1. Mark Twain, à la publication de sa nécrologie, aurait déclaré : « L’annonce de ma mort est tout à fait exagérée ». Le juge de l’exécution pourrait émettre la même protestation.
En effet, depuis le 1er décembre 2024, le juge de l’exécution serait mort… au moins en partie : l’annonce de l’amputation d’une partie de sa compétence a été publiée par deux dépêches de la Chancellerie, en date des 28 novembre et 5 décembre 2024, selon lesquelles les compétences de ce juge en matière mobilière seraient désormais exercées par le tribunal judiciaire.
Cette annonce de « mort partielle » a déjà d’importantes répercussions, affectant les tribunaux judiciaires, les avocats, les commissaires de justice et, bien sûr, les justiciables : les juridictions s’organisent pour en minimiser l’incidence, notamment en désignant les magistrats exerçant les fonctions de juge de l’exécution pour mettre en état ces affaires, en les faisant enrôler par le greffe du juge de l’exécution, qui n’est pourtant pas habitué à gérer des procédures écrites, en paramétrant Winci pour que la prise de date se fasse devant une formation ad hoc ; les avocats ont commencé à assigner devant le tribunal judiciaire. Cette activité supplémentaire altère leur capacité à traiter le reste du contentieux civil.
2. Or, cette annonce de la mort partielle du JEX est tout à fait exagérée, voire tout à fait fausse, tant les textes qui établissent cette juridiction sont nombreux et le placent hors d’atteinte.
Genèse
3. La saisie des droits incorporels, régie par des textes insuffisants, a été cause d’un enchaînement d’évènements, desquels il résulte le décès annoncé du JEX.
Juge de l’exécution
4. Rappelons qu’un juge de l’exécution avait été institué par la loi n° 72-626 du 5 juillet 1972, à fin de connaître « de tout ce qui a trait à l’exécution forcée des jugements et autres actes » ; aucun texte d’application n’étant intervenu, la compétence en la matière était restée celle du tribunal de grande instance. Le JEX est donc véritablement né avec la réforme de l’exécution mobilière réalisée par la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 et son décret d’application n° 92-755 du 31 juillet 1992, à compter du 1er janvier 1993 ; il a été conforté par la réforme de l’exécution immobilière, œuvre de l’ordonnance n° 2006-461 du 21 avril 2006 et du décret n° 2006-936 du 27 juillet 2006, entrés en vigueur le 1er janvier 2007.
Par principe, aujourd’hui, le juge de l’exécution est le président du tribunal judiciaire, ou son délégué. Sa compétence d’attribution est d’ordre public « renforcé » : en effet, « en matière de compétence d’attribution, tout juge autre que le juge de l’exécution doit relever d’office son incompétence » (C. pr. exéc., art. R. 121-1, al. 1er). Le tribunal judiciaire, saisi à tort d’une question relevant du juge de l’exécution, est donc obligé de décliner sa compétence. La compétence territoriale du JEX est d’ordre public « simple », le juge saisi à tort ayant une faculté de se déclarer d’office incompétent territorialement (C. pr. exéc., art. R. 121-4). De son côté, « le juge de l’exécution peut relever d’office son incompétence » (C. pr. exéc., art. R. 121-1, al. 4).
5. Le texte qui institue le JEX comme juge spécialisé du contentieux de l’exécution forcée est l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire. Selon ce texte, le JEX :
- autorise les mesures conservatoires et connaît des contestations relatives à leur mise en œuvre (al. 2) ;
- connaît de la saisie immobilière (al. 3) ;
- connaît des demandes en réparation fondées sur l’exécution ou l’inexécution dommageables des mesures d’exécution forcée ou des mesures conservatoires (al. 4) ;
- connaît de la saisie des rémunérations (al. 5) – ceci depuis la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, dite « loi Belloubet », mais seulement jusqu’à l’entrée en vigueur de la réforme de cette saisie issue de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 : celle-ci aura lieu au plus tard le 1er juillet 2025 ;
- exerce les compétences particulières qui lui sont dévolues par le code des procédures civiles d’exécution (al. 6).
Surtout, l’article L. 213-6, alinéa 1er, lui donnait la connaissance exclusive « des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit à moins qu’elles n’échappent à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire ».
6. Or, ce premier alinéa n’est pas de valeur supérieure aux autres ; il ne conditionne pas leur existence ; il n’est pas non plus placé plus haut dans la hiérarchie des normes que les textes législatifs épars attribuant compétence au juge de l’exécution pour connaître des contestations relatives à telle ou telle voie d’exécution particulière ; il en va notamment ainsi, ce n’est pas marginal en pratique, aux termes de l’article L. 281 du livre des procédures fiscales, de certaines des contestations relatives au recouvrement des impôts, taxes, redevances, amendes, condamnations pécuniaires et sommes quelconques dont la perception incombe aux comptables publics. De nombreuses dispositions, notamment du code des procédures civiles d’exécution s’articulent ainsi avec l’article L. 213-6.
Insuffisance des textes en matière de saisie des droits incorporels
7. Il manque quelques briques à la saisie des droit incorporels, telle qu’elle est aujourd’hui prévue au code des procédures civiles d’exécution, pour être efficace : en particulier, aucune disposition législative n’institue ou n’organise de recours du débiteur devant un juge pour contester le montant de la mise à prix fixé par le créancier poursuivant, à la différence de ce qui est prévu en matière de saisie immobilière par l’article L. 322-6 du code des procédures civiles d’exécution. Cette difficulté étant connue depuis longtemps, il aurait été opportun d’ajouter une disposition permettant une telle contestation du prix dans une disposition du code des procédures civiles d’exécution – même de valeur réglementaire nous semble-t-il (adde Dalloz actualité, 21 nov. 2023, obs. F. Kieffer).
Question prioritaire de constitutionnalité et suites
8. L’inaction du législateur (au sens large) a finalement suscité une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), soulevée devant la Cour de cassation et transmise telle quelle au Conseil constitutionnel, faute de pouvoir être modifiée – ce n’est pas le rôle du filtre. La question portait sur les articles L. 231-1 et L. 233-3 du code des procédures civiles d’exécution, relatifs à la procédure de saisie des droits incorporels, mais aussi sur l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire.
9. Au lieu de censurer l’un des deux textes critiqués relatifs à cette voie d’exécution, le Conseil constitutionnel a fait, le 17 novembre 2023, le choix curieux d’abroger une partie du texte-racine de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire (Cons. const. 17 nov. 2023, n° 2023-1068 QPC, Dalloz actualité, 21 nov. 2023, obs. F. Kieffer ; D. 2023. 2050 ; ibid. 2024. 1301, obs. A. Leborgne et J.-D. Pellier
; RTD civ. 2024. 727, obs. N. Cayrol
). Cette décision illustre le paradoxe du contrôle de constitutionnalité, où lorsque est invoquée l’incompétence négative du législateur, la critique porte sur un texte auquel, dans le fond, rien n’est reproché…, mais qui finit par être censuré.
Le Conseil a en effet jugé inconstitutionnelle l’absence de disposition permettant au débiteur de contester devant le juge judiciaire le montant de la mise à prix fixé par le créancier dans le cadre d’une vente forcée sur saisie de droits incorporels. Il a considéré que cette situation violait le droit à un recours juridictionnel effectif tel qu’il découle de l’article 16 de la Déclaration de 1789 et déclaré inconstitutionnels les mots « des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée » figurant au premier alinéa de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire. Pour laisser au législateur le soin de remédier à l’inconstitutionnalité constatée, il a reporté l’abrogation au 1er décembre 2024 et permis, d’ici là, au débiteur de contester le montant de la mise à prix d’une vente forcée des droits incorporels saisis devant le juge de l’exécution.
10. Un projet de loi visant à remédier à cette carence n’a été déposé au Sénat que le 24 avril 2024, cinq mois après la déclaration d’inconstitutionnalité et dans un contexte politique déjà peu favorable à l’efficacité parlementaire : il s’agissait d’une part de rétablir l’article L. 213-6 et, d’autre part, de créer un article L. 233‑1 du code des procédures civiles d’exécution remédiant au manque cause de tous les maux, dans les termes suivants : « en cas de vente par adjudication, le montant de la mise à prix est fixé par le créancier poursuivant. Le débiteur peut, en cas d’insuffisance manifeste du montant de la mise à prix, saisir le juge de l’exécution afin de voir fixer une mise à prix en rapport avec la valeur vénale des droits incorporels et les conditions du marché ». Puis l’Assemblée a été dissoute, le 9 juin 2024. La nouvelle législature n’a pas permis d’avancer sur ce texte dans le délai fixé par le Conseil constitutionnel.
11. Faute de loi votée à temps, la Chancellerie a voulu organiser le décès d’une partie du JEX par voie de dépêche, diffusée via LinkedIn (Dalloz actualité, 3 déc. 2024, obs. K. Castanier) : selon celle-ci, le juge de l’exécution n’est plus compétent depuis le 1er décembre 2024 pour statuer sur les contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée de nature mobilière d’un titre exécutoire. Ces contestations relèveraient donc de la compétence du tribunal judiciaire en vertu de sa compétence de droit commun. Certains professionnels s’étant émus de l’interprétation de la Direction des affaires civiles et du Sceau (DACS), une note complémentaire du 5 décembre 2024 a été diffusée qui maintient l’interprétation première. Cette lecture de la portée de la décision du Conseil constitutionnel enterrant le JEX est très discutable.
« Décès » annoncé mais exagéré du JEX
12. Par suite de l’abrogation partielle, le premier alinéa de l’article L. 213-6 se lit comme suit depuis le 1er décembre 2024 : « Le juge de l’exécution connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et [sic], même si elles portent sur le fond du droit à moins qu’elles n’échappent à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire ».
La déclaration d’inconstitutionnalité d’une partie de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire doit être considérée comme s’appliquant également aux dispositions législatives identiques, dans leur substance et leur rédaction, même si elles figurent dans un autre texte ou un autre code (CE 16 janv. 2015, Sté Métropole Télévision, n° 386031, Dalloz actualité, 21 janv. 2015, obs. M.-C. de Montecler ; Lebon ; AJDA 2015. 79
; ibid. 1043
, note V. Barbé
).
13. Or, la déclaration d’inconstitutionnalité d’une disposition législative par le Conseil constitutionnel statuant sur QPC n’entraîne pas, même implicitement, l’abrogation des mesures réglementaires dont elle est le support ; ces dispositions peuvent seulement, se trouvant privées de base légale, être annulées pour excès de pouvoir ; il semble ressortir de la jurisprudence du Conseil d’État que cette disparition de base légale doit être en lien avec les motifs de la censure du Conseil constitutionnel (CE 30 mai 2018, n°400912, Lebon ; AJDA 2018. 1127
; 12 déc. 2018, n° 147244). Ces textes réglementaires restent en vigueur tant qu’ils n’ont pas été annulés (v. par ex., CE 19 juill. 2017, n° 395095).
Toutefois, selon la jurisprudence Ponard (CE 14 nov. 1958, n° 35399 ; CE, avis, 9 mai 2005, Marangio, n° 277280, Lebon ; AJDA 2005. 1032
; RDI 2005. 346, obs. P. Soler-Couteaux
; RFDA 2005. 1024, concl. E. Glaser
), l’administration ne doit pas appliquer un règlement illégal, même s’il n’a pas encore été annulé.
14. Ces règles ont sans doute inspiré l’analyse de la Chancellerie, puisque, selon elle, l’ensemble des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée de nature mobilière d’un titre exécutoire devraient être portées devant le tribunal judiciaire en tant que juge de droit commun. Plus précisément, selon la note complémentaire du 5 décembre 2024, « le Conseil constitutionnel n’a, en l’espèce, pas limité la portée de la censure à la seule compétence du juge de l’exécution pour connaître des contestations qui s’élèvent à l’occasion d’une saisie de droits incorporels », puisque les mots « des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée » figurant au premier alinéa de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire, ont été abrogés à compter du 1er décembre 2024 comme étant contraires à la Constitution.
Toute compétence du JEX relativement aux « contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée » a-t-elle vraiment été transférée au tribunal judiciaire, juge de droit commun ? Que la juridiction de droit commun – c’est-à-dire le tribunal judiciaire – devienne compétente faute de texte attribuant spécialement compétence à une juridiction d’exception, c’est le principe. Cependant, en l’occurrence, la nécessité de ce retour mérite discussion, dès lors que le JEX a, en réalité, conservé sa compétence, protégée par de nombreux textes.
L’écheveau des textes – article L. 231-6 du code de l’organisation judiciaire et autres dispositions – qui régissent le JEX limite en réalité la portée de l’abrogation résultant de la décision du Conseil constitutionnel. Leur redondance, qui peut sembler critiquable, peu heureuse, vient aujourd’hui au secours du JEX. Autant dire que, en l’occurrence, l’abrogation partielle de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire affecte la définition des pouvoirs juridictionnels du juge de l’exécution, non son existence ni ses compétences.
Article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire
15. Pour admettre un transfert de toutes les contestations de mesures d’exécution forcée en matière mobilière au tribunal judiciaire, il faudrait considérer que l’alinéa 1er chapeaute la totalité de l’article L. 231-6, que les alinéas 2 et suivants sont sous la dépendance du 1er, ce qui ne repose sur rien.
D’ailleurs, personne ne discute que les « contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée » immobilière ne sont pas concernées – la compétence du JEX en la matière étant prévue par l’alinéa 3 de l’article L. 213-6.
Tant qu’elle demeure (jusqu’au 1er juill. 2025), la compétence en matière de saisie des rémunérations ne paraît pas non plus discutable ; en effet, ce 5e alinéa dispose que le juge de l’exécution « connaît de la saisie des rémunérations, à l’exception des demandes ou moyens de défense échappant à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire », de sorte qu’il existe des demandes ou des moyens de défense qui échappent à la compétence du juge de l’exécution, toutes les autres étant de sa compétence ; un moyen de défense, c’est une contestation.
De même, les contestations relatives aux mesures conservatoires (al. 2) et les demandes en réparation (al. 4) ne sont pas touchées par la déclaration d’inconstitutionnalité.
16. Mais quid « des difficultés relatives aux titres exécutoires » (al. 1er) et des contestations qui s’élèveraient à l’occasion de l’exercice des compétences particulières dévolues au JEX par le code des procédures civiles d’exécution (al. 6) ?
Selon la DACS, l’abrogation issue de la décision QPC rejaillit sur la connaissance des difficultés relatives aux titres exécutoires, qui « n’est pas autonome », mais « liée à la mise en œuvre d’une mesure d’exécution forcée », selon une jurisprudence désormais classique de la Cour de cassation. Ne peut-on cependant pas objecter que si le Conseil constitutionnel avait voulu vider de toute sa substance l’alinéa 1er de l’article L. 213-6, il l’aurait abrogé dans toutes ses prévisions ?
Autres dispositions relatives au JEX
17. Les compétences particulières dévolues au JEX par le code des procédures civiles d’exécution ont-elles aussi disparu par perte du fondement juridique que serait le morceau abrogé ? C’est là encore l’interprétation de la dépêche et de la note complémentaire, qui laisse entendre que ces dispositions seraient toutes de nature réglementaire.
Ce n’est pas le cas de toutes et, même les dispositions réglementaires n’ont pas forcément disparu.
Dispositions particulières de nature législative
18. Si la plupart des mesures d’exécution forcée sont régies par le code des procédures civiles d’exécution, certaines figurent dans le livre des procédures fiscales, le code de l’aviation civile, le code du travail… Le dernier alinéa de l’article L. 213-6 ne fait donc pas double emploi avec ceux qui les précèdent ; de là, il est clair que la saisie-attribution, ou la saisie-vente, sont au nombre des compétences particulières dévolues au juge de l’exécution par le code des procédures civiles d’exécution. En somme, pour ce qui nous intéresse au premier chef, c’est-à-dire la compétence du juge de l’exécution en matière mobilière la plus courante, le texte de l’article L. 213-6 est lui-même redondant.
19. En outre, le code des procédures civiles d’exécution comporte une partie législative assez développée, ce qui est la conséquence logique, au regard de l’article 34 de la Constitution, du fait qu’il s’agit de réglementer des mesures de contrainte sur les biens des individus. Au sein du livre Ier consacrée aux dispositions générales, un chapitre traite de l’autorité judiciaire : sa section I, constituée des articles L. 121-1 à L. 121-4, définit le rôle du juge de l’exécution. Selon l’article L. 121-1, le JEX « connaît de l’application des dispositions du présent code dans les conditions prévues par l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire ». La déclaration d’inconstitutionnalité ne s’étend pas à ce texte, qui n’est pas identique dans sa substance ni dans sa rédaction à la partie abrogée de l’article L. 213-6.
20. Le juge de l’exécution est donc bien vivant ; le seul texte de l’article L. 121-1 du code des procédures civiles d’exécution constitue une base légale à l’ensemble de la partie réglementaire du même code se rapportant à ses compétences, ne serait-ce que parce qu’il renvoie au dernier alinéa de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire.
Au-delà, c’est en général à l’occasion d’une contestation relative à une mesure d’exécution forcée que le débiteur demande au juge de l’exécution la mainlevée comme inutile ou abusive (C. pr. exéc., art. L. 121-2), ou qu’un protagoniste de la saisie lui demande la réparation du préjudice qu’elle a causé (C. pr. exéc., art. L. 121-2 et COJ, art. L. 213-6, al. 4). L’article L. 121-4 prévoit les règles de représentation devant le JEX, le principe étant celui de la représentation obligatoire par avocat. Ces textes généraux, également de nature législative, ne sont pas touchés, ni directement ni par ricochet, par la déclaration d’inconstitutionnalité : ils ne sont identiques, ni dans leur substance ni dans leur rédaction, à la partie abrogée de l’article L. 213-6.
Dispositions particulières de nature réglementaire
21. Différents articles relatifs à la compétence territoriale du JEX ont rang de décret dans la hiérarchie des normes. Tombent-ils donc à la suite de l’abrogation du « morceau » fulminé par la décision QPC ?
D’abord, ils ont bien d’autres bases légales (v. supra) que les dispositions abrogées, puisqu’ils tendent à l’application de textes de valeur législative non remis en cause.
Ensuite, on peut avancer que les motifs de la décision du Conseil constitutionnel du 17 novembre 2023 ne portent pas sur d’autres mesures d’exécution forcée que la saisie des droits incorporels, de sorte que l’abrogation décidée en raison de l’incompétence négative du législateur ne saurait produire d’effet au-delà des mesures réglementaires relatives à cette voie d’exécution.
22. Prenons quelques-unes des principales mesures d’exécution une à une.
En matière de saisie-vente, aux termes de l’article R. 221-40 du code des procédures civiles d’exécution, les contestations relatives à la saisie-vente sont portées devant le juge de l’exécution du lieu de la saisie ; c’est donc cette juridiction qui doit être désignée dans l’acte de saisie entre les mains du débiteur en application de l’article R. 221-16, 6°, comme à l’acte de saisie entre les mains d’un tiers, en application de l’article R. 221-23, 8°, pas une autre. Selon l’article R. 221-53, les contestations relatives à la saisissabilité des biens appréhendés sont portées devant le juge de l’exécution – ce texte ne dit pas lequel territorialement ; il fonde donc une compétence matérielle. Selon l’article L. 221-1, si la saisie porte sur des biens détenus par un tiers, dans un local d’habitation, elle est préalablement autorisée par le juge de l’exécution. Selon l’article L. 221-6 du code des procédures civiles d’exécution, en cas de concours entre créanciers, à défaut d’accord, le juge de l’exécution procède à la répartition du prix. Les contestations relatives à ces deux derniers textes de nature législative ne sont-elles pas relatives à l’exécution forcée ?
En matière d’expulsion, il résulte de l’article L. 121-4, 1°, du code des procédures civiles d’exécution, que le ministère d’avocat n’est pas obligatoire devant le juge de l’exécution : c’est déjà dire que le juge de l’exécution est compétent en matière d’expulsion, et ce texte est de niveau législatif. L’article R. 412-4 du code des procédures civiles d’exécution dispose qu’à compter de la signification du commandement de quitter les lieux, toute demande de délais formée en application des articles L. 412-2 à L. 412-6 est portée devant le juge de l’exécution du lieu de situation de l’immeuble. L’article R. 442-1 dispose que les contestations relatives à l’application du présent livre sont portées devant le juge de l’exécution du lieu de la situation de l’immeuble ; ce livre, c’est le livre IV de la partie réglementaire du code, consacré à l’expulsion. En matière de sort des meubles, l’article R. 433-1 prévoit que le procès-verbal d’expulsion doit comporter l’indication du juge de l’exécution territorialement compétent pour connaître de la contestation ; l’article R. 433-3 prévoit que la personne expulsée peut saisir le juge de l’exécution pour contester l’absence de valeur marchande des biens. Selon l’article R. 442-2, la demande relative à l’exécution d’une décision d’expulsion peut être formée au greffe du juge de l’exécution par lettre recommandée avec accusé de réception ou par requête ; on ne voit pas bien comment cette disposition, qui institue un mode de saisine simplifié pour faciliter l’accès au juge de personnes en situation de précarité, serait compatible avec une quelconque compétence du tribunal judiciaire en matière d’expulsion.
En matière de saisie-attribution, l’article R. 211-10 du code des procédures civiles d’exécution dispose que les contestations sont portées devant le juge de l’exécution du lieu où demeure le débiteur. Ensuite, la demande de séquestre des sommes appréhendées par la saisie-attribution (art. R. 211-2), les demandes de condamnation du tiers saisi prévues aux articles R. 211-5 et R. 211-9, le pouvoir de donner effet à la saisie-attribution pour la fraction non contestée de la dette (art. R. 211-12), celui d’autoriser le séquestre des sommes saisies (art. R. 211-16) ou de statuer sur la garantie irrévocable offerte par le débiteur en lieu et place de la saisie (art. R. 211-21), sont de la compétence du juge de l’exécution. Au plan procédural, selon l’article R. 211-11 du code des procédures civiles d’exécution, copie de l’assignation en contestation d’une saisie-attribution doit être, à peine de caducité, déposée au greffe du juge de l’exécution au plus tard le jour de l’audience ; si on tirait les conséquences de la dépêche de la Chancellerie, auprès de quel greffe le débiteur devrait-il placer, et dans quel délai, dès lors que, selon l’article 753 du code de procédure civile, devant le tribunal judiciaire, l’assignation doit être placée quinze jours au moins avant l’audience ? La deuxième chambre civile de la Cour de cassation devra sans doute démêler cet imbroglio…
En matière de paiement direct des pensions alimentaires, selon l’article R. 213-6 du code des procédures civiles d’exécution, texte d’application des articles L. 213-1 et suivants de ce code, par renvoi de l’article L. 213-6 du même code, les contestations sont portées devant le juge de l’exécution dans le ressort duquel est situé le domicile du débiteur de la pension.
En matière de saisie-appréhension, c’est le juge de l’exécution qui, en application de l’article L. 222-1, peut établir un titre exécutoire, ou autoriser le créancier à l’appréhender dans les locaux d’habitation d’un tiers. Ce texte législatif fonde la compétence du JEX pour connaître de toutes les contestations afférentes. Les articles R. 222-2 et R. 222-3 donnent compétence au juge de l’exécution du lieu où demeure le destinataire de l’acte, ou du lieu où demeure celui auquel le bien retiré.
En matière de saisie des rémunérations, l’article L. 213-6, 5e alinéa, n’est pas abrogé, n’étant pas identique dans sa substance ni dans sa rédaction à la partie abrogée du 1er alinéa du même texte. Avec les dispositions législatives du code du travail relatives à la saisie des rémunérations, il constitue la base légale de l’ensemble des dispositions réglementaires du même code, relatives à cette voie d’exécution forcée dont le juge de l’exécution est l’organe.
23. En résumé, les dispositions réglementaires relatives aux saisies-vente, aux saisies-attribution, aux paiements directs, aux saisies appréhension, aux saisies des rémunérations, et d’autres encore, ne sont pas privées de base légale, parce que leur base légale est constituée par des textes législatifs encore en vigueur, dont la substance et la rédaction sont différentes de la partie du texte de l’article L. 213-6 objet de la déclaration d’inconstitutionnalité ; et on pourrait dire aussi, parce que les motifs de la censure du Conseil constitutionnel sont sans lien avec ces textes.
Conséquences pratiques
24. Imaginons qu’un tribunal judiciaire, saisi d’emblée, se reconnaisse malgré tout compétent pour statuer sur la contestation de l’une de ces mesures d’exécution forcée en matière mobilière. En application de textes de nature législative, et compte-tenu de la compétence d’ordre public « renforcé » du juge de l’exécution (v. supra), la juridiction de droit commun sera tenue de se déclarer incompétente au profit du juge spécialisé si :
- le créancier lui demande d’assortir la condamnation d’une astreinte (C. pr. exéc., art. L. 131-1) ;
- le créancier réclame des dommages-intérêts pour résistance abusive (C. pr. exéc., art. L. 121-3) ;
- le débiteur sollicite la mainlevée de la saisie comme abusive ou inutile (C. pr. exéc., art. L. 121-2) ;
- le débiteur réclame des dommages-intérêts en raison du dommage que lui a causé la mesure (COJ, art. L. 213-6, al. 4) ;
- la mesure d’exécution forcée a été pratiquée sur le fondement d’un titre exécutoire administratif (LPF, art. L. 281) ;
- e débiteur invoque une difficulté relative au titre exécutoire telle que son inexistence, la prescription de son exécution, son caractère non avenu ou son intelligibilité (COJ, art. L. 213-6, al. 1er) ;
- le créancier demande que soit laissé à la charge du débiteur de mauvaise foi tout ou partie des frais qu’il a exposés pour recouvrer sa créance (C. pr. exéc., art. L. 111-8).
Dans la plupart des affaires relatives à une mesure d’exécution forcée en matière mobilière, saisi d’emblée, le tribunal judiciaire sera dans l’incapacité de statuer : autant dire que la solution préconisée par les dépêches est impraticable.
25. Concrètement, tout tribunal judiciaire saisi en matière d’exécution mobilière trouvera intérêt à se déclarer incompétent au profit du juge de l’exécution pour le tout ; en application de l’article 81 du code de procédure civile, cette désignation s’imposera à ce juge et aux parties (sauf recours de leur part). L’exercice par le tribunal judiciaire d’une compétence en matière d’exécution forcée mobilière ne peut conduire qu’à des impasses et générera inévitablement des disparités dans le traitement judiciaire de ce contentieux sur le territoire national, autrement dit une rupture de l’égalité des citoyens devant la loi. C’est d’autant plus regrettable qu’est en jeu le droit des créanciers à l’exécution des décisions de justice, mais aussi le droit des débiteurs à un recours juridictionnel effectif contre des mesures portant atteinte à leur droit de propriété.
26. Le plus sage n’aurait-il pas été de patienter quelques mois, d’attendre que le projet de loi soit adopté qui rétablisse l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire dans son entièreté ? Les juges de l’exécution ne sont pas démunis dans cette attente : d’ordinaire, déjà, ils se placent sur le terrain de leurs pouvoirs juridictionnels plutôt que de leur compétence pour évacuer les mille et une demandes dilatoires qui pourraient, dans l’absolu, relever de la compétence du tribunal judiciaire, du conseil de prud’hommes ou encore du tribunal de commerce ; ils s’appuient à cet effet sur la jurisprudence pragmatique de la Cour de cassation (v. en dernier lieu, Civ. 2e, 3 oct. 2024, n° 21-24.852 P, Dalloz actualité, 9 oct. 2024, obs. K. Castanier).
Le mieux aurait été de pouvoir réclamer au Conseil constitutionnel le report de la date de son abrogation eu égard à la situation politique, ce qu’aucun texte ne permet aujourd’hui.
En attendant, et en dépit de la dépêche du 28 novembre 2024 et de sa note explicative du 5 décembre suivant, il nous semble que :
- les commissaires de justice devraient s’abstenir de modifier les trames de leurs actes de signification là où aucune disposition législative ou réglementaire n’a modifié ou anéanti les textes nombreux, précis et explicites prévoyant la compétence du juge de l’exécution et l’information donnée aux débiteurs, aux créanciers et aux tiers saisis quant à la juridiction à saisir en contestation, savoir le juge de l’exécution ;
- les avocats trouveront intérêt à ne pas saisir un tribunal judiciaire manifestement incompétent, du moins lorsque, dans l’intérêt de leur client débiteur, ils souhaiteront une décision rapide, laquelle sera en général, in fine, rendue par le juge de l’exécution ;
- chacun devrait rester serein, la période transitoire ne portant juridiquement pas atteinte aux contours de la juridiction du juge de l’exécution.
27. En conclusion, fort heureusement, les compétences et les pouvoirs de la juridiction spécialisée qu’est en matière mobilière le juge de l’exécution reposent sur tout un écheveau de textes redondants, de niveau législatif et réglementaire, qui assurent efficacement son « antifragilité ». L’abrogation d’une loi, que ce soit par le législateur ou le Conseil constitutionnel, laisse subsister toutes les autres dispositions législatives non abrogées et non identiques. En abrogeant douze mots de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire, qui en comprenait 204, le Conseil constitutionnel n’a aucunement supprimé la juridiction du juge de l’exécution. Plusieurs autres dispositions législatives demeurent qui permettent au juge de l’exécution d’assurer l’ensemble de ses missions dans la période transitoire qui nous sépare du rétablissement de la partie abrogée de l’article L. 213-6 – rétablissement prévu dans sa version initiale, selon le projet de loi actuellement soumis au Parlement…