’après la « signature » de l’acte authentique et de la convention déterminant les modalités de réalisation des travaux (CCH, art. R. 113-23), ce qui paraît encore incompatible avec la qualification de servitude « légale ».

Aussi, à ce stade, il nous paraît que la qualification de « servitude légale » du droit de surplomb n’a rien d’une évidence et que les arguments présentés à ce jour n’emportent pas la conviction.

Ce droit nous paraît plutôt emporter, ainsi qu’a pu le qualifier le Professeur Périnet-Marquet, « un empiètement en volume sur un fonds voisin »8, et s’il fallait pour sauver les apparences contre le risque d’inconstitutionnalité du dispositif, il ne reste qu’à le qualifier de droit réel sui generis9, ce qu’il paraît bien être, avec les interrogations que cela peut poser en matière de publicité foncière10

 

1. L.-A. Poletti, Droit de surplomb et isolation thermique : aspects de droit privé, Bulletin du Cridon de Paris, 1er févr. 2023, n° 3, p. 28 ; P.-F. Cuif, Le nouveau droit de surplomb, RDI 2023. 48 .
2. V. déjà en ce sens, en raison de l’empiètement résultant du surplomb, H. Périnet-Marquet, Le droit de surplomb, nouvel instrument au service de la politique énergétique, Constr.-Urb. 2021. Repère 10 ; P.-E. Lagraulet, L’incidence de la loi Climat sur le droit de la copropriété, AJDI 2021. 736 .
3. Civ. 3e, 12 mars 2008, n° 07-10.164, Dalloz actualité, 27 mars 2008, obs. G. Forest ; D. 2008. 919, obs. G. Forest ; ibid. 1224, chron. A.-C. Monge et F. Nési ; ibid. 2458, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin ; AJDI 2008. 795 , obs. S. Prigent ; RDI 2008. 202, obs. J.-L. Bergel ; RTD civ. 2009. 142, obs. T. Revet .
4. Civ. 3e, 24 mai 2000, n° 97-22.255, D. 2001. 151 , note R. Libchaber ; RDI 2000. 316, obs. J.-L. Bergel ; 27 juin 2001, n° 98-15.216, D. 2001. 2182 ; RDI 2002. 141, obs. J.-L. Bergel .
5. Civ. 3e, 12 mars 2008, n° 07-10.164, préc. ; 5 avr. 2013, n° 12-12.377, AJDI 2013. 453 ; RTD civ. 2013. 414, obs. W. Dross .
6. T. Revet, obs. préc. ; v. W. Dross, RTD civ. 2018. 696 s. .
7. On rappellera, en effet, que le mot hauteur définit en son sens le plus général une dimension entre un point bas à un point haut, et non nécessairement un point au-dessus du sol. Il est en ce sens synonyme d’altitude. C’est ainsi qu’une « hauteur inférieure » peut avoir pour point bas un repère altimétrique NGF en dessous de l’altitude 0.
8. Préc.
9. V. sur la notion, N. Kilgus, Le droit réel sui generis : plaidoyer pour une utilisation décomplexée… et raisonnée, RTD civ. 2022. 515 .
10. M. Suquet-Cozic, Droit réel de jouissance spéciale et publicité foncière, SNH 7/2020. Inf. 11.