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Le droit en débats

Le mandataire immobilier personne morale relève du statut des agents commerciaux : acte 2

Trois arrêts du même jour (Com. 10 janv. 2024, n° 22-21.940, n° 22-23.037 et n° 22-21.942) confirment qu’un mandataire immobilier peut être une personne morale et que celui-ci bénéficie du statut protecteur des agents commerciaux. La fameuse indemnité de fin de contrat peut donc être sollicitée. Les mandataires en immobilier ont alors un choix : entrepreneur individuel ou société. Le dispositif de l’attestation, délivré par les chambres de commerce et d’industrie (CCI), conduit toutefois, en pratique, à complexifier, voire à rendre impossible, le passage en société de certains mandataires immobiliers. Cet état de fait mérite discussion.

Par Yann Heyraud le 31 Janvier 2024

1. En 2023, l’arrêt BDM a tranché : oui, un mandataire immobilier relève du statut des agents commerciaux lorsqu’il exerce sous la forme d’une personne morale (Com. 17 mai 2023, n° 21-23.533, Dalloz actualité, 15 juin 2023, note Y. Heyraud ; D. 2023. 1006 ; ibid. 2268, chron. C. Bellino et T. Boutié ; CCC 2023. Comm. 11, obs. N. Mathey ; JCP E 2023. 1303, note P. Grignon).

En affirmant cela, l’arrêt BDM privilégiait la loi Hoguet, qui vise tout mandataire (ou négociateur), sans distinction (Loi n° 70-9 du 2 janv. 1970 réglementant les conditions d’exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce, art. 4, al. 1er). Exit, donc, le décret d’application qui se réfère aux seules personnes physiques (Décr. n° 72-678 du 20 juill. 1972, art. 9, al. 1er). Relevant du statut des agents commerciaux, le négociateur immobilier personne morale est, à ce titre, bien-fondé à solliciter la fameuse indemnité de fin de contrat (C. com., art. L. 134-12).

2. En 2024, cette orientation est confirmée par trois arrêts rendus le même jour. Par emprunt du nom des mandataires ayant le statut d’agent commercial, ces arrêts seront nommés Concorde Étoile (Com. 10 janv. 2024, n° 22-21.940), GCE (Com. 10 janv. 2024, n° 22-23.037) et Stones (Com. 10 janv. 2024, n° 22-21.942),

Ces arrêts s’inscrivent dans le contentieux Société Générale Immobilier Patrimoine (SGIP), anciennement Primaxia, ayant déjà donné lieu à l’arrêt BDM de 2023. Le schéma est toujours le même. Dans les années 2010, la société SGIP est chargée de commercialiser des programmes immobiliers. Des intermédiaires, ayant conclu un « mandat commercial », ont assisté la société SGIP. Le point important réside dans le fait que ces intermédiaires étaient tous des personnes morales, titulaires de la carte professionnelle d’agent immobilier (à l’exception de l’arrêt Concorde Étoile où le titulaire était le gérant de la société). En 2018, la SGIP procède à la résiliation de tous ces « mandats commerciaux ». Les intermédiaires lésés sollicitent, en retour, l’application du statut d’agent commercial et, surtout, paiement de l’indemnité de fin de contrat (C. com., art. L. 134-12).

L’indemnité de fin de contrat est systématiquement attribuée : 188 000 € (arrêt Concorde Étoile), 30 000 € (arrêt GCE) et 54 000 € (arrêt Stones) ; indemnité, on le sait, calculée sur la base des commissions perçues et la durée du contrat (sur l’ensemble, Y. Heyraud, Le contrat d’agent commercial, Lexbase, coll. « Ouvrages », 2023, § 9.5).

3. Les pourvois formés par la SGIP développaient le même argument : seule une personne physique pourrait, en matière immobilière, bénéficier du statut des agents commerciaux. Négativement, les personnes morales mandatées par le titulaire d’une carte professionnelle d’agent immobilier ne relèveraient pas du statut des agents commerciaux.

4. Les pourvois sont tous rejetés. La Cour de cassation confirme que le titulaire de la carte professionnelle d’agent immobilier peut mandater deux personnes différentes : soit une personne titulaire de l’attestation délivrée par la CCI ; soit une personne elle-même titulaire de la carte professionnelle (arrêt Concorde Étoile, § 9 ; arrêt GCE, § 7 ; arrêt Stones, § 8).

5. Le cap est, désormais, solidement ancré. Les raisons poussant à approuver cette orientation n’ont pas lieu d’être à nouveau exposées (sur l’ensemble, Y. Heyraud, note ss. Com. 17 mai 2023, BDM, préc.). Concentrons-nous plutôt sur deux problématiques concrètes liées à l’orientation adoptée.

L’alternative des mandataires en immobilier : entrepreneur individuel ou société

6. Dans le domaine immobilier, les mandataires exercent fréquemment sous le statut d’entrepreneur individuel. La société constitue toutefois une alternative. Les arrêts commentés illustrent, d’ailleurs, cette configuration : les trois mandataires étaient tous en société.

7. La comparaison des deux statuts ne peut évidemment être menée dans le cadre restreint de ce commentaire. Rappelons seulement que le statut d’entrepreneur individuel a été largement réformé en 2022, ce incluant divers décrets d’application (X. Delpech, Nouveau statut de l’entrepreneur individuel : précisions réglementaires, Dalloz actualité, 11 mai 2022 ; X. Delpech, Nouveau statut de l’entrepreneur individuel : au tour de la fiscalité, Dalloz actualité, 1er juill. 2022). La principale innovation de cette réforme a été de consacrer la fameuse division des patrimoines. L’entrepreneur individuel dispose d’un patrimoine personnel et, surtout, d’un patrimoine professionnel, distinct du premier.

8. Cette dualité de patrimoine ouvre des questionnements, et donc des incertitudes pratiques importantes, notamment quant à la substance (et l’évolution) du patrimoine professionnel ou encore sa transmission (parmi de nombreuses références, R. Mortier, Le nouveau patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel, Dr. sociétés, 2022, n° 5, étude 6 ; N. Jullian, La transmission du patrimoine de l’entrepreneur, JCP E 2022. 1137 ; M. Buchberger, Le nouveau statut de l’entrepreneur individuel : une avancée en trompe-l’œil, Rev. sociétés 2024. 7 ).

Partant, et pour dire les choses simplement, la réforme de l’entrepreneur individuel, incluant son lot d’incertitudes, est reçue comme une incitation à passer en société, dont le fonctionnement est mieux maîtrisé. Une seconde interrogation émerge alors.

Tous les mandataires en immobilier peuvent-ils passer en société ?

9. Deux situations doivent être distinguées. Premièrement, le titulaire de la carte professionnelle peut mandater des personnes elles-mêmes titulaires de ladite carte, ces dernières relèvent alors du statut des agents commerciaux. Cette situation est illustrée par les trois arrêts commentés. Comme exposé, les mandataires ont un choix : exercer en tant que personne physique ou en tant que personne morale.

10. Deuxièmement, le titulaire de la carte professionnelle peut mandater une personne qui n’est pas titulaire de ladite carte. Dans ce cas, le mandataire doit bénéficier d’une attestation. Cette situation se rencontre massivement en pratique, pour la simple raison que l’attestation est conditionnée à des critères relativement souples alors que la carte professionnelle est, elle, plus difficile à obtenir.

11. Concernant les mandataires titulaires de la seule attestation, la même conclusion pourrait être adressée : il leur revient de choisir leur forme d’exercice et, le cas échéant, de passer en société. La difficulté est que le décret d’application de la loi Hoguet est plus restrictif. Il ne vise que les personnes physiques (Décr. n° 72-678 du 20 juill. 1972, art. 9, al. 1er). Le formulaire type de l’attestation, accessible en ligne, indique d’ailleurs « une personne morale ne peut pas obtenir d’attestation d’habilitation ». En résumé : les mandataires non titulaires d’une carte professionnelle devraient nécessairement être des personnes physiques.

12. On peut interroger cette conclusion, d’autant que des CCI refusent, en pratique, que des mandataires non titulaires de la carte se déclarent en tant que personne morale. Le fossé se creuse car le décret, ne visant que les personnes physiques, fait cavalier seul. En effet, d’un autre côté, la loi Hoguet vise « toute personne », sans distinction, lorsqu’elle évoque l’attestation (art. 4, al. 1er). Plus généralement, le statut des agents commerciaux admet expressément qu’un agent puisse être une personne physique ou morale (C. com., art. L. 134-1, al. 1er, in fine). Partant, pourquoi ne pas « ouvrir » l’attestation à des personnes morales qui seraient mandataires non titulaires de la carte professionnelle ? Plus encore, refuser le passage en personne morale prive, mécaniquement, de toutes les possibilités offertes par les structures sociétaires. Les évolutions seront ici à scruter avec intérêt.