Doit-on craindre que les parquets de l’exécution des peines aient des difficultés de lecture ? À la fois dans la lutte contre l’épidémie mais aussi contre l’atteinte à la dignité des prisonniers établie par la cour européenne des droits de l’homme, la politique publique consiste, en ce printemps 2020, à éviter d’enfermer inutilement nos concitoyens punis d’une peine d’emprisonnement lorsque de sages alternatives le permettent.
Ainsi, la circulaire1 du 20 mai 2020 soutient-elle une « politique volontariste de régulation carcérale » destinée à éviter la mise à exécution « des peines d’emprisonnement ou les reliquats de peines qui sont à la fois anciens et de faible quantum ».
L’article 723-15 du code de procédure pénale impose pour une condamnation à une peine égale ou inférieure à un an d’emprisonnement, ou pour laquelle la durée de la détention restant à subir est inférieure ou égale à un an, de tenter de trouver avec le juge de l’application des peines une alternative.
Certains parquets n’y voient goutte et actionnent sans vergogne l’arme du 723-16 : « Par dérogation aux dispositions de l’article 723-15, en cas d’urgence motivée soit par un risque de danger pour les personnes ou les biens établi par la survenance d’un fait nouveau, soit par l’incarcération de la personne dans le cadre d’une autre procédure, le ministère public peut mettre la peine à exécution en établissement pénitentiaire. »
Cette faculté d’expédier derrière les barreaux des justiciables est laissée à la discrétion des substituts de l’exécution.
Ce fait du prince est secret, non contradictoire et sans voies de recours. Autant dire qu’il aurait sans doute du mal à passer le cap de l’examen de constitutionnalité si une QPC le portait jusqu’au conseil constitutionnel. La cour de cassation a filtré et refusé pour des raisons procédurales de déférer l’article au conseil au motif qu’il n’était pas applicable à la procédure à l’occasion de laquelle cette QPC avait été formée2.
C’est donc toujours la loi mais une loi qui souffre de n’avoir jamais été jugée par le tribunal de sa légalité suprême, celle des droits fondamentaux.
Un justiciable vient d’en faire les frais ou plutôt l’État tant la dangereuse incurie du parquet de Paris a coûté au ministère de la justice, un peu au budget mais surtout à la cohérence de la politique pénale voulue.
Qu’on en juge. Arrêté ivre à Paris au volant d’un véhicule, NB est placé en garde à vue et fait l’objet le 7 juin 2020 d’une ordonnance pénale délimitant la punition à 120 jours amende à 7 € et la suspension du permis de conduire !
Une « fiche de recherche » pour l’exécution d’une condamnation de janvier 2020 à deux ans d’emprisonnement pour une affaire de proxénétisme datant de 20063 n’échappe pas aux deux substituts, successivement de service, au tribunal judiciaire de Paris qui font placer le chauffeur, à ce stade dégrisé, en rétention judiciaire. La détention provisoire qui doit être imputée est de quatorze mois et de vingt-cinq jours. Le reliquat de peine est donc de neuf mois et cinq jours et le condamné n’a pas encore bénéficié d’une convocation du juge de l’application des peines de Créteil, compétent.
Dans cette affaire, le 8 juin, le parquet général de Paris rappelle au service de l’exécution des peines du tribunal judiciaire qu’il convient « d’apprécier désormais l’exécution de la peine prononcée en janvier 2020 tant au regard du reste à exécuter que des seuils d’aménagement de la peine. »
L’appréciation des exécuteurs du parquet est un petit couperet : le lendemain le condamné entre à Fleury. Le substitut répond à son supérieur : « La décision d’incarcération a été motivée sur le fondement des dispositions de l’article 723-16 du code de procédure pénale ».
On ne saura jamais pourquoi. Le substitut ne le dit pas. Urgence à incarcérer ? Risque pour les personnes ou pour les biens ? Le substitut ne se risque pas à motiver sa décision qui ne relève pas de la loi. Une sorte de bonheur discrétionnaire où domination et pouvoir se confondent ?
La situation pénale du condamné sera rapidement examinée par le juge de l’application des peines d’Évry qui lui accorde des remises de peine provoquant sa mise en liberté sept jours plus tard.
Le coût de cette gabegie judiciaire reste à évaluer. Important pour la violence soudaine infligée à un condamné sans aucune utilité sociale (24 heures de rétention et 8 jours d’emprisonnement !), coûteux pour les finances publiques (temps de fonctionnaires, de juge, de nourritures, d’escortes, de paperasses).
Le coût de l’opération est exorbitant pour les droits fondamentaux : un coup de 723-16 sans motivation, sans avocats, sans recours sonne particulièrement faux dans l’expression de la volonté publique de mieux réguler la population pénale pourtant affichée par la chancellerie.
Il est temps de revoir la procédure de l’article 723-16 ou de calmer rapidement l’ardeur de ceux qui en disposent.
En 2014, l’association nationale des juges de l’application des peines (ANJAP), préconisait4 d’encadrer « plus strictement les conditions de l’article 723-16 » en retirant aux parquets le pouvoir d’apprécier s’il y a ou non urgence à incarcérer et en confiant cette mission aux juges des libertés et de la détention. Si le JLD devait remplacer le parquet pour décider de l’urgence à incarcérer sans débat devant un JAP, il conviendrait sans doute alors de prévoir un débat réellement contradictoire en présence d’un avocat et du parquet. On verrait alors si l’analyse des zélés substituts sur la notion d’urgence pourrait prospérer devant un juge du siège. On ne manquerait pas de leur rappeler que la politique pénale de la chancellerie en la matière doit être appliquée ce qu’ils paraissent aujourd’hui oublier.
1 CRIM2020–15/E3- 20/05/2020OBJET : Mise en œuvre des dispositions relatives aux peines de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de réforme pour la justice
2 12/09/2012 N 12-90.058
3 Faits de 2006 soit 14 ans avant la mise à exécution de la peine venue sanctionner le fait ; s’il ne s’agit pas de « faits anciens » qu ‘on nous explique lesquels peuvent l’être sinon ceux-ci. Une action faute lourde est d’ailleurs en cours pour sanctionner la violation du délai raisonnable manifestement pas respecté.
4 Assemblée nationale, audition par la commission des lois constitutionnelles, 13 févr. 2014.